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Published on 7 June 2021

L'article de presse que vous avez le plus lu cette semaine

Repas casher, fêtes juives, musique : tout au long de cette année, l’Allemagne va fêter la vie juive dans toute sa diversité. La raison en est une loi romaine de l’an 321.

Cet article avait été publié dans le newsletter du 7 juin 2021. Il est l'article de presse que vous avez le plus lu cette semaine.

Europe - 1 700 ans de vie juive en Allemagne

Publié en février dans Deutsche Welle (source allemande)

Traduction de Suzel Vandmeen

Au 4ème siècle, remettre un décret impérial n’était pas chose facile. Déjà du seul point de vue de la logistique. Une vidéo à voir sur le site de l’association « 321–2021 : 1700 ans de vie juive en Allemagne » raconte, avec une pointe d’ironie, comment cela a pu se dérouler en ce temps-là, dans l’Empire romain. 

Cologne, à cette époque capitale de la province de Germanie inférieure, portant le fier nom de Colonia Claudia Ara Agrippinensium, semblait, vue de Rome en ce 4ème siècle, être à l’autre bout du monde. C’est là que l’empereur Constantin reçut une requête du Conseil de la ville de Cologne qui souhaitait réparer un pont en mauvais état. La ville au bord du Rhin ne disposait que de peu d’argent. Les habitants de Cologne écrivirent à l’empereur Constantin qu’un Juif, du nom d’Isaac, souhaitait leur venir en aide, mais devait  pour cela, disposer d’une fonction au sein du Conseil de la Ville.

Première preuve de l’existence de vie juive au nord des Alpes

Il est vraisemblable qu’en signant ce décret, l’empereur ne mesurait pas l’importance historique de ce témoignage. Car ce document est la source écrite la plus ancienne qui soit conservée, témoignant de la vie juive au nord des Alpes. On peut y lire : "Par cette loi valable dans tout l’empire, nous autorisons tous les Conseils de Ville à nommer des Juifs dans le Conseil de la Ville". Ce décret qui fut envoyé à Cologne, est la preuve indubitable qu’à cette époque, des Juifs vivaient à Cologne.

Dès les années 50, lors de fouilles sous la place de l’Hôtel de Ville de Cologne, des archéologues  découvrirent  les premiers trésors de la communauté juive. À cette époque, ils tombèrent sur les restes d’une synagogue datant du 11ème siècle et du bain rituel des femmes, le Mikvé. Cependant, quand lors de la reconstruction de la Cologne d’après-guerre en ruines, la place de l’Hôtel de Ville fut transformée en parking, les vestiges archéologiques disparurent à nouveau sous la terre pour des décennies. C’est seulement en 2007 que des archéologues dégagent à nouveau les pavés.

Des archéologues découvrent un quartier juif à Cologne

Et ce fut la découverte du siècle : l’enchevêtrement de ruelles, de murs, de caves et d’escaliers qui fut mis à jour lors des fouilles, se révéla être tout le quartier juif médiéval de Cologne. En existait-il déjà des éléments en 321 ?

Il est prévu que d’ici 2024, un musée voit le jour sur le lieu des découvertes archéologiques. Par ailleurs, Cologne a posé sa candidature pour devenir patrimoine mondial de l’Unesco. L’existence d’une vie juive au début du Moyen- ge est également attestée dans d’autres villes allemandes. À Augsbourg, des archéologues ont découvert une lampe à huile du 4ème/5ème siècle sur laquelle est représentée une Menora, un chandelier juif. À Trèves également, il y avait une vie juive, comme l’atteste un édit de l’empereur Valentinien 1er (364-375), interdisant le cantonnement de soldats dans les synagogues.

Cologne, centre de l’année de commémoration

Toujours est-il que le décret de Constantin de 321 est la source la plus ancienne et ainsi une preuve importante qu’à cette époque, différentes religions co-existaient. », comme l’indique Andrei Kovacs, responsable de l’association « 321 – 2021 : 1700 ans de vie juive en Allemagne » et co-organisateur de l’année commémorative.

À l’heure actuelle,il est particulièrement important de « rendre visible la vie juive », selon les mots de Kovacs. Le musicien et chef d’entreprise de 46 ans est issu d’une famille judéo-hongroise. Ses grands-parents ont survécu au ghetto de Budapest et au camp de concentration de Bergen-Belsen.

« L’anti-judaïsme et l’antisémitisme ont vraisemblablement plus de 1700 ans. Mais nous voulons également montrer quelle contribution les Juifs et les Juives ont apportée à la société pendant toutes ces années communes. », dit-il dans son interview avec la DW (Deutsche Welle).

« Aujourd’hui, de nombreuses et formidables initiatives sont prises dans notre société pour créer des rencontres entre Juifs et non-Juifs.

Des dessins contre le racisme

L’année des festivités est inaugurée le 21 février 2021 par une cérémonie officielle. Au nombre des manifestations, une exposition itinérante qui se base sur le décret de l’empereur Constantin et après Cologne, s’arrêtera dans d’autres villes de la Rhénanie du Nord-Westphalie ainsi qu’à Berlin. Vie quotidienne et histoire de la pensée du judaïsme en Allemagne sont présentées par thèmes « Le Bien et le Mal », « Vie et vivre ensemble », « Religion et histoire de la pensée juive » ainsi que « Visages, histoires et sentiments ». Toutes les semaines, un podcast illustre la diversité de la vie juive en Allemagne.                                                                                                                                               

« Notre stratégie est d’oser une nouvelle approche. Grâce à des manifestations accessibles, nous aimerions toucher des couches de la société les plus larges possible et faciliter ainsi l’accès à la culture juive » pour reprendre les mots de Andrei Kovacs dans son interview à la Deutsche Welle. 

Tout au long de cette année organisée dans toute l’Allemagne, un théâtre de marionnettes qui expliquera par le jeu ce que sont les fêtes juives, doit présenter le festival de danse et de performance « Israël est vrai », les plats typiques  de la nourriture casher et un « Été culturel juif ». En raison de la pandémie, il est prévu que cette présentation soit faite non seulement en analogique, mais aussi en digital. En cas de confinement, les temps forts culturels seront également proposés en ligne.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                 

Déconstruire les représentations anti-juives

Andrei Kovacs explique que « 1700 ans de vie juive en Allemagne » a été conçue  volontairement comme une manifestation ne regardant pas uniquement vers le passé. Certes, les thèmes tels que la persécution des Juifs et l’Holocauste en font partie, mais n’ont pas vocation  à être au premier plan pendant cette année commémorative. Au passé souvent difficile et tragique, nous voulons opposer une vision positive.

Pour Andrei Kovacs, un des temps forts est le projet « Sukkot XXL » qui  tente de présenter d’une manière simple, une fête juive, telle la Fête des Cabanes. « Nous aimerions construire et décorer ensemble une cabane, une « Sukka ». Il s’agit d’y passer beaucoup de temps, d’y manger et boire ensemble, d’échanger, de rire et de se disputer. C’est ainsi que nous souhaitons combattre les préjugés ou phantasmes éventuels.

Une nouvelle œuvre d’art contemporaine ayant pour thème la relation actuelle Juifs-Chrétiens verra le jour à la cathédrale de Cologne. Par la confrontation avec des sculptures antisémites, telles celle appelée « truie juive » de la cathédrale, l’archevêché de Cologne souhaite également apporter à l’année commémorative, une contribution qui incite à la réflexion. Le rabbin de Cologne Yechiel Brukner réclame une action radicale : « Ce serait formidable si on décidait avec courage et d’une manière révolutionnaire : Qu’on en termine avec les représentations antisémites de la cathédrale. »

Des discussions analogues sur ces œuvres d’art « grotesques » ont eu lieu ans d’autres églises allemandes. Jusqu’à présent, aucune n’a pourtant été enlevée. Lancer le débat peut permettre de mettre en pleine lumière des préjugés profondément ancrés. « J’espère que cette année, nous pourrons rendre visibles précisément de telles ‘blessures ouvertes’ et encourager de tels échanges qui sont importants. » dit Andrei Kovacs.

La beauté et la coexistence des religions doivent être au cœur de cette année commémorative.