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Published on 10 November 2020

France - L’inquiétante défaillance du suivi des terroristes sortant de prison

Les libérations se poursuivent, sans surveillance durable.

Publié le 10 novembre dans Le Figaro

Alors que la France est plus que jamais exposée aux attaques terroristes, les sortants de prison islamistes n’ont jamais été aussi nombreux. Selon les chiffres auxquels Le Figaro a pu accéder, sur 505 personnes incarcérées pour des faits de terrorisme en lien avec l’islamisme, 273 ont été condamnées définitivement et 232 sont soit mises en examen, soit en attente de jugement.

Cette année, 63 ont déjà été libérées et une vingtaine devraient encore sortir d’ici au 31 décembre. Ce qui fera environ 80 islamistes ayant quitté leur prison pour la seule année 2020. Suivront un peu moins de 70 remises en liberté en 2021, une cinquantaine d’autres en 2022, puis une trentaine en 2023. Total en quatre ans: environ 230 sortants de prison.

«Il s’agit de chiffres a minima», précise un magistrat spécialisé. Car s’ajouteront au cas des personnes déjà condamnées, des libérations à venir de personnes en détention préventive qui finiront par être jugées elles aussi.

En tout état de cause, selon lui, «pour l’année qui s’achève, les sorties sont massives et l’explication n’est guère rassurante.» À l’entendre, en effet, «les gens qui sortent actuellement sont les djihadistes de la première vague, des individus souvent hyper entraînés et prêts à tout, y compris à mourir, pour certains.» Il ajoute: «Ils ont écopé de peines relativement limitées, de 5 à 6 ans de prison, parce que le départ pour les zones de combat en Syrie ou ailleurs n’était passible que de peines correctionnelles, c’est-à-dire d’un maximum de 10 ans de prison, quand ils ont été arrêtés.»

"Les gens qui sortent actuellement sont les djihadistes de la première vague, des individus souvent hyper entraînés et prêts à tout, y compris à mourir, pour certains" Un magistrat spécialisé

Ce n’est qu’après janvier 2015, sous l’impulsion de François Molins, alors procureur de la République de Paris, que les départs vers les théâtres de conflit ont été poursuivis au plan criminel. «Aujourd’hui, pour un simple départ, un djihadiste passe aux assises et peut être condamné à 15, 20, voire 30 ans de prison, en fonction de la gravité de ce qu’il a commis sur place», affirme un expert. La justice ne peut cependant agir rétroactivement pour le volumineux contingent des djihadistes condamnés avant janvier 2015, même si ceux-ci figurent parmi les plus fanatisés.

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Les autorités ne cachent pas leur inquiétude. D’autant que les instruments pour encadrer les terroristes à leur sortie de prison sont largement perfectibles. Leur suivi sociojudiciaire post-carcéral a été quasiment anéanti sous Jean-Jacques Urvoas et Bernard Cazeneuve, par la loi antiterroriste de 2016 qui prétendait durcir le régime de sanction auquel ils sont soumis.

Sur les 273 détenus islamistes condamnés définitivement, seulement 80 environ bénéficieront d’un suivi sociojudiciaire à la sortie de prison, dont une trentaine parce que cette mesure fut décidée lors du prononcé de la peine.

Un haut magistrat le regrette: «Les crédits de réduction de peine ont été supprimés pour les terroristes par la loi de 2016, alors que le temps des mesures de suivi sociojudiciaire est calculé précisément en fonction de ces réductions de peine. En croyant se montrer plus dure, la loi antiterroriste a paradoxalement favorisé les sorties sèches pour les individus les plus dangereux.»

Il y a bien des possibilités de suivi offertes spécifiquement aux personnes condamnées à plus de 7 ans de prison. Mais le législateur a calqué ce régime sur celui des délinquants sexuels, en obligeant à présenter le terroriste à un psychiatre. «Les médecins constatent le plus souvent que la personne présentée n’est pas folle, mais qu’elle a simplement fait des choix idéologiques», déplore un policier chevronné.

En clair: le système conditionne le prononcé d’une mesure de surveillance à l’appréciation des psychiatres qui jugent selon des critères médicaux, «alors que le critère le plus pertinent devrait être le risque de récidive», assure un responsable de la structure antiterroriste.

Certes, un suivi administratif est possible. Ce sont les fameuses Micas (mesures individuelles de contrôle et de surveillance) adoptées en 2017. Elles fixent aux sortants de prison concernés des obligations de pointage, de résidence, des interdictions de paraître ou de rencontrer certaines personnes. Mais ce suivi est très court: six mois tout au plus, renouvelables une fois. Et sous des conditions très limitatives.

Le juge exige notamment des «éléments nouveaux» pour accorder la prolongation des mesures. Les services doivent donc montrer patte blanche, au risque de mettre en danger des sources ou de révéler des méthodes ou des techniques de renseignement censées rester secrètes. Cruel dilemme. À tort ou à raison, l’antiterrorisme a le sentiment de combattre ses pires ennemis les mains liées dans le dos.