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Published on 31 October 2018

Pittsburgh - Les cérémonies d'hommage organisées en France

Face au deuil qui a frappé la communauté nationale américaine, la communauté juive française a rendu hommage aux victimes de ce tragique événement à travers plusieurs cérémonies et offices.
Face au deuil qui a frappé la communauté nationale américaine après l'attaque antisémite de la Synagogue de Pittsburgh, la communauté juive française s'est unie et a rendu hommage aux victimes de ce tragique événement.
 
Plusieurs cérémonies et offices d'hommage ont été organisés en France.
 
Parmi eux, une cérémonie à la Synagogue de la Victoire, organisée hier à l'initiative du Consistoire, avec le soutien du Crif.
Le Ministre de l'Intérieur Christophe Castaner a assisté à la commémoration.
Le Président du Crif, Francis Kalifat, était également présent, accompagné de Benjamin Allouche, membre du Bureau exécutif du Crif et de Robert Ejnes, Directeur exécutif.
Joël Mergui, président du Consistoire et Michel Gugenheim, Grand Rabbin de Paris ont prononcé des allocutions.
 
Ce même-soir, un office s'est tenu dans la Synagogue du Mouvement Juif Libéral de France (MJLF). Le Rabbin Delphine Horvilleur et le Président du MJLF y ont respectivement prononcé un sermon et un discours en hommage aux victimes.
Yonathan Arfi, vice-Président du Crif, et Jean Cohen, membre du Bureau exécutif, ont assisté à l'office.
 
La communauté lilloise a aussi rendu un hommage vibrant aux disparus de Pittsburgh à l'occasion d'un office organisé à la Synagogue de Lille, conduit notamment par le Grand Rabbin de France, Haïm Korsia.
 
À l’initiative du Crif Marseille-Provence, du Consistoire israélite de Marseille et du Fonds social juif unifié, et en présence du consul des États-Unis, Simon R. Hankinson, un office s'est également déroulé à la Grande Synagogue de Breteuil à la mémoire des victimes.
 
Un hommage a aussi été rendu à la Synagogue de Bordeaux, organisé notamment par le Crif Aquitaine et le Consistoire Bordeaux-Aquitaine.
 
Lundi soir, la Synagogue Maayane Or de Nice avait également proposé un office d'hommage.

Aujourd'hui, un hommage national en Pennsylvanie sera rendu aux 11 victimes de l’attentat auquel participera le Rabbin Moshé Sebbag, au nom du judaïsme français. 

Hier, mardi 30 octobre, le vice-Président du Crif, Yonathan Arfi, s'est rendu à l'Ambassade des Etats-Unis à Paris pour signer le registre des condoléances.

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Drasha* du Rabbin Delphine Horvilleur - Synagogue du MJLF, 30 octobre 2018

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L'antisémite et l'autre
 
Il était 10h30 lorsque nous avons commencé l’office samedi matin dans notre synagogue, ici même. Comme dans toutes les synagogues du monde chaque semaine, nous avons lu et commenté un extrait de la thora. Et samedi dernier, on lisait un passage de la Genèse, qui porte le nom de VAYERA, où il est question de la visite inattendue d’envoyés de Dieu à Abraham.
 
Vous vous souvenez peut-être de cet épisode : Abraham lève les yeux, aperçoit des visiteurs et les accueille avec bienveillance. Cette scène de la Bible va devenir l’illustration de ce qu’est la plus grande force, ou la valeur centrale du monde d’Abraham : sa capacité à faire de la place à l’autre.
 
Et puis juste après dans la Thora, changement de lieu, changement de décor : on retrouve des mêmes envoyés de Dieu mais cette fois ils arrivent dans les villes de Sodome et Gomorrhe, et là, l’accueil n’a plus rien à voir. Les villes se liguent contre eux et tentent de les violenter et de les tuer. Pourquoi cela ? Parce que, dit la tradition, dans ces villes, il est formellement interdit d’accueillir des étrangers.
La particularité, la dépravation de ces villes, disent les commentateurs, n’est pas d’ordre physique ou sexuelle, contrairement à ce qu’on suggère parfois. Non, la faute de Sodome et Gomorrhe, qui mène tout droit à leur destruction, est une faute morale : la peur ou l’incapacité à faire de la place à l’autre dans son monde.
 
Il y a d’un côté le monde d’Abraham et de l’autre le monde de Sodome et Gomorrhe.
 
Samedi matin, à l’instant où à Pittsburgh, on s’apprête à faire ce récit et à lire ces mêmes versets, surgit à la synagogue Etz Haimun assassin qui brandit son arme et hurle « tous les Juifs doivent mourir. » Cet homme passe à l’acte après avoir écrit sur les réseaux sociaux - et hurlé à qui voulait l’entendre - qu’à ses yeux, les Juifs étaient responsables de la perte de l’Amérique : le déferlement de migrants qui s’apprêtaient à la contaminer et la détruire.
Je ne crois pas que cet homme avait lu la parashade la semaine, ni qu’il s’intéressait beaucoup à l’exégèse rabbinique. Mais je crois que le monde de Sodome et Gomorrhe hurlait en lui, d’une façon très particulière. Comme il hurle toujours au cœur de la haine antisémite, d’où qu’elle vienne et où qu’elle se manifeste, même quand celui qui l’énonce est persuadé d’être le porte-parole de l’humanité.
 
La haine antijuive, vous le savez, a pris dans l’Histoire des formes et des visages différents. Elle a muté constamment, comme un organisme capable de renaitre sous des formes nouvelles et parfois inattendues. Or, l’une des caractéristiques de cette haine est qu’elle a pu à toute époque, dire des Juifs une chose et son contraire.
 
On a reproché aux Juifs d’être trop riches ou trop pauvres, de diriger la nation comme des maitres ou au contraire de vivre à ses dépens comme des parasites. On a dit que les Juifs étaient trop bourgeois, ou trop révolutionnaires, trop capitalistes ou trop bolcheviques, trop bling bling ou trop discrets. Qu’ils représentaient le système ou qu’ils menaçaient le système. On leur a reproché de ne pas croire en Jésus ou au contraire de l’avoir inventé. D’avoir perverti le monde par le féminisme ou d’avoir inventé le patriarcat. D’être un peu trop blanc ou pas assez. On leur dit de retourner en Israël ou de ne surtout pas s’y installer. On leur reproche d’être un peu trop différent ou d’être un peu trop comme les autres. On pourrait continuer à l’infini cet inventaire à la Prévert, sans jamais épuiser son incohérence.
 
Le discours antisémite n’a pas besoin d’être cohérent pour muter et retrouver de la vigueur.
 
Mais au cœur de ces incohérences, il est un point commun à tous ces moments antisémites, qui resurgissent et n’épargnent aucun lieu et aucun temps – jusqu’à une Amérique qui se croyait à l’abri. Le Juif est toujours perçu à un moment donné comme la figure de l’altérité. Soit parce qu’il est l’Autre avec un grand A, soit parce qu’on l’accuse de faire entrer de l’Autre dans notre monde, alors qu’on voudrait tellement ne pas y être dérangé. On l’accuse de rendre le monde - et ses frontières, ses identités ou ses idées - un peu trop poreux.
Or, rien n’est plus angoissant pour celui qui croit qu’il existe sans l’autre. Tenter de se débarrasser du Juif, c’est toujours s’imaginer qu’on va pouvoir faire sans l’Autre. Cette illusion mortifère, dans la tradition biblique, porte le nom d’un lieu : Sodome et Gomorrhe, vouées à la destruction.
 
Lutter contre l’antisémitisme pour une société est un combat vital. Ce n’est pas un combat vital, seulement pour les Juifs qui veulent continuer à y vivre.C’est un combat vital parce que le sort des Juifs dans une société raconte, énonce et préfigure toujours la place qu’on fera à tous les autres, à la possibilité de la différence dans la société où le fléau frappe à la porte.
 
Ce fléau frappe la France, comme il frappe les Etats-Unis, et comme il frappe à bien d’autres adresses aujourd’hui, partout dans le monde. Et l’heure est pour les enfants d’Abraham - qu’ils croient ou pas en son histoire ou en ces textes - exactement comme dans cet extrait de la thora, à relever les yeux comme le fait Abraham et à voir ce qui nous arrive ensemble.
 
L’heure est à comprendre une fois pour toutes que la haine de l’autre débouche invariablement sur la violence faite à l’autre, et que les mots contre l’autre donnent bien souvent la mort à l’autre. En hébreu il n’est qu’un seul mot pour dire la parole et le geste. Un seul : DAVAR, qui en hébreu signifie la parole, le langage mais aussi la chose, l’objet concret, l’action. En hébreu, le mot annonce déjà le geste.
Voilà pourquoi plus que jamais cette vigilance aux paroles est le devoir de chacun. Seule cette vigilance peut aussi faire garder espoir, faire pousser une nouvelle génération autrement, la faire grandir comme on cultiverait un arbre. ETZ HAYIM : un arbre de vie, comme celui qui poussait au cœur du monde à ses origines.
 
Que le souvenir des victimes de Pittsburgh, et de toutes les victimes du terrorisme, du racisme et de l’antisémitisme nous oblige et nous guide encore dans les années à venir. Puissions-nous être à la hauteur de leur mémoire et, selon les mots de notre tradition, tisser leurs âmes à nos existences.
 
*Une drasha est le sermon prononcé par un Rabbin au cours d'un office religieux
 
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