Crédit photo : ©Alain Azria
Lors de la 14e Convention nationale du Crif, au cours de la table ronde intitulée « Mon 7-Octobre », Philippe Torreton, comédien et écrivain, a livré un puissant hommage aux victimes du 7-Octobre 2023. À travers les mots de Victor Hugo et de Stefan Zweig, il exprime son indignation face au silence et à la relativisation des horreurs, rappelant l'importance de la solidarité avec le peuple israélien et la vigilance contre l'antisémitisme.
« À de certaines heures, en de certains lieux, à de certaines ombres, dormir, c’est mourir. »
Victor Hugo
Voilà résumé en peu de mots et grâce au génie flamboyant de cet immense écrivain ma pensée depuis cette date fatidique du 7-Octobre 2023.
Et si je devais justifier ma présence ici, je reprendrais à mon compte les mots de Stefan Zweig à propos de Romain Rolland ; il n’avait pas oublié son second devoir, celui de l’artiste, qui est d’exprimer ses convictions.
Victor Hugo et Stefan Zweig et le reste est silence comme le dirait Hamlet. Un silence hallucinant, irréel, un silence qui efface des années de conscience, un silence qui donne immédiatement une limite à la mémoire humaine. 78 ans. Nous connaissons maintenant la date de péremption au-delà de laquelle tout peut recommencer.
Je ne savais pas lorsque j’ai visité le camp de concentration avec mes parents vers la fin des années soixante-dix puis en allant me recueillir à Auschwitz avec mon épouse lors d’un voyage multi confessionnel un peu plus récemment qu’il me serait donné de voir presque en direct un pogrom. Une meute faite d’hommes et de femmes venue puissamment armée pour massacrer le plus de juifs possibles.
À cette première stupeur est venue presque immédiatement s’en ajouter une autre, tout aussi horrible mais si j’ose dire moins claire, la relativisation par des responsables politiques, de certaines gouvernances, de personnalités de ces crimes atroces innommables que nous venions de regarder et que nous regardions encore.
Et puis comme si cela ne suffisait pas une autre stupeur est venue lorsque des pays enjoignirent cet État démocratique meurtrie au plus profond, blessé, pleurant ses morts encore fumants de ne pas répondre trop durement, de garder son calme et son sang-froid.
Une démocratie, la seule de ce Moyen-Orient encombrée de dictatures, d’autocraties, de théocraties, une démocratie qui pour beaucoup d’autres largement plus anciennes pourrait servir de modèle, attaquée, ignominieusement frappée, n’avait encore rien dit qu’on lui conseillait vivement de ne pas se montrer trop brutale dans sa réponse défensive.
Et puis du silence.
Ce même silence qui devait régner dans les rues de Paris, de Marseille, de Lyon, de Bordeaux, de Rouen, de Lille, quelques heures après les rafles de 1941 puis de 1942.
Mes lectures, mes questions posées n’ont jamais obtenues de réponses définitives, l’antisémitisme reste encore pour moi, aujourd’hui, une énigme.
Il est et restera pour moi une faillite humaine. La preuve absolue d’une faillite humaine.
Des jeunes gens antisémites, ça existe donc, cela ? Il y a donc des cerveaux neufs, des âmes neuves, que cet imbécile poison a déjà déséquilibré ? Quelle tristesse, quelle inquiétude pour le vingtième siècle qui va s’ouvrir !
Quelle désespérance que cette constatation puisse se faire soixante-dix-huit années après la fin de la Seconde Guerre mondiale qui a vu disparaître plus de six millions de Juifs dans les camps d’extermination nazis.
En moi s’élèvent des voix anciennes, des vigilances de tout temps et de toutes origines refusant cet imbécile de poison.
Et en tentant de mettre, s’il est possible, la question antisémite de côté pendant quelques instants, je me suis immédiatement demandé aux lendemains de ce 7-Octobre 2023, qu’aurions-nous fait, nous Français, face à une telle attaque ? Quelle serait notre riposte ? Quels sentiments nous inspireraient le silence des uns, les appels à la pondération des autres et par-dessus tout, la joie de beaucoup d’autres de nous voir ainsi endeuillé ? Que penserions-nous de la relativisation des faits ? De ces phrases rances et sans nuances mais qui se prétendent pourtant le fruit d’analyses géopolitiques se targuant de prouver que cela devait nous arriver un jour ou l’autre ?
Ne serions-nous pas meurtris et blessés doublement ?
Si je suis là aujourd’hui après plus d’un an d’hébétudes et de rages étroitement mêlées c’est que je me mets à la place du peuple israélien. De la même façon que j’aimerais que d’autres fassent ce même chemin s’il m’arrivait la même chose.
C’est pour cette raison que je me suis rendu en Israël en février dernier. Je voulais témoigner par ma présence de ma solidarité. Être là. Sur les lieux de ces massacres monstrueux. Parler avec des otages récemment libérés, regarder leurs yeux définitivement noircis de douleurs, éprouver mon imaginaire en me promenant dans la dévastation du kibboutz Be’eri. Regarder en silence des familles en attente de retrouver un jour un parent retenu en otage.
Je ne voulais de filtres entre cette réalité et moi. Plus d’analyses fussent elles savantes et impartiales. Plus de commentaires. Être là et ressentir. Se taire et laisser une partie de moi là-bas.
Revenir ému mais fort de ces visages croisés. Fort de cette détermination à se défendre contre cette barbarie.
Philippe Torreton, comédien et écrivain
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