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Published on 28 October 2019

France/Religion - Sondage : Face à l'islam, les Français s'inquiètent

Selon l'enquête menée par l'Ifop pour le JDD, une grande majorité de la population souhaite une interdiction de plus en plus large des signes religieux ostensibles.

Publié le 26 octobre dans Le Journal du Dimanche

La question de la ­laïcité face à la montée de l'islamisme divise davantage le monde politique que les Français. L'enquête approfondie effectuée par l'Ifop pour le JDD révèle un net durcissement de l'opinion face à toutes les manifestations religieuses dans l'espace public et confirme une focalisation particulière envers la religion musulmane. À Emmanuel Macron, qui assurait jeudi que le port du voile hors des enceintes scolaires n'était "pas [son] affaire", les citoyens répondent en quelque sorte que c'est la leur.

De fait, si la lutte contre l'islamisme et la défense de la laïcité arrivent loin derrière la santé et le chômage parmi leurs priorités, les Français expriment à la fois ­inquiétude et sévérité sur ces sujets. Pour 78% d'entre eux, le modèle français issu de la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l'État "est en danger" (+4 par rapport à une précédente étude en mars) – majorité écrasante qui se mesure dans toutes les catégories sociales, toutes les générations et tous les camps politiques (91% chez les sympathisants du RN, 85% à droite, 79% à LREM, 68 % à LFI, 64% au PS). En outre, 80 % considèrent que la question de la laïcité "se pose différemment s'agissant de la religion musulmane" et 61 % jugent même l'islam "incompatible avec les valeurs de la société française" (+8 par rapport à février 2018).

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Le clivage gauche-droite resurgit sur la question de la laïcité 

Sur cette question, qui agite le débat politique depuis des mois, le clivage gauche-droite ressurgit clairement : 54% des sympathisants de La France insoumise et 55% de ceux du PS estiment que le culte musulman a sa place dans notre pays, quand 83% des partisans de LR et 85% des lepénistes y sont opposés. L'électorat du président de la République et de son parti se situent à mi-distance entre les deux blocs, affichant envers l'islam une réticence majoritaire mais dans de moindres proportions (57%).

Dans le même temps, "la définition de la laïcité semble en pleine mutation", relève Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'Ifop. Là où, en 2005, prévalait l'égalité entre les religions (32%) et la ­liberté de conscience (28%), ce sont désormais la séparation des cultes et de la politique (27%) ainsi que la volonté de "faire reculer l'influence des religions" (26%, + 17 par rapport à 2005) qui prédominent.

C'est l'islam qui est visé

Conséquence de cette évolution : les sondés se déclarent favorables à de multiples prohibitions pour cantonner les signes religieux en dehors de l'espace public. Répondant à la polémique récente au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, une large majorité (73%) souhaite l'interdiction de tout signe ostensible pour les parents accompagnant des sorties scolaires, mais aussi pour les usagers des services publics (75%) et les salariés des entreprises privées (72%), alors que la loi ne le proscrit actuellement que pour les agents publics.

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La volonté de fermeté (pour ne pas dire de fermeture) s'exprime également à travers le désir d'interdire les prières de rue et même les écoles coraniques, preuves supplémentaires que c'est avant tout l'islam qui est visé. Elle s'étend à toutes les classes d'âge (sauf chez les plus jeunes) et de revenus ; elle s'affiche de plus en plus massivement à mesure que l'on se ­déplace vers la droite sur l'échiquier politique. Ainsi, l'interdiction des signes religieux aux parents d'élèves est approuvée par 69% des sympathisants socialistes, 76% des macronistes, 86% des partisans des Républicains et 92 % de ceux du RN. De même, l'interdiction étendue aux usagers des services publics reçoit le soutien de 51% des partisans de Jean-Luc Mélenchon, 72% des sympathisants socialistes, 78% des électeurs LREM et 90% des partisans de la droite comme du parti de ­Marine Le Pen.

Le risque du décalage

Seule l'approbation donnée aux repas de substitution dans les cantines scolaires pour les ­enfants qui ne mangent pas de porc apparaît comme un signe de tolérance et de pondération : 61% des Français y sont favorables – mais cette proportion tombe à 47% chez les sympathisants de LR et à 44% chez ceux du RN. À noter aussi que même la fermeture des écoles coraniques, mesure radicale s'il en est, est plébiscitée par tous les électorats (80% des retraités, 69% des ouvriers, 70% des chefs d'entreprise, 55% des électeurs de gauche) sauf chez les 18-24 ans.

Face à une crispation aussi ouvertement affichée, les positions modérées du chef de l'État, dont le grand discours sur la laïcité et les propositions pour organiser l'islam en France se font toujours attendre, semblent l'exposer au risque du décalage. Certes, les Français semblent prêts à contribuer à la "société de vigilance" qu'il a appelée de ses vœux après la tuerie de la préfecture de police (57% estiment avoir "un rôle à jouer" pour détecter la radicalisation), mais c'est le Rassemblement national qui inspire la confiance du plus grand nombre (37%) pour affronter l'islamisme, loin devant le gouvernement et sa majorité (20%), encore plus loin devant Les Républicains (15%). S'il veut inverser cette tendance, Macron devra peut-être faire "son affaire" de la réaffirmation – voire de la redéfinition – de la laïcité.

L'enquête de l'Ifop pour le JDD a été réalisée les 24 et 25 octobre auprès de 1.011 personnes de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas, par questionnaire auto-administré en ligne et par téléphone. Marge d'erreur de 1,4 à 3,1 points.

 

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