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Published on 8 December 2021

France - Juifs d’Orient, une longue coexistence avant le départ

L’Institut du monde arabe à Paris consacre une exposition à l’Histoire du judaïsme au Moyen-Orient et au Maghreb, entre exodes et cohabitation. Et parfois même effervescence culturelle.

Publié le 6 décembre 2021 dans Le Figaro 

De gré ou de force, les communautés juives ont presque toutes disparu des pays arabes et musulmans. Prenant acte de ce monde englouti, et parfois nié dans les pays concernés, l’Institut du monde arabe (IMA) a réalisé une exposition flamboyante, racontant vingt-six siècles de présence juive en Orient. En ces temps de tensions entre Israël et certains pays musulmans, il a fallu une certaine détermination à l’IMA pour proposer un tel sujet, comme il l’avait fait, en 2017, avec sa grande exposition sur les chrétiens d’Orient.

280 objets religieux ou profanes relatent cette longue histoire, qui démarre dans l’ancienne Judée, passe par la Syrie, l’Irak, le Yémen, l’Iran, la Turquie et l’Afrique du Nord. Quarante musées et des collectionneurs privés, provenant de neuf pays, ont participé au récit de cette épopée historique - la scénographie, scandée par des mosaïques, des photos, des bijoux, des costumes, des musiques ou des archives est d’ailleurs belle et efficace.

Il a été visiblement difficile pour Benjamin Stora, commissaire de l’exposition, de résumer la présence et la vie de ces communautés dans les pays où elles s’installent durablement, d’autant que la notion d’Orient est assez vague. Le fil qu’il tire est celui de la permanence des rites juifs à travers le monde et les époques, cohabitant avec une assimilation et une «convivance» (cohabitions des juifs avec les Arabo-musulmans). Sur l’affiche de l’exposition figure ainsi la représentation d’un couple issue d’une fresque murale du IIIe siècle de la synagogue de Doura Europos, dans le nord-est de la Syrie. Un couple habillé de toges, comme les chrétiens de l’époque. La splendide synagogue est d’ailleurs reconstituée numériquement.

Une carte de la présence juive sous l’Empire romain, au Ier siècle, soit avant l’islam, montre un ancrage étendu, en Europe, en Syrie, en Égypte, mais aussi dans le nord de l’Afrique

La première partie de l’exposition s’attache aux temps anciens, à partir de l’exode des Juifs, qui se fait après la destruction du temple de Jérusalem, en 70. Une carte de la présence juive sous l’Empire romain, au Ier siècle, soit avant l’islam, montre un ancrage étendu, en Europe, en Syrie, en Égypte, mais aussi dans le nord de l’Afrique.

Tensions nationalistes

Au temps des dynasties, du VIIe au XVe siècle, la majorité des populations juives vivent dans le monde musulman et adoptent la langue arabe transcrite en hébreu. Une photo de 2020, signée Humberto da Silveira, montre le village fortifié de l’oasis de Khaybar en Arabie saoudite. À l’abandon, il dit la présence de communautés juives, au XIIe siècle, là où on ne les attendait pas. Bien que les juifs et les chrétiens aient un statut inférieur de «dhimmi» après la conquête musulmane, une effervescence intellectuelle a lieu.

Le XIXe siècle et le début du XXe sont ceux de la colonisation par l’Europe ou des mandats français et anglais (Liban, Syrie, Irak, Palestine…). Un basculement s’opère alors, chez les Juifs, en faveur de la culture européenne

Vient ensuite l’expulsion des Juifs par l’Espagne, en 1491 - une autre carte, dénommée «le temps des Sépharades», montre les chemins empruntés par les Juifs, notamment vers la Turquie, la Grèce, l’Égypte et, bien sûr, le Maghreb. S’ensuit une nouvelle page de cette «convivance», toute de même faite de hauts et de bas. Le XIXe siècle et le début du XXe sont ceux de la colonisation par l’Europe ou des mandats français et anglais (Liban, Syrie, Irak, Palestine…). Un basculement s’opère alors, chez les Juifs, en faveur de la culture européenne - visible sur cette photo du mariage de Cécile Zerbib et Albert Gruson, prise en Algérie en 1924, sur laquelle toute la famille est habillée à l’occidentale.

Le XXe siècle est donc celui de la rupture. Sous l’effet des tensions nationalistes - qui donnèrent parfois lieu, comme en Égypte, à de nouvelles expulsions ou spoliations -, de la création de l’État d’Israël, et de la décolonisation, les Juifs vont partir en masse vers la France, Israël ou le Canada. La dernière partie de l’exposition s’attache à montrer ces départs - on verra la campagne de photos de l’agence juive israélienne venant chercher d’humbles marocains des campagnes pour les acheminer vers la Terre promise. Reste aujourd’hui à peine 30.000 Juifs répartis entre l’Irak, la Turquie et le Maroc. Demeure aussi une diaspora qui entretient la mémoire de cet Orient perdu, et parfois fantasmé, avec une certaine nostalgie. Dans un corner défilent ainsi des archives de familles ayant vécu des heures heureuses en Tunisie, au Maroc ou ailleurs, avant de tout quitter: elles sont bouleversantes.

«Juifs d’Orient», à l’Institut du monde arabe (Paris 5e), jusqu’au 13 mars 2022. www.imarabe.org