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Published on 25 June 2020

Europe - Des européennes au Covid-19 : une année avec l'extrême droite

Une étude analyse les dynamiques des mouvements populistes et radicaux sur le Vieux Continent depuis un an. Elle note la difficulté des différents partis d'extrême droite à se rassembler sous une bannière unique européenne et alerte par ailleurs sur la tentation terroriste des plus extrémistes.

Publié le 11 juin dans Le Figaro

Difficulté d'union des populistes européens, effondrement électoral de l'extrême droite radicale, tentation accrue du terrorisme chez les plus extrémistes... Partant des élections de mai 2019 jusqu'à la crise du Covid, Jean-Yves Camus (directeur de l'observatoire des radicalités de la Fondation Jean Jaurès) et Nicolas Lebourg (CEPEL, CNRS-Université de Montpellier), tous deux spécialistes de l'extrême droite française et européenne, analysent dans une étude l'année écoulée pour cette frange politique sur le Vieux Continent. Parue jeudi 11 juin, elle est à lire sur le site de la chaire citoyenneté de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye.

La difficile cohérence de l'extrême droite parlementaire

En rugby, on dirait que l'essai n'est pas transformé. C'est le premier constat des deux chercheurs. Sur le papier, les facteurs semblaient réunis pour permettre à l'extrême droite de passer à la vitesse supérieure au niveau continental. Tout d'abord, le bon score des populistes aux européennes en mai 2019, suivis par plusieurs attentats d'inspiration islamiste susceptibles de mobiliser en sa faveur. Enfin le regain d'autoritarisme politique et un repli des sociétés sur elles-mêmes occasionnés par la crise du coronavirus, illustré par des mesures telles que la fermeture des frontières, qu'elle réclame depuis longtemps. Selon les chercheurs, l'occasion n'a pas été saisie. «L'extrême droite demeure très diverse, et ses formations n'ont guère d'agenda commun», estiment Jean-Yves Camus et Nicolas Lebourg, qui ajoutent : «Ses dynamiques travaillent les sociétés du Vieux Continent en profondeur mais tant avec des modalités différenciées qu'avec des convergences implicites.»

Un constat tout d'abord : les eurodéputés d'extrême droite peinent à se mettre d'accord entre eux, comparativement aux autres tendances politiques. Les membres de l'Europe des nations et des libertés (ENL, ancien groupe du Front national au Parlement européen), n'ont voté ensemble que dans 69% des cas. Ce taux monte à plus de 90% dans le cas des conservateurs, écologistes ou libéraux.

Ensuite, l'échec de la formation d'un «super-groupe» populiste unique. Le groupe Identité et Démocratie (ID), qui a pris la suite de l'ENL à Strasbourg, mené par le Rassemblement national français et la Ligue italienne, voit ses rangs s'élargir aux députés des Vrais finlandais et du Parti du peuple danois, deux belles prises politiques. Il devient ainsi le quatrième groupe du Parlement. Il échoue cependant à rallier les pro-Brexit du britannique Nigel Farage, qui décline les offres qui lui sont faites et préfère siéger en tant que non-inscrit avec ses troupes.

Le leader de Vox, Santiago Abascal (Espagne).

Le leader de Vox, Santiago Abascal (Espagne). Alberto DI LOLLI / AFP / POOL

Matteo Salvini et Marine Le Pen n'arrivent pas non plus à rallier nombre de formations de l'Est, plus que méfiantes face aux sympathies prorusses du RN, de la Ligue ou du FPÖ autrichien. La Russie représente pour ces anciens pays socialistes un repoussoir féroce et une menace toujours réelle. «C'est une ironie de l'histoire que les partis d'extrême droite de l'Ouest qui, durant la Guerre froide, se légitimaient en proclamant leur désir de libérer les Européens de l'Est du joug soviétique, se voient aujourd'hui reprocher leur tropisme prorusse par leurs potentiels alliés Est-européens», notent les auteurs. Autre souci : l'impossibilité de faire cohabiter les régionalistes flamands belges du Vlaams Belang avec les Espagnols de Vox, qui ont en partie bâti leurs récents succès électoraux sur leur opposition à l'indépendance catalane. En conclusion les chercheurs remarquent que «la question d'une internationale des populistes demeure extrêmement délicate».

Vers une dérive des radicaux

Les formations plus radicales connaissent une «déroute» dans les urnes. Les deux plus connues en Europe s'écroulent. Les néonazis allemands du NPD ont perdu leur unique député européen. L'Aube dorée, un temps troisième parti de Grèce, a été évincée du Parlement aux législatives de juillet 2019. Ces dégringolades n'empêchent pas leurs idées de perdurer, voire d'emprunter d'autres voies, plus violentes. «La question quant aux radicaux n'est pas leur potentielle ascension politique, mais relève des risques pour l'ordre public», expliquent Jean-Yves Camus et Nicolas Lebourg. Deux actes ont pu marquer l'opinion publique : l'assassinat d'un préfet allemand, Walter Lübcke, et la découverte d'un missile dans une planque d'armes de néonazis italiens.

Au-delà de ces affaires spectaculaires, ce sont 44 activistes européens qui «ont été arrêtés dans le cadre d'enquêtes sur la préparation d'actes terroristes. Ces militants étaient des citoyens d'Allemagne, d'Italie, de France, des Pays-Bas et de Tchéquie ; les Français représentaient néanmoins l'essentiel du contingent». C'est aussi plus du double de l'année 2017, où seuls 20 activistes avaient été stoppés par les forces de l'ordre.

L'Allemagne est particulièrement touchée par le phénomène. Dans le pays, le nombre de radicaux potentiellement violents est élevé mais stable, aux alentours de 13.000 personnes, le gros des troupes se situant en Allemagne de l'Est. Les manifestations anti-migrants de Chemnitz y ont marqué les esprits. Le 9 octobre 2019, une passante a été tuée devant une synagogue à Halle, située près de Leipzig. Mais l'Ouest n'est pas épargné. L'assassinat du préfet Lübcke, le 2 juin 2019 a eu lieu près de Cassel, en Hesse. Hanau, où s'est déroulée l'attaque des bars à chicha, le 19 février 2020, qui a fait 10 morts, se situe dans le même Länder. «Le manque d'issue politique […] peut amener certains militants [radicaux] à considérer que le passage à la violence devient la seule option rationnelle pour obtenir le basculement auquel ils aspirent. C'est, d'ailleurs, un thème récurrent dans les marges violentes : face au “système” anesthésiant les masses, l'emploi de la violence n'est pas improductif ou amoral car il permet “l'éveil” des populations à la gravité de la situation.»

 

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