Valérie Zenatti : “La rencontre avec Aharon Appelfeld m’a fait gagner des dizaines d’années”

 
Par Yohav Oremiatzki, publié dans Télérama le 29 août 2016
 
Valérie Zenatti a traduit de l’hébreu vers le français dix livres d’Aharon Appelfeld. Romancière et traductrice, elle entretient avec l'écrivain israélien une relation faite d’admiration, de complicité et d’affection. Personne-clé du portrait-documentaire consacré à Aharon Appelfeld, “Le Kaddish des orphelins”, diffusé ce lundi 29 août sur France 3, elle revient sur quelques scènes du film d’Arnaud Sauli.
 
Depuis 2004, elle a traduit de l’hébreu vers le français dix livres d’Aharon Appelfeld. Pour Valérie Zenatti, l’écrivain israélien rescapé de la Shoah, aujourd'hui âgé de 84 ans, est un héros. « Mon héros », dit-elle. Au fil des années, il est devenu un proche qu’elle retrouve chaque fois qu’elle se rend à Jérusalem. « Cet écrivain m’apparaît comme Kafka, Schnitzler et Zweig réunis. Kafka, Schnitzler et Zweig qui auraient vécu la Catastrophe, et lui auraient survécu. Je suis sous le choc de la découverte. On appelle cela une rencontre », écrit la romancière et scénariste de 46 ans dans Mensonges (1), un petit livre de fausses confessions, souvenirs d’enfance, contes jouant de l’illusion littéraire pour traduire l’essence de sa relation avec Aharon Appelfeld, à la fois rencontre littéraire et rencontre avec elle-même.
 
Dans l’émouvant portrait-documentaire consacré à ce maître de la littérature israélienne, Le Kaddish des Orphelins, tourné par Arnaud Sauli à Jérusalem, entre 2013 et 2015, et diffusé lundi 29 août sur France 3, Valérie Zenatti interroge longuement l’auteur sur sa vie et sa conception de la littérature. Elle commente quelques passages clés du film, entre séances de travail et confidences. 
 
« Pour parler d’Aharon Appelfeld, il faut partir de son point de départ à lui. Je l’ai vu répondre très souvent aux questions qu’on lui posait par le même début de réponse : ‘‘Je suis né à Czernowitz en 1932’’. Ensuite, il déroule un fil où il englobe de manière circulaire tout ce qui l’a précédé (une mémoire juive, la spiritualité de ses grands-parents, l’engagement politique de ses oncles et tantes…) et tout ce qui lui a été contemporain et est devenu la matière de ses romans, non parce que c’est une matière historique qui a ébranlé l’Europe, mais parce que c’est son enfance à lui.
 
Pour parler d’Aharon Appelfeld, il faut donc parler de son enfance. Ce n’est pas un ‘‘écrivain de la Shoah’’ ou de la guerre, c’est un écrivain de l’enfance. Je pense d’ailleurs que si Aharon Appelfeld n’avait pas traversé la guerre, il aurait tout de même été écrivain, il aurait écrit sur son enfance. Tout jeune, il avait déjà cette sensibilité, cette inquiétude, cet émerveillement propres aux écrivains. C’est un fils unique. Sa mère l’a incroyablement aimé. Il a eu un éveil sensoriel et sensuel qui est une part importante de son œuvre et a tendance à échapper à la critique car on cherche chez lui le témoin, l’autorité morale. Or, ce n’est pas du tout une autorité morale. Je le trouve très drôle et même malicieux »... Lire l'intégralité.