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Published on 15 January 2009

L’Affiche antisémite en France sous l’occupation Par Diane Afoumado (*)

Après avoir longtemps été l’une des chevilles ouvrières du CDJC (Centre de Documentation Juive Contemporaine), l’historienne Diane Afoumado vient de rejoindre le United Holocaust Memorial Museum de Washington où elle dirige une équipe de chercheurs.


Sa nouvelle mission correspond, c’est tout un symbole, à la sortie de son nouvel ouvrage, dédié à Raul Hilberg et qui est le résultat de plusieurs années de recherches et d’investigation.
Publié avec le soutien du Centre National du Livre et de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah avec une préface de Jean-Jacques Becker, ce livre, richement illustré, permet de pénétrer les arcanes du monde de l’affiche politique et, dans notre cas, de l’affiche antisémite.
L’affiche, incontestablement, par le fait qu’elle s’impose au public des passants et des promeneurs, que, reproduite en nombre dans toutes les rues d’une ville, elle finit par imposer un message même auprès de ceux qui ne partagent pas les idées qu’elle véhicule, est un moyen redoutablement efficace de propagande. L’Occupant allemand de la France en sait quelque chose, lui qui, depuis une vingtaine d’années, déjà, en Allemagne, a pu expérimenter l’impact de ses campagnes antijuives sur la population.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les affiches sont éditées à la fois par l’Occupant nazi et les services de l’Etat français.
Outre les considérations techniques de taille et de format qui, certes ont leur importance ( Les affiches peuvent aller du quart Colombier, soit 30x40cm au quadruple Grand Aigle, soit 140x220 cm), l’intérêt de l’analyse qui porte sur des dizaines de modèles , est de mettre en évidence les thèmes, les couleurs, les slogans.
Le but premier de l’affiche antijuive est de frapper les esprits et, très vite, de persuader le public que le Juif est un être à part. Et peu importe que les portraits proposés se basent sur des considérations pseudo-scientifiques : le Juif, c’est l’étranger, « composé » d’un quart de sang blanc, d’un quart de sang noir, d’un quart de sang mongol et, quand même, d’un quart de sang aryen. Il a le nez crochu, les yeux en amande conférant un regard fourbe, des lèvres lippues, des oreilles épaisses et décollées, des cheveux crépus, des doigts crochus en forme de serres de rapaces qui, souvent, enchâssent gloutonnement le globe terrestre et plus précisément la France et l’Europe.
Pour être encore explicite, les « créateurs » antisémites surajoutent des symboles religieux reconnaissables : l’étoile de David, le chandelier, la calotte (on ne parlait pas encore de kippa), le châle de prière et le rouleau de la Torah. Ou encore de simili caractères hébraïques.
Au besoin, le Juif (mais aussi le franc-maçon, le gaulliste, le bolchevique ou l’Américain) est
assimilé à un animal odieux, loup, rat, serpent, crabe. A l’occasion, la comparaison avec des maladies graves : tuberculose, syphilis, cancer qui, elles, cependant, sont guérissables, sont mises en opposition avec le péril juif, sans remède. D’où la proposition d’une affiche de septembre 1941 : « Il faut en finir avec le plus grand des fléaux : le Juif ». Ou celle-ci, de 1942 : « Les Juifs assassinent dans l’ombre. Marquons-les pour les reconnaître ! »
Sans oublier les attributs supposés d’une richesse malhonnêtement accumulée : pièces d’or, sacs de billets…
Enfin, la couleur joue un rôle important. Le jaune, bien sûr, couleur précisément de l’or, couleur dépréciée aussi dans le langage populaire : on rit jaune, les « jaunes » brisent les grèves, la jaunisse est une maladie, mais aussi le noir, couleur inquiétante et mystérieuse.
Une très intéressante étude thématique permet à la fois d’examiner par le menu de nombreuses affiches et de rappeler les noms des auteurs de l’époque, qui, hélas, connurent alors leur heure de gloire. Ainsi l’affiche pétainiste « Révolution nationale » se donne pour objectif de mettre en opposition la belle maison « Travail-Famille-Patrie » et l’immonde « France et Cie » en ruine basée sur la paresse, la démagogie, l’internationalisme et…la juiverie. L’affiche de 1943, due à Hamish , « Et derrière, le Juif », regroupe symboles et attributs divers : le Juif caricatural avec en pendentif son étoile d’or, entouré des drapeaux américain et…soviétique. L’affiche de la Ligue Française de Pierre Costantini dessinée par René Péron, qui prône l’expulsion de tous les combinards du ghetto et d’ailleurs, bref, le nettoyage ethnique. Sous l’impulsion de la même Ligue, les affiches « Assez », très explicite, « France, prends garde aux revenants » ou « Finie la Comédie », en d’autres termes : « Bas les masques juifs ».
L’immonde exposition « Le Juif et la France » au Palais Berlitz du boulevard des Italiens, réplique locale de celle proposée à Vienne sous le titre « Der Ewige Jude », « Le Juif éternel », est marquée par deux affiches, la plus connue étant celle de René Péron avec un personnage juif caricatural enserrant entre ses doigts crochus la planète, l’autre de Michel Jacquot où l’ « invasion juive » de la France, semble se mesurer à la taille du nez du personnage qui occupe la plus grande partie de l’affiche.
Un cas intéressant et emblématique est celui de l’affiche du candidat antisémite Adolphe Willette, aux législatives de septembre 1889, affiche reprise à l’identique en octobre 1943 avec un léger ajout : « L’antisémitisme n’est pas une invention du 20ème siècle ».
La fameuse « Affiche Rouge » contre le groupe Manouchian dans lequel opéraient de nombreux Juifs fait l’objet d’un développement intéressant ainsi que les papillons, les tracts et les brochures antisémites de la même époque.
Edifiant ! Un excellent travail qui mérite d’être salué.
Jean-Pierre Allali
(*) Editions Berg International. Août 2008. 178 pages grand format. 22 euros.
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