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Published on 17 January 2022

France - Au procès du 13 Novembre, un accusé mutique au parcours glaçant

Haut cadre de Daech, Osama Krayem devait vraisemblablement participer aux attentats de Paris et de Saint-Denis. Présent à l’audience jeudi, il a gardé le silence.

Publié le 14 janvier dans Le Point

Depuis la reprise des débats, Osama Krayem refusait d’assister à l’audience. « Personne ne cherche la vérité, personne n’est ici pour comprendre. […] Nous faisons tous semblant, ce procès est une illusion », avait-il expliqué dans une lettre lue jeudi 6 janvier par son avocate. Il était pourtant bien présent dans le box des accusés jeudi 13 janvier, journée consacrée à la première partie de son interrogatoire sur le fond, où doivent être évoqués son départ en Syrie, son rôle auprès de l’organisation État islamique (EI) et son retour en Europe par la route des migrants. Osama Krayem, né en 1992 à Malmö, est accusé d’avoir quitté sa Suède natale le 17 août 2014 pour rejoindre Daech en Syrie.

Sur place, il a été formé au maniement des explosifs et a participé à des combats armés. Planqué avec Salah Abdeslam pendant sa cavale, soupçonné d’avoir voulu commettre ou préparer un attentat à l’aéroport d’Amsterdam-Schipol le soir du 13 novembre 2015, il a été arrêté à Bruxelles en avril 2016, après avoir, semble-t-il, renoncé à se faire exploser à la dernière minute le jour de l’attentat du métro et de l’aéroport Zaventem. Il comparaît aujourd’hui pour son rôle présumé dans la fabrication, la détention ou le transport des ceintures d’explosifs utilisées par plusieurs des terroristes le soir du 13 novembre 2015.

« Bonjour Monsieur Krayem, c’est bien d’être venu spontanément », l’accueille jeudi Jean-Louis Périès, le président de la cour d’assises spécialement composée. Très vite, pourtant, l’accusé aux longs cheveux noirs et à la barbe fournie fait savoir par le biais de son interprète qu’il a choisi d’exercer son droit au silence. Dans sa lettre communiquée la semaine dernière, il avait en effet indiqué avoir pris « la décision de ne plus s’exprimer jusqu’à la fin des débats ». Promesse tenue. Après avoir confirmé qu’il ne répondrait pas aux questions, Osama Krayem s’est plongé dans un mutisme que rien n’est venu perturber. Le président Périès s’est alors lancé dans un exercice solitaire, donnant lecture de plusieurs de ses procès-verbaux d’audition. Parfois, il relevait la tête pour s’adresser à l’accusé : « Là-dessus, j’aurais aimé vous interroger », « sur ce point encore, j’avais l’intention de vous demander ce qu’il en était exactement… », « à toutes ces questions, on aurait aimé avoir des réponses ». Dans le box, Osama Krayem regardait tour à tour ses pieds ou dans le vide.

« On peut se demander le niveau que vous aviez atteint au sein de l’État islamique »

Le président revient d’abord sur la radicalisation de l’accusé, qu’il situe entre les années 2011 et 2012. Issu d’une famille religieuse, Osama Krayem ne pratiquait pas assidûment sa religion avant ses 20 ans. Selon ses déclarations devant les enquêteurs, il aurait eu « un déclic » avant le début du ramadan. « Je me suis demandé jusqu’à quand j’allais rester délinquant », dira-t-il aux enquêteurs, faisant référence à sa pratique de l’islam. Interrogé pendant l’instruction, il explique au sujet de la religion : « Soit on prend tout, soit on la délaisse. » « En avril 2016, vous indiquez que vous approuvez la charia et que vous approuvez les attentats de manière globale, comme une riposte aux bombardements de la coalition en Syrie », lance le président. Mais Krayem reste imperturbable.

Viennent son départ pour la Syrie et son arrivée au sein de l’organisation État islamique. Parti, selon lui, pour « faire de l’humanitaire », il est d’abord chargé de la distribution des vivres. Mais cela ne dure que très peu de temps. Il va ensuite suivre un mois d’éducation religieuse et un entraînement militaire. Sa blessure au genou en novembre 2014 est d’ailleurs la preuve pour l’accusation qu’il a bien combattu. « Combats, exécutions médiatisées… On peut se demander le niveau que vous aviez atteint au sein de l’EI, même si nous n’aurons pas de réponse sur ces éléments », regrette le président. Pendant l’enquête, Osama Krayem a reconnu avoir participé à la mise à mort d’un pilote jordanien, capturé en Syrie et brûlé vif dans une cage en 2015 en Syrie. Les faits, filmés, avaient donné lieu à une vidéo de propagande particulièrement insoutenable. Après sa diffusion, Krayem avait écrit à son frère sur Facebook afin de lui faire remarquer qu’il faisait partie des bourreaux. C’est ainsi que les enquêteurs sont parvenus à l’identifier parmi les treize membres de l’EI présents lors de cette exécution.

Récupéré en octobre 2015 par Salah Abdeslam à Ulm

Dans un autre message envoyé à sa sœur Asma alors qu’il est sur zone, Osama Krayem parle aussi d’un « nouveau chef » de l’EI, qui n’est autre qu’Abou Mohammed al-Adnani, porte-parole et numéro deux de l’organisation terroriste. « Ce personnage dont tu parles, tu penses qu’il est très dangereux, mais, quand tu t’assois avec lui, c’est une personne comme une autre », confie Krayem. Le président Périès rappelle aussi que l’accusé avait indiqué en 2015 qu’il comptait mourir en martyr lors d’une opération suicide. Le fait d’avoir côtoyé Adnani, chef des opérations extérieures décrit comme étant le « ministre des attentats », tout comme sa volonté de participer à une action suicide sont autant d’éléments qui signent que Krayem était un cadre supérieur de l’EI, formé pour revenir commettre des attentats en Europe.

« Comment et pourquoi êtes-vous amené à quitter la Syrie ? […] On peut imaginer que c’est autour de septembre 2015 », termine le président, contraint de faire les questions et les réponses. Il est revenu par la route des migrants avec deux autres combattants de l’EI – dont Sofien Ayari, également accusé dans le cadre du procès. Tous les trois ont utilisé de faux passeports syriens. Passés par la Turquie, la Grèce et l’Autriche, Osama Krayem et Sofien Ayari seront récupérés début octobre 2015 par Salah Abdeslam à Ulm, en Allemagne. Le même Salah Abdeslam dont la mission était d’effectuer des allers-retours en Europe pour récupérer les commandos du 13 Novembre.