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Published on 20 October 2020

France - Attentat de Conflans: cinq minutes pour comprendre le débat (relancé) sur l’anonymat en ligne

Plusieurs élus demandent de pouvoir lever l’anonymat sur les réseaux sociaux beaucoup plus rapidement après des actes terroristes, en réaction à l’assassinat de Samuel Paty. Décryptage.

Publié le 20 octobre dans Le Parisien

Ligue du Lol, Affaire Griveaux, attentat à Conflans-Sainte-Honorine… Le point commun à tous ces événements des deux dernières années et qui n'ont pourtant rien à voir entre eux? À chaque fois, plusieurs élus (parfois les mêmes) demandent de pouvoir mettre fin à l'anonymat sur Internet. En janvier 2019, Emmanuel Macron s'était lui-même prononcé en faveur d' « une levée progressive de toute forme d'anonymat » en ligne.


Voici les clés pour comprendre ce débat qui revient une nouvelle fois sur la table après l'acte terroriste ayant visé Samuel Paty, et pourquoi les questions posées vont souvent bien au-delà de ce seul sujet.


Anonymat, pseudonymat… De quoi parle-t-on ?


Commençons par un point lexical. L'anonymat consiste en la possibilité de naviguer sur Internet, et notamment sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, etc), sans être identifié. « Il existe des dispositifs qui permettent un anonymat quasiment absolu, comme des réseaux chiffrés (VPN, TOR) ou des services d'anonymisation en ligne, mais ça ne concerne qu'une petite minorité de personnes », nous indiquait l'an dernier Tristan Mendès France, enseignant au Celsa et spécialiste du numérique.


Dans les faits, les forces de l'ordre ont quasiment toujours des moyens de retrouver un utilisateur, par exemple avec l'adresse IP de l'appareil utilisé. « Celui qui le veut vraiment et qui en a les moyens et connaissances techniques peut rester anonyme. Mais, la plupart du temps, on laisse tous des traces sur Internet : avec la géolocalisation, les adresses IP, des traces d'achat », développe l'avocat Eric Morain. « C'est une légende de pouvoir être totalement anonyme sur les réseaux sociaux. La meilleure façon de le rester est de ne pas y être présent », tranche de son côté le député LREM Eric Bothorel, qui suit de près ces questions.


C'est pourquoi on parle le plus souvent de « pseudonymat ». L'utilisateur doit indiquer son nom et une adresse e-mail valide lorsqu'il crée son compte, mais il a ensuite toute possibilité de s'exprimer avec un pseudo. De plus en plus de plateformes imposent aussi un numéro de téléphone lors de certaines opérations voire dès l'inscription.


Que demandent ceux qui veulent mettre fin à l'anonymat en ligne ?


Xavier Bertrand, président de la région des Hauts-de-France et qui ne cache pas son souhait d'être candidat à la présidentielle 2022, veut « que l'anonymat pour ceux qui font l'apologie du terrorisme sur les réseaux sociaux soit levé beaucoup plus vite ». « Vous ouvrez un compte, vous donnez votre identité juste à l'hébergeur. S'il y a des menaces et l'apologie du terrorisme, on ne va pas mettre tant de temps que ça à fermer le compte, à condamner et poursuivre. Les réseaux sociaux sont un lieu d'impunité », a-t-il tonné sur RTL dimanche, deux jours après l'assassinat de Samuel Paty.


Son homologue d'Île-de-France, Valérie Pécresse, veut aussi « mettre en place une police des réseaux ». « C'est hallucinant que sous couvert d'anonymat, on puisse [y] faire n'importe quoi », s'est-elle emportée sur Public Sénat lundi. Dès 2016, le député Eric Ciotti (Les Républicains) avait présenté une proposition de loi contre le terrorisme prévoyant notamment l'obligation de présenter une pièce d'identité lors de l'inscription sur un réseau social.

Tout en se disant opposé à l'anonymat sur les réseaux sociaux », le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti estimait dans Le Parisien ce mardi que « le chemin de crête à trouver avec la garantie de la liberté d'expression [était] ténu ». « L'anonymat pas n'est forcément significatif de haine », a-t-il renchéri sur France Inter.

De nombreux experts mettent notamment en avant la possibilité pour les personnes menacées ou qui craignent des persécutions en raison de leur sexe ou de leur origine de s'exprimer plus librement.


Comment se défendent les réseaux sociaux ?


Très protectrices de la vie privée de leurs utilisateurs, les plateformes assurent que cela ne les empêche pas de coopérer avec les autorités… dans certains cas. « Les informations non publiques relatives aux utilisateurs de Twitter ne seront pas divulguées aux forces de l'ordre en l'absence de procédure judiciaire valide telle qu'une citation à comparaître, une décision de justice ou toute autre procédure judiciaire conforme à la loi », écrit par exemple le réseau à l'oiseau bleu dans ses règles de sécurité.


Facebook assure aussi « conserver et partager [les informations de ses utilisateurs] avec les organismes de réglementation, les autorités judiciaires ou d'autres » dans plusieurs scénarios, notamment « pour répondre à une demande légale, si nous pensons en toute bonne foi que la loi l'exige ».


Mais les avocats français s'agacent parfois de « faire face à un mur ». « La seule chose que peut faire un juge français dans certains cas est de délivrer une commission rogatoire internationale, envoyée via le magistrat de liaison à Twitter, qui pourra refuser de coopérer en vertu du premier amendement de la Constitution américaine qui protège la liberté d'expression », s'emporte le pénaliste Eric Morain, qui défend plusieurs victimes de cyberharcèlement. Car les grandes plateformes américaines n'ont pas toujours de représentants légaux en France.


« On est dans une zone grise de droit international », s'est emporté la ministre déléguée à la citoyenneté Marlène Schiappa ce mardi sur RTL, estimant que « les réseaux sociaux n'ont pas atteint ce stade de prise au sérieux ». Ce qu'elle a eu l'occasion de dire à leurs dirigeants, « convoqués » place Beauvau dans la matinée. Jean Castex a indiqué de son côté ce mardi après-midi à l'Assemblée nationale son souhait de mettre en place un « délit de mise en danger par la publication de données personnelles » sur Internet. Ce qui permettrait de renforcer l'arsenal législatif afin de contraindre plus facilement les plateformes à communiquer des informations personnelles.


Pourquoi le problème est-il plus complexe dans le cas de Conflans ?


Les réseaux sociaux auraient beau coopérer encore plus efficacement, cela n'aurait pas forcément changé grand-chose concernant l'assassinat de Samuel Paty. En effet, le compte Twitter utilisé par le terroriste pour revendiquer son acte avait déjà utilisé pour partager une photo de décapitation, l'été dernier. Signalé à la plateforme Pharos, il avait été transmis à l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat) pour analyse.


« Le signalement a été pris en compte mais pas considéré comme une menace grave. Il y en a des milliers comme celui-là chaque jour et il est difficile de faire le tri. Personne n'était visé nommément dans les messages », relevait auprès du Parisien une source policière.


« On est sur une ligne de crête et le débat ne se limite pas à la régulation des grandes plateformes. D'une part, il y a la question des moyens accordés aux services d'enquête. D'autre part, ceux qui le veulent peuvent toujours aller sur des réseaux beaucoup plus discrets qui ne coopèrent pas du tout », souligne Eric Bothorel. C'est d'ailleurs sur un site néonazi basé à l'étranger qu'une photo du cadavre décapité de Samuel Paty a été publiée ce week-end, entraînant l'ouverture d'une enquête pour « diffusion d'images de violence » par le parquet de Paris.