Tribune
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Published on 14 January 2014

L’Iran et l’antisémitisme en France

Par Marc Knobel

 

Est-ce qu’en France, des diplomates iraniens auraient entretenu un dialogue quelconque avec des militants de l’ultra-antisionisme, des islamistes, des antisémites et des responsables de l’extrême droite ? Cette question mérite d’être posée. Est-ce qu’en France, les Iraniens auraient aidé financièrement cette nébuleuse ? Dans ce court article, nous nous penchons sur quelques exemples caractéristiques. 

En 1986, la librairie négationniste Ogmios et l’attaché de l’ambassade d’Iran à Paris

 

La librairie Ogmios (dans le 1er arrondissement de Paris), propriétaire du château du Corvier (Loir-et-Cher) où se réunit le Parti nationaliste français et européen (PNFE, créé en 1987), est un des lieux de rassemblement les plus prisés des néonazis français. Elle est dirigée par Trystan Mordrel, exclu du GRECE et Jean-Dominique Larrieu, alias Bertrand Leforestier, cofondateurs des éditions Avalon, qui ont offert en 1986 au public français la première traduction du « Mythe du XXe siècle » d'Alfred Rosenberg, « le père de la littérature national-socialiste ». Leur principal « conseiller littéraire » est Olivier Mathieu, qui après avoir fait partie de la mouvance du GRECE, n'y a pu entrer en raison de ses tonitruantes déclarations hitlériennes et antisémites publiques (1).  1986 : les RG découvrent que Wahid Gordji, un attaché de l’ambassade d’Iran de l’époque, et le banquier suisse François Genoud fréquentent la librairie néonazie Ogmios, qui affiche par ailleurs des sympathies pro arabes (2). Larrieu jouait sur plusieurs fronts, entretenant également des liens très étroits avec le célèbre Gordji. Par son intermédiaire, l’Iran finança plusieurs publications éditées par la nébuleuse Ogmios. Larrieu fut même invité en Iran, sur le front de guerre Iran-Irak notamment, d’où il rapporta quelques « souvenirs » qui furent retrouvés chez lui au cours d’une perquisition. Car, selon Le Monde, l’iranien avait remis un chèque d’un montant de 120.000 francs (environ 18 .000 euros) aux dirigeants des Éditions Avalon et de la librairie. Toujours selon Le Monde, l’argent a servi de caution bancaire pour l’édition du catalogue de vente par correspondance de la librairie.

 

Avril 2010 : l’ambassadeur d’Iran rencontre l’extrême droite radicale

 

Des militants ou des leaders de groupes et groupuscules d’extrême droite rencontrent l’ambassadeur de la République islamique d’Iran. Seyed Mehdi Miraboutalebi dit vouloir « approfondir les relations entre les deux peuples […] parce que les médias injectent des idées préconçues dans les opinions publiques [sur l’Iran] ». Il se prête alors à un jeu de questions-réponses dans un bar parisien du Vème arrondissement tenu par un ex-militant du Renouveau français (3), ex-colistier de la liste antisioniste de Dieudonné, très proche des hooligans du PSG et des ultranationalistes serbes (4). Et cette « causerie » est organisée par le journal Flash, bimensuel d’une extrême droite qui se veut altermondialiste et dans lequel écrivent, entre autres, Christian Bouchet (5), Philippe Randa (6), Alain Soral et Alain de Benoist. Ce dernier se tient d’ailleurs aux côtés de l’ambassadeur. Dans la salle se trouvent Marc George (7), ex-secrétaire général d’Égalité et Réconciliation, qui s’est converti à l’islam, Jacques Bordes, un nationaliste-révolutionnaire proche de feu François Duprat, très introduit dans certains cercles du Proche-Orient ; Thomas Werlet du Parti solidaire français, un groupuscule nationaliste-socialiste; Pierre Panet, ami de Dieudonné et auteur d’un texte intitulé « Faurisson, un humaniste » (8). Cette brochette, rassemblée autour de l’ambassadeur d’Iran, révèle la collusion d’idées qui rapproche certains groupes antisémites et/ou d’extrême –droite, apparemment désireux de travailler avec l’ambassade d’Iran. Quant à leur l’ambassadeur, cela ne lui pose aucun problème : il scelle ainsi une alliance entre islamistes, antisionistes et ultra-antisémites et/ou militants d’extrême droite. Parmi les « personnalités » les plus emblématiques, arrêtons-nous sur une figure qui donne corps à toutes ces collusions : Yahia Gouasmi.

 

Un proche d’Ahmadinejad et de Dieudonné : qui est Yahia Gouasmi ?

 

Dans le sillage de Dieudonné, on voit revenir sans cesse un nom : Yahia Gouasmi. L’homme qui l’a accompagné en Iran et qui préside le Parti antisioniste, le centre Zahra et la Fédération des chiites de France. Qui est-il ?

 

Le journaliste Boris Thiolay a rencontré Gouasmi au siège du centre Zahra, une association musulmane chiite fondée en 2005 et installée dans des bâtiments de brique rouge ouvrant sur une cour intérieure à Grande-Synthe (Dunkerque). L’objectif de ce centre est de faire connaître le message de l’islam chiite. Ses membres, parmi lesquels de nombreux convertis, viennent ici célébrer la prière, en profitant « d’une structure d’accueil à caractère social, familial et religieux ». Ils assistent aussi à « des colloques, des journées d’étude » ou animent le site Internet de l’organisation. Or la consultation de ce site révèle rapidement une autre activité récurrente du centre : la diffusion d’images et de déclarations antisionistes très virulentes, selon L’Express. Le 20 février 2009, on pouvait ainsi visionner, sous la rubrique « Galerie photos », des images terrifiantes, comparant le sort des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale à celui des Palestiniens face à l’armée israélienne. Le reportage s’intitulait « Le nazisme d’hier et le sionisme d’aujourd’hui ». Un amalgame qui va bien au-delà de la seule critique du sionisme. Ce site faisait aussi état d’une conférence organisée au centre Zahra en juillet 2008. Lors de ces journées consacrées à un improbable « appel à l’initiation d’une alliance stratégique amicale entre judaïsme et islam contre le sionisme », on voit défiler des personnages coutumiers de déclarations incendiaires, parmi lesquels Dieudonné (9). À l’époque, l’humoriste ne s’était pas encore affiché avec le négationniste Robert Faurisson, mais il avait déjà été condamné pour diffamation publique à caractère racial, notamment pour avoir qualifié la Shoah de « pornographie mémorielle ». Parmi les participants à la conférence de juillet 2008, on trouvait aussi Mohamed Latrèche, président du Parti des musulmans de France (PMF), qui fustige la « nébuleuse sioniste en France ». Bien entendu, Latrèche se défend vigoureusement du moindre antisémitisme, même si, en 2004, il s’était déclaré « fier et content de connaître Serge Thion », un chercheur révoqué du CNRS pour négationnisme. Le centre Zahra a également accueilli, en août 2008, Kémi Seba, un extrémiste noir dont le premier mouvement, la Tribu Ka, avait été dissous en 2006 pour incitation à la haine raciale et antisémitisme. Seba, qui s’est converti depuis à l’islam, dirige alors le Mouvement des damnés de l’impérialisme (10). D’autres noms interpellent aussi. Comme le père Michel Lelong, soutien du négationniste Roger Garaudy et favorable à la diffusion en France de la chaîne libanaise Al-Manar financée notamment par le Hezbollah. On trouve encore des soutiens au Hezbollah. Ou des liens avec le Parti solidaire français, formation nationaliste « d’aspiration socialiste », dont un cadre figurait sur la liste emmenée par Dieudonné aux Européennes de juin. On citera encore le nom d’Ahmed Moualek, responsable du site « La Banlieue s’exprime ». Liste non exhaustive. Mais on voit se dessiner un réseau dans lequel gravitent groupuscules d’extrême droite, négationnistes et antisionistes (11).

 

Un Gouasmi qui multiplie les provocations et les déclarations de sympathie pour le Hezbollah.

 

Un Gouasmi qui n’a jamais fait mystère de son attachement à l’Iran et à l’imam Khomeiny. Et les vidéos largement diffusées sur le net en attestent aujourd’hui encore.

 

Un Gouasmi qui permet à Dieudonné de rencontrer en novembre 2009, le Président de la République islamique d’Iran, Mahmoud Ahmadinejad. Selon le site Internet du parti antisioniste, l’entretien a duré une heure, et a permis d’aborder de nombreux sujets, dont le sionisme (12)…

 

Les visites d’antisémites et/ou militants de l’extrême droite radicale en Iran

 

Le  "Parti Solidaire Français "de Thomas Werlet  (ex-Droite socialiste et groupuscule particulièrement violent (13) qui développe un programme mettant en avant des thématiques « nationales » et « socialistes »  a été reçu avec les honneurs par Husseini  le Ministre de la "Culture" d’Ahmadinejad. Or, depuis quelques mois le régime iranien avait multiplié les contacts avec les représentants  de mouvements fascistes français, et cette visite s’est déroulée dans ce cadre. Depuis cette date,  un paquet de représentants  de l’extrême droite française on fait  de nombreux  voyages  chez Ahmadinejad.  Citons parmi ceux-là : Yahia Gouasmi, Dieudonné, Maria Poumier (14) et  Ginette Hess-Skandrani (deux militantes négationnistes), ou plus récemment l’écrivain et « journaliste » conspirationniste Thierry Meyssan, ainsi que le négationniste Paul-Éric Blanrue (auteur d’un film à la gloire du négationniste Robert Faurisson) et d’une pétition en faveur de la libération de Vincent Reynouard un militant négationniste (15). Ces deux derniers personnages ont fait partie en 2011 des invités officiels du 29e festival du film "Fajr" de Téhéran.

 

Le Parti antisioniste et l’argent des Iraniens

 

Le 3 avril 2013, sur le site internet www.agoravox.tv, a été mise en ligne une vidéo préalablement elle-même mise en ligne sur le site Dailymotion, relatant une interview de Monsieur Alain Soral, proche de MM Gouasmi et Dieudonné M’Bala M’Bala, au cours duquel AlainSoral indique que la liste électorale de ce parti dont le coût aurait été de trois millions d’euros, a été financé par l’Iran, qu’à défaut de la réception de ce financement, le parti n’aurait pu présenter de candidats aux élections : « Si on a pu faire la liste antisioniste qui a coûté 3 millions d'Euros, c'est parce qu'on a eu l'argent des Iraniens. Il faut le dire, il fait être honnête. Si on ne l'avait pas eu, on n'aurait pas pu le faire, on n’a pas trois millions d'euros. Surtout qu'on les a perdus. Parce que pour être remboursé, il fallait faire 5% au minimum (16). »

 

Rappelons ici que l’article L.52-8 alinéa 5 du Code électoral dispose que : « Aucun candidat ne peut recevoir, directement ou indirectement, pour quelque dépense que ce soit, des contributions ou aides matérielles d’un État étranger ou d’une personne morale de droit étranger ».

 

Bref, l’Iran et l’extrême droite radicale française : une vue de l’esprit?

 

Notes :

1)         Pierre-André Taguieff, « Les boutiques de la haine », Le nouvel Observateur, 28 septembre 1989.

2)         En savoir plus sur les relations entre François Genoud, Wahid Gordji et Carlos : http://www.lexpress.fr/informations/l-ami-de-carlos_611965.html#VU9D6BWZ...

3)         Le Renouveau Français est un groupuscule d’extrême droite.

4)         http://droites-extremes.blog.lemonde.fr/2010/04/14/lambassadeur-diran-a-....

5)         Sur Christian Bouchet, voir, par exemple : Jean-Yves Camus, Les Droites nationales et radicales en France, Lyon, PUL, 1992, pp. 329-330 et 341, 436, 482 ; « Christian Bouchet : Docteur Jeckyll ou Mister Hyde », Réflexes, n° 51, printemps 1998. Voir aussi Nolwenn Le Blevennec, « Législatives : Christian Bouchet, candidat FN et sa “légende noire” contre Ayrault », Le Nouvel Observateur, 21 mai 2012.

6)         Sur Philippe Randa, voir l’enquête de Guy Laurent, « L’extrême droite française s’installe à Liège », RésistanceS, Observatoire belge de l’extrême droite, disponible sur www.resistances.be (info@resistances.be), article mis en ligne le 20 août 2007.

7)         http://oumma.com/Marc-George-directeur-du-site.

8)         http://droites-extremes.blog.lemonde.fr/2010/04/14/lambassadeur-diran-a-....

9)         Voir Boris Thiolay, « Les amis très particuliers du centre Zahra », L’Express, 27 février 2009.

10)       Thiolay, « Les amis très particuliers du centre Zahra », art. cit.

11)       http://dailynord.fr/2014/01/dieudonne-yahia-gouasmi-et-liran-une-vieille...

12)       http://www.partiantisioniste.com/diaporamas/dieudonne-et-yahia-gouasmi-r...

13)       Voir Marc Knobel, Haine et violences antisémites 2000-2013, op.cit., pp. 236-242.

14)       Sur Maria Poumier, ibid., pp. 236-240.

15)       Voir à ce sujet « L’extrême droite de Thomas Werlet reçue en grande pompe à Téhéran », Soliranparis, blog du 2 novembre 2011.

16)       http://www.agoravox.tv/tribune-libre/article/alain-soral-c-est-l-iran-qu...