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Published on 1 January 2020

Crif - Étude du Crif n°52 : Vichy, les nazis et la persécution des Juifs, par Laurent Joly

Directeur de recherche au CNRS, Laurent Joly est un spécialiste de l’histoire de la persécution des Juifs de France sous l’Occupation. Il a récemment publié un ouvrage qui fait autorité sur le sujet : « L’État contre les Juifs. Vichy, les nazis et la persécution antisémite (1940-1944) » (1). Dans le nouveau numéro des Études du Crif, il reprend les principales analyses de son essai en une remarquable synthèse.

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Vichy, les nazis et la persécution des Juifs

Une étude de Laurent Joly

L’auteur a choisi, comme fil conducteur, de donner à chacun des neuf chapitres l’aspect d’une question : « Pourquoi Vichy a-t-il refusé d’imposer l’étoile jaune et comment son administration a-t-elle appliqué cette mesure en zone occupée ? » (Chapitre 3), « Que savait Vichy de la politique d’extermination ? » (Chapitre 8) ou encore « Quel a été le rôle du maréchal Pétain dans la politique antisémite de Vichy ? » (Chapitre 9). Laurent Joly répond à toutes les questions avec clarté et de manière exhaustive, faisant de son brillant exposé une contribution remarquable à l’étude d’une période sombre et tragique pour les Juifs de France.

On réalise, à la lecture de ce texte exceptionnel, que les intérêts et les buts de lLa France de Vichy, d’une part, et ceux des autorités allemandes, n’étaient pas toujours convergents. Et si, en 1941, l’amiral Darlan, qui a remplacé Pierre Laval, envisage une véritable collaboration militaire avec les nazis, « en 1940, les politiques antijuives initiées par les autorités allemandes et le régime pétainiste répondent à des objectifs différents, voire antagonistes ». Pour Vichy, à l’époque, on semble opter pour une vaste expulsion limitée aux immigrés et aux réfugiés. On le sait, les choses vont peu à peu s’aggraver. Xavier Vallat obtient du gouvernement Pétain-Darlan l’adoption d’une grande loi relative aux « biens juifs ». Quelque 45 000 procédures de spoliation seront ouvertes en zone occupée et plus de 10 000 en zone libre et en Algérie. La spirale infernale ne fait que commencer et l’occupant ne tarde pas à ordonner les premières arrestations massives. Le 14 mai 1941, une première « rafle » est engagée : 6494 Juifs apatrides sont convoqués par la préfecture de police de Paris. Quelques mois plus tard, le 12 décembre 1941, des Feldgendarmes, assistés de policiers français, arrêtent près de 750 Juifs français. « Le signal est clair : tous les Juifs de France sont destinés à être châtiés ». Pour autant, pour le gouvernement français, empêtré dans ses contradictions, il ne faudrait pas faire des Juifs des martyrs au risque de choquer l’opinion publique française.

Au fil des mois, le rouleau compresseur de l’infamie est en marche, inexorablement. À compter du 7 juin 1942, il est interdit aux Juifs dès l’âge de six ans révolus de paraître en public sans porter l’étoile jaune. C’est ainsi que, très vite, 92 600 Juifs ( Français, Roumains, Croates, Slovaques, Hollandais, Belges et Apatrides, adultes et enfants) sont munis de l’insigne infamant. Et voilà qu’une nouvelle catégorie de délinquants apparaît : les Juifs non ou mal « étoilés ».

Pour Serge Klarsfeld, cette mesure aura été une erreur stratégique des nazis, provoquant un retournement de l’opinion qui ira désormais croissant. En juin 1942, les choses s’accélèrent. Himmler donne l’ordre décisif : d’ici un an l’Europe devra être libérée des Juifs. Pour ce qui est de la France, à quelques cas de désobéissance méritoire et d’attitudes humaines près ( 68% des Juifs visés ont évité l’arrestation), c’est, on le sait, la police française qui se chargera de la sale besogne. On peine à croire que le directeur de la police municipale , Émile Hennequin, déclare alors que les rafles de Juifs sont une corvée imposée à la police municipale et que c’est l’honneur de ses services que d’accomplir au mieux cette ingrate besogne ». « La rafle du Vel d'Hiv, organisée par Bousquet el Laval, nous dit Laurent Joly, est ainsi, d’abord et avant tout, une opération de police, planifiée dans les moindres détails ». Les résultats numériques varient d’un arrondissement à l’autre. C’est ainsi que c’est dans le 2ème arrondissement le taux d’arrestation et le plus faible, 20%, alors que le record est dû au 12ème avec 63%. On retiendra le zèle antisémite déshonorant de certains commissaires, Turpault, dans le 4ème, Boris, dans le 12ème, Lainé dans le 18ème et Brune dans le 20ème. Pierre Laval peut, sans hésitation, parader devant Karl Oberg et Helmut Knochen, souhaitant une entente parfaite avec l’Allemagne. Toutefois, tient à préciser Joly, il existe une certaine « étanchéité entre le système répressif de Vichy et l’appareil de destruction des nazis. L’un n’alimente pas automatiquement l’autre », ce qui peut expliquer le bilan de la Shoah en France.

Pour ce qui est du maréchal Pétain, s’il est vrai qu’il n’a jamais, entre 1940 et 1944, prononcé une seule parole publique hostile aux Juifs, il a donné, à toutes les étapes de la politique antijuive, son assentiment sur fond de « préjugés antisémites et d’inconséquence mêlée de sénilité ». Il a même aggravé, de sa main, le projet mis au point par Alibert et Peyrouton. « Prisonnier de ses préjugés, le maréchal Pétain ne parvient presque jamais à prendre la mesure des drames nés de la persécution antisémite ». Il faudra attendre août 1944 pour qu’il « s’indigne enfin des exactions de la Milice et des dérives criminelles de la collaboration ».

La retranscription d’une entrevue entre Pétain et le Grand rabbin de France, Isaïe Schwarz, est véritablement édifiante.

En 1940-1941, quelque 280 000 individus ont été recensés comme Juifs. Du 27 mars 1942 au 18 août 1944, 74 150 soit 26% ont été déportés de France vers les camps de la mort, essentiellement à Auschwitz. 70 000 ont été gazés immédiatement et environ 4000 sont revenus. Le principal crime de Vichy aura été d’avoir bafoué les principes élémentaires du droit d’asile.

L’auteur propose, en fin d’étude une comparaison instructive avec le sort des Juifs de Belgique, de Hollande, du Danemark, de Slovaquie, de Croatie, de Serbie, de Roumanie, de Bulgarie, de Hongrie et d’Italie

De nombreux documents iconographiques illustrent ce récit passionnant. Un numéro exceptionnel qui montre, une fois de plus, le travail de mémoire inlassable accompli par Marc Knobel et son équipe. À lire absolument.

Jean-Pierre Allali

(*) Numéro 52 des Études du CRIF. Février 2019. 58 pages. 10 €.

(1) Éditions Grasset, 2018.

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*Laurent Joly est Directeur de recherche au CNRS, prix du livre de recherche juive, Centre Yavné 2007

La collection des Etudes du Crif est dirigée par Marc Knobel.

 

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