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Published on 15 February 2022

L'article de presse que vous avez le plus lu cette semaine

Dans « Zemmour et nous » (Bouquins), Judith Cohen Solal et Jonathan Hayoun décryptent la part juive du candidat à la présidentielle. Éclairant.

Cet article avait été publié dans le newsletter du 15 février 2022. Il est l'article de presse que vous avez le plus lu cette semaine.

France - "La question de l’antisémitisme habite tous les écrits d’Éric Zemmour"

Publié le 14 février dans Le Point

Les relations d'Éric Zemmour avec le judaïsme et la question antisémite ne devraient regarder que lui. Sauf que ces sujets sont au cœur de son œuvre livresque et de son projet politique. Dans un livre percutant, Zemmour et nous (Bouquins, à paraître le 24 février), Judith Cohen Solal et Jonathan Hayoun explorent cette part intime du candidat à la présidentielle, bien plus complexe qu'il y paraît. Passionnant.

Le Point : Qu'est-ce qui modèle la judéité d'Éric Zemmour ?

Judith Cohen Solal : Être juif, c'est d'abord avoir une mère juive selon la tradition. Et Éric Zemmour ne s'en cache pas : il a eu une relation fusionnelle avec sa mère, laquelle lui a transmis un judaïsme traditionnel et lui a souvent répété qu'on pratique à la maison mais que, dans la rue, on enlève sa kippa. Il va à la synagogue, il observe certains rituels. Éric Zemmour est fidèle aussi à la tradition juive.

Cela compte donc pour lui.

Jonathan Hayoun : Énormément, bien qu'il s'en défende. Il a été éduqué dans des écoles juives, que j'ai fréquentées moi-même, tous ses camarades étaient donc juifs.

J. C. S. : Éric Zemmour répète souvent qu'il a été façonné par l'histoire de Napoléon et de Jeanne d'Arc. Mais il a appris aussi l'histoire juive, le Talmud, l'hébreu. Éric Zemmour est un fils de Marianne mais aussi d'Abraham, d'Isaac et de Jacob.

"Zemmour s’inscrit dans la lignée de penseurs antisémites voire révisionnistes". Judith Cohen Solal

Le fait d'être juif est-il un marqueur pour le candidat Zemmour ?

J. H. : Non : un candidat à une élection présidentielle n'est pas là pour représenter une identité particulière. Mais à partir du moment où Éric Zemmour propose un projet nourri de son propre parcours qu'il présente comme parfait, on est en droit d'interroger la façon dont il a constitué ce modèle. Et de déceler la part de contrefaçon qu'il intègre dans sa trajectoire. Notre objectif n'est pas de stigmatiser Éric Zemmour, ni même d'interroger sa judéité. Il s'agit de décrypter le récit personnel qu'il propose car il utilise sa petite histoire comme la grande pour composer son projet politique.

J. C. S. : Le fait d'être juif, il s'en sert. Tout en s'accordant avec des négationnistes. Mieux, il s'inscrit dans la lignée de penseurs antisémites, voire révisionnistes. Il nous paraissait donc légitime d'essayer de comprendre les facettes de son identité, et ses ambivalences.

"La question de l’antisémitisme habite tous les écrits d’Éric Zemmour". Jonathan Hayoun

Vous soulignez que l'antisémitisme est présent dans tous ses livres. Comment peut-on être juif et perçu comme antisémite ?

J. H. : C'est Éric Zemmour lui-même qui pose la question dans ses romans, notamment son premier, Le Dandy rouge (1999), qui conte la destinée de Ferdinand Lassalle, le fondateur du premier parti socialiste européen, qui a construit sa trajectoire politique en s'affirmant comme juif tout en cultivant des amitiés antisémites. Dans un autre roman, Petit Frère (2008), son héros est un journaliste confronté à un drame antisémite en 2003, l'assassinat de Sébastien Selam, qui finit par comprendre qu'il faudrait adhérer aux idées de Maurras. La question de l'antisémitisme habite tous les écrits d'Éric Zemmour.

J. C. S. : Dire qu'Éric Zemmour est antisémite, ce n'est pas le sujet, et la thèse ne résiste pas à l'analyse. Dans l'Histoire, beaucoup de juifs ont été animés par « la haine de soi ». Ce n'est pas son cas. Il ne renie pas ses origines, il continue à participer aux offices. L'argument qu'il avance sans cesse à ceux qui se mettent en travers de son chemin, Bernard-Henri Lévy, les dirigeants du Crif, est qu'il est plus juif qu'eux. Tout le positionnement d'Éric Zemmour est de se présenter aux juifs comme le meilleur rempart contre l'antisémitisme. Sa stratégie politique rejoint son histoire personnelle. Celle des juifs d'Algérie auxquels le décret Crémieux a accordé la nationalité française que l'on ne donnait pas aux indigènes arabes.

Pourquoi tant de juifs semblent vouloir voter Zemmour ?

J. C. S. : Pour nous, il est intrigant qu'il y en ait même un seul. Éric Zemmour est imprégné de l'histoire des juifs d'Algérie qui ont peur de se « faire mettre à la porte » une seconde fois. Et il existe indéniablement une fascination pour ce petit juif d'Algérie, issu d'une famille désargentée, qui incarne la réussite de l'intégration française.

Sa défense d'une France chrétienne, c'est du cynisme électoraliste ?

J. H. : Pas seulement. Il considère que, pour être protégé en tant que juif en France, il faut aussi être chrétien. Il parle de culture chrétienne, et confesse qu'il n'a pas la foi. Cela peut faire penser aux marranes qui, traqués par l'Inquisition, se montraient chrétiens en public mais restaient juifs chez eux. Moins on est juif dans l'espace public, plus on est à l'abri.

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Zemmour et nous, de Judith Cohen Solal et Jonathan Hayoun (Bouquins, 12 €). À paraître le 24 février.

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