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Published on 16 February 2022

France - "Je n’oublierai jamais cet enfer" : retour à l’école juive de Toulouse, dix ans après la tuerie

Dans un livre à paraître ce mercredi, Jonathan Chetrit, ancien élève interne du collège-lycée Ozar Hatorah, raconte l’horreur du 19 mars 2012, quand le terroriste Mohammed Merah a fait irruption dans l’établissement et tué quatre personnes, dont trois enfants. Un témoignage rare qu’il nous a livré sur les lieux du drame.

Publié le 16 février dans Le Parisien

Jonathan s’arrête au seuil d’une volée de marches. Elles plongent vers la réserve, au sous-sol d’un des bâtiments du groupe scolaire Ohr Torah, niché dans un quartier pavillonnaire de Toulouse (Haute-Garonne). Il hésite, comme pris de vertige. « Allez, j’y vais, c’est mieux comme ça. » Il n’y était pas descendu depuis le 19 mars 2012.

Il était à peine plus de 8 heures. Une quinzaine de gamins terrifiés le suivaient, lui le « grand » de 17 ans. Dans la panique des coups de feu, Jonathan Chetrit, élève en terminale ES, les avait embarqués pour les mettre à l’abri. C’est un jeune homme de 27 ans, désormais avocat fiscaliste, qui revient dans le vaste bric-à-brac. « La lumière était éteinte, les petits criaient. Dès que je suis dans le noir, j’y repense. »

Ce dimanche de février, un beau soleil d’hiver baigne la cour de l’établissement, gardé par un impressionnant portail vert et une batterie de caméras. C’est sur les lieux du drame que Jonathan nous a fixé rendez-vous pour parler de son livre à paraître ce mercredi, « Toulouse, 19 mars 2012. L’attentat de l’école Ozar Hatorah par ceux qui l’ont vécu » (Albin Michel, 208 pages, 19,90 euros).

La tuerie y est racontée minute par minute. Récit factuel, poignant, où son propre témoignage se mêle à ceux collectés auprès d’anciens camarades, de profs, de parents. Tous présents ce 19 mars quand Mohammed Merah a garé son scooter TMax rue Jules-Dalou avant d’assassiner Jonathan Sandler, professeur d’études religieuses, qui a tenté en vain de protéger ses deux garçons, Arié (5 ans) et Gabriel (3 ans). Puis d’abattre d’une balle dans la tête Myriam Monsonégo, 8 ans, qui fuyait dans la cour.

L’ancien interne s’apprêtait à commencer sa prière, dans la synagogue située à gauche de l’entrée, quand les premiers coups de feu ont retenti à 7h57. « On a tous pensé que des gosses s‘amusaient avec les pétards qui leur restaient de Pourim (fête juive célébrée quelques jours plus tôt). Je l’ai vu avec son casque, très furtivement. J’ai même cru que c’était un livreur qui apportait un colis à un petit veinard. »

Il lui faut encore quelques secondes pour comprendre que « ce n’est pas normal ». Il sort de la « syna », voit quelqu’un tomber dans la cour — « je suis sûr à 99 % que c’était Myriam » — et revient en trombe prévenir le directeur, Yaakov Monsonégo, le père de la petite Myriam, qui dirige la prière : « Rav, il y a un tireur dans l’école, c’est pas une blague ! »

« Myriami, c’était la vie incarnée, notre soleil à tous »

On suit Jonathan sur les pas de « son » 19 mars. Sortir de la synagogue par l’issue de secours avec son prof de Talmud et un groupe de collégiens. Ordonner aux « petits » de courir, en file indienne, le long du mur d’enceinte, depuis rehaussé de barbelés. Supplier les habitants du lotissement voisin, alertés par les bruits, d’appeler les secours. Descendre dans la réserve en espérant que le tireur ne les trouve pas.

Une fois les lieux sécurisés, l’ado est parqué par les secours, avec une cinquantaine d’élèves, dans le petit réfectoire de l’établissement. Un de ses copains le voit se cogner furieusement la tête contre le mur. Lui ne s’en souvient « absolument pas », comme s’il avait glissé dans une faille temporelle. « Les trois heures passées dans ce réfectoire ont été un déchirement collectif. Le malheur absolu. C’est là qu’on a tous réalisé. J’étouffais. Quand les policiers m’ont enfin autorisé à sortir, je n’étais plus le même. »

La visite guidée, clinique, « habitée », s’achève sur des images insoutenables. Près du rocher de la cour, désigne-t-il, il y avait le cartable de Myriam. « Je la revois, cinq minutes avant sa mort, sautiller derrière son papa qui lui portait son sac. Myriami, c’était la vie incarnée, notre soleil à tous. » Il y a aussi ces draps blancs épousant la forme des trois petits corps, alignés dans le hall de la synagogue. Des flaques de sang partout. Celui de Jonathan Sandler, devant la porte, s’écoule dans la pente de la rue Dalou.

Il s’offre une pause clope dans un angle mort de la cour, là où il les grillait en cachette il y a encore dix ans. « On se faisait choper, évidemment, se marre-t-il. J’ai énormément de bons souvenirs ici. Le 19 mars ne les a pas effacés. » Ces jolis moments baignent son livre d’une douce lumière, malgré l’horreur que ses pages renferment.

Inscrit à l’internat parce que « ça se passait mal à la maison » après la mort de sa mère, Jonathan Chetrit a trouvé à Ozar Hatorah, rebaptisée depuis Ohr Torah (« lumière de la Torah »), un refuge où se construire en douceur. Il y revient régulièrement, s’installe dans une de ses anciennes chambrées pour le week-end, passe le shabbat avec Rav et son épouse.

Dans la cour, on croise ce petit homme énergique à la barbe grise. Après un « bienvenue ! » jovial, il s’efface pour ne plus reparaître. Jonathan avait prévenu : « On ne lui en parle pas. » La tragédie n’est pas le seul ciment de l’équipe éducative, soudée comme jamais aux côtés du rabbin, fondateur du site toulousain au début des années 1990. « Il était hors de question que je parte alors que lui restait aux commandes, totalement mobilisé pour la réussite des élèves. C’est un exemple de vie, on le suit ! », confie Carine, prof d’anglais recrutée il y a vingt-six ans.

« Quand on commence à cibler les Juifs, c’est que le pays se prépare au pire »

Après la tuerie, Toulouse a perdu la moitié de sa communauté juive. L’école, elle, a tenu bon, notamment grâce à la solidarité des anciens élèves. « C’est presque une grande famille, en fait », confirme Carine. Comme la quasi-totalité du personnel, elle n’est pas juive, alors que tous les élèves — croyants ou non — le sont. « C’est une école de la République que le terroriste a ciblée, pas seulement un établissement confessionnel », regrette Laurent Raynaud, le directeur adjoint à l’accent de Carcassonne. Jonathan opine. « Quand on commence à cibler les Juifs, c’est que le pays se prépare au pire. J’aurais rêvé d’une immense mobilisation citoyenne comme après Charlie. »

L’approche des dix ans pèse un peu sur l’école, admettent Carine et Laurent. La campagne présidentielle avait été suspendue quelques jours. « Disons plutôt qu’elle s’était déplacée à Toulouse, nuance Carine. Cela va recommencer pour les commémorations, nous ne sommes pas dupes. »

Jonathan, que le livre exposera, s’est préparé. « Je n’oublierai jamais cet enfer », dit-il. Il ajoute : « Je ne tomberai pas dans les pièges du sensationnalisme et de l’instrumentalisation. Je le dois, pour la mémoire des victimes. »

 

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