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Published on 13 July 2022

Lest We Forget 2022 - Sur les grilles du jardin du Luxembourg, les visages de 42 survivants de la Shoah

À l'occasion du vernissage de l'exposition "Lest We Forget - N'oublions pas", lundi 11 juillet au Jardin du Luxembourg, la journaliste du Monde Béatrice Gurrey a rencontré plusieurs des survivants photographiés. Voici le récit de ces rencontres.

Publié dans Le Monde, le 12 juillet 2022

Sur les grilles du jardin du Luxembourg, les visages de 42 survivants de la Shoah

 

Une trentaine d’entre eux se sont déplacés pour l’inauguration de cette exposition de photos de Luigi Toscano organisée par le CRIF, lundi 11 juillet, à Paris.

Défi au temps et à la barbarie, leur regard vous happe, avivé par un cercle lumineux qui semble venir de l’intérieur. C’est le reflet du flash, mais il donne à ces visages en gros plan une forme d’unité, comme un signe de reconnaissance. Tous semblent dire : nous y étions. Les quarante-deux portraits de survivants de la Shoah, réalisés par Luigi Toscano, resteront accrochés sur les grilles du jardin du Luxembourg, à Paris, jusqu’au 7 août. Lundi 11 juillet, une trentaine de ceux-ci avaient pu se déplacer pour l’inauguration officielle de cette exposition organisée par le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), et les voir découvrir en famille leur propre image n’avait rien de banal.

À l’origine de ce projet, « Lest we forget. N’oublions pas », injonction tirée d’un poème de Rudyard Kipling de 1897, une question qui taraude l’artiste germano-italien depuis la montée de l’extrême droite en Allemagne, au milieu des années 2010. Le programme de l’AfD (Alternative für Deutschland), parti anti-immigration, homophobe, antisémite à tendance néonazie, provoque un choc chez ce quinquagénaire né à Mayence de parents siciliens. « Je me suis dit : “Et moi, que puis-je faire ?” » Que peuvent penser des survivants de l’Holocauste de tout cela ? » Autodidacte, fils d’ouvrier et aîné de sept enfants, le photographe, réalisateur et plasticien écrit ce projet de portraits, dont au début personne ne veut. « J’ai démarché tellement d’institutions ! Je n’avais pas d’argent. On m’a fichu à la porte en me disant : “Luigi, on investit dans le futur, pas dans le passé !” », explique-t-il au Monde.

L’aventure, commencée en 2014, a finalement mené dans le monde entier cet artiste aux allures de biker, catogan poivre et sel, le bras droit tatoué du mot « Liberta ». Des expositions dans 28 villes, à Kiev, Lviv, New York, Washington, Boston, San Francisco, Pittsburgh, Berlin ou Vienne, dont témoigne un livre de photographies, Lest We Forget (Panorama, 2020). Ces rencontres l’ont marqué pour la vie. « Des survivants me téléphonaient. C’était si étrange. Le premier s’appelait Hart Sommerfeld, un rescapé d’Auschwitz. J’étais sans voix. Il a fini par me dire : “Alors, je peux participer ou pas ?” » Le premier musée qui lui fait confiance est le Mémorial de l’Holocauste à Washington. A son tour, le CRIF a voulu marquer le 80e anniversaire de la rafle du Vel’d’Hiv’, les 16 et 17 juillet 1942, en finançant avec d’autres partenaires le volet français de cette enquête artistique originale, accueillie par le Sénat.

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Seul rescapé lyonnais

Voilà plus d’un an, les deux commissaires de l’exposition, Marie-Sarah Seeberger et Johana Mechaly, sont parties avec Luigi Toscano et un vidéaste, Paul Götz, à la rencontre de ces quarante-deux rescapés français à Paris, Lille, Lyon, Marseille ou Bordeaux. Un QR code sous chaque photographie permet d’accéder, avec un téléphone mobile, à leur témoignage, également consultable sur le site Lestweforget.crif.org. « Trop moderne pour moi ! », sourit Claude Bloch, 93 ans, qui surfe pourtant sur Internet et répond illico à ses mails. Depuis la mort récente d’une survivante de 101 ans, il est le seul rescapé lyonnais d’Auschwitz, le dernier qui témoigne dans les écoles.

En novembre 1943, il a 15 ans et vit avec sa mère et ses grands-parents. Eliette a travaillé un an à la préfecture de Lyon avant d’en être exclue en raison des lois anti-juives. Mais elle a pu procurer à son fils une carte d’identité sans le tampon « juif ». Sur ce document, à l’époque manuscrit, son grand-père a changé d’une plume habile le nom de Bloch en Blachet. Mais, chaque jour, dans le bus bondé qui le ramène dans la banlieue lyonnaise, Claude tremble à chaque contrôle de police. Dans son cartable, à ses pieds, tous ses cahiers et ses livres portent le nom de Bloch. Le 29 juillet 1944, il est en train de bricoler son vélo avant de partir dans la Drôme, quand il est arrêté avec sa mère et son grand-père. Un des hommes pose son revolver sur la table. C’est Paul Touvier, le chef de la milice lyonnaise, qui a orchestré ces rafles en représailles à l’assassinat du collaborationniste Philippe Henriot, la veille, par la Résistance.

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