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Published on 19 October 2022

L’entretien du Crif - Bruno Retailleau : "Nos principes républicains doivent être défendus partout"

Président du groupe LR du Sénat, Bruno Retailleau a annoncé sa candidature à la présidence du parti Les Républicains (qui aura lieu en décembre). Il répond ici à nos questions sur les axes de son projet pour cette formation politique, la combativité avec l’extrême droite et la lutte contre l’antisémitisme : "Il faut dire les choses clairement : il y a en France un vrai regain de l’antisémitisme" déclare-t-il, "il faut lutter contre toutes les formes d’antisémitisme, à commencer par celui qui se présente sous le visage de 'l’antisionisme'".

La démocratie française est marquée par le poids des radicalités politiques, ces forces dîtes « national-populistes » comme le RN et LFI. LR est issu du parti gaulliste, qui a été un mouvement populaire et majoritaire. Comment expliquez-vous, depuis la présidence de Nicolas Sarkozy, l’effondrement de votre parti aux élections nationales (au point de passer sous la barre des 5% à la dernière présidentielle) ?

Bruno RETAILLEAU : Le problème de la droite, c’est la crédibilité : beaucoup de Français ne nous croient plus. Parce qu’au pouvoir, notre famille politique a trop déçu. Bien sûr, tout n’est pas à jeter dans le bilan de la droite mais rien n’a jamais vraiment été assumé. La droite a fait les heures supplémentaires mais elle n’a pas mis fin aux 35 heures. Elle a introduit des peines planchers mais supprimé la double peine. Elle a réduit le nombre de fonctionnaires dans certaines administrations – pas toujours les bonnes d’ailleurs ! – mais elle a créé les ARS qui ont bureaucratisé la santé.

Ce sont toutes ces petites lâchetés qui nous ont conduit aux grandes défaites. Nous devons avoir l’humilité de faire l’inventaire des erreurs passées ; et le courage de faire une vraie rupture avec la demi-mesure. L’hôpital s’effondre, notre école dégringole dans tous les classements, nos comptes publics sont dans le rouge et l’autorité de l’Etat est à terre : seules des réformes puissantes permettront à notre pays de remonter la pente du déclin. Il n’est plus temps pour « l’en même temps ». Pour réformer vraiment, il faut d’abord parler clairement.

Je veux qu’enfin la droite parle clair. Je veux qu’elle cesse de brouiller sa ligne, de diluer ses idées. Sur le travail, la dépense publique, la sécurité ou l’immigration, la droite doit s’assumer. Sans excès bien sûr car la démagogie ne mène à rien et la brutalité abime tout. Mais sans concessions sur nos convictions. Car il n’en va pas seulement de la droite mais de notre démocratie : « l’en même temps » l’a abimée, car il a installé une forme de « tout se vaut ». Mais si tout se vaut, alors tout est faux ! Nous devons montrer à droite que la politique vaut encore quelque chose, qu’il y a encore des hommes et des femmes d’honneur qui ne sont pas prêts à troquer leurs convictions pour des ambitions.

« Je veux redonner la parole aux adhérents LR, par le referendum interne notamment »

Mais concernant l’avenir de votre parti, comment pensez-vous pouvoir redresser la situation de LR dont vous briguez la présidence ? S’agit-il d’abord d’assurer un leadership plus attractif, une organisation plus performante ou une cohérence programmatique et idéologique ?

Dans cette élection interne, je veux d’abord et surtout porter une parole de vérité, dire aux militants des Républicains que si pour la droite rien n’est perdu, tout est à reconstruire. C’est ce que je propose : je veux, avec les militants, reconstruire un nouveau parti pour refonder une vraie droite. Un nouveau parti qui redonne la parole aux adhérents, par le référendum interne notamment, et qui revienne à l’essentiel : les idées. Elles doivent passer avant tout le reste. Avant les guerres d’égos ou les querelles de procédures en vue des présidentielles de 2027. Car nous ne gagnerons pas dans les urnes si, d’abord, nous ne regagnons pas les esprits et les cœurs des nombreux Français que la droite a déçu.

Je dis aux militants : l’urgence, c’est la refondation. Elle doit se faire maintenant, pas dans 5 ans. C’est maintenant que nous devons reconstruire la droite sur une ligne claire et un vrai corpus intellectuel. C’est maintenant, aussi, que nous devons rassembler plutôt que de nous diviser : quand on fait moins de 5% à l’élection présidentielle, il vaut mieux faire des additions plutôt que des soustractions. Être chef, c’est aussi savoir fédérer. Pas sur des synthèses molles, mais sur des convictions fortes et un vrai projet de société. Car critiquer les autres ne suffira pas.

Nous devons nous remettre en cause, sortir de nos zones de confort. Prenons l’éducation : ne nous contentons pas de proposer de changer quelques programmes scolaires, prônons un vrai changement de système éducatif, avec des établissements publics autonomes qui auront la liberté de recruter leurs professeurs ou de choisir les méthodes les plus efficaces pour transmettre les savoirs. Je pense aussi à l’écologie. Je lui ai consacré un livre, il y a un an, au titre d’ailleurs prémonitoire, Aurons-nous encore de la lumière en hiver ? J’ai fait ce travail de réflexion sur les sujets climatiques et énergétiques parce que je suis convaincu d’une chose : cet enjeu est trop lourd pour le laisser aux mains d’une extrême gauche sectaire dont l’agenda est avant tout idéologique. Pendant qu’on rallume les centrales à charbon, Mme Rousseau disserte sur le sexe des barbecues ! Tout cela n’est pas sérieux.

« Le RN, je l’ai combattu pied à pied,j’ai toujours dénoncé sa démagogie. »

Concernant les relations à établir ou non avec l’extrême droite, les choses ne sont plus ce qu’elles étaient à la direction de LR. Certains, comme Eric Ciotti, pendant la campagne des primaires pour la candidature présidentielle, ont même dit préférer Eric Zemmour à Emmanuel Macron. Comment qualifiez-vous et expliquez-vous ce penchant ? Vous-même, sans préconiser un rapprochement, vous n’avez pas voulu choisir entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle (alors que la plupart des dirigeants LR, C Jacob, X Bertrand, G Larcher, M Barnier… ont choisi l’actuel Président pour faire barrage à la candidate du RN). Comment expliquez-vous ce choix, ce neutralisme étant apparu, y compris dans votre parti, comme ambigu et problématique ?

D’abord, je ne crois pas pouvoir être suspecté de faiblesse à l’égard de Marine Le Pen : le RN, je l’ai combattu pied à pied, dans ma région notamment. J’ai toujours dénoncé sa démagogie. Mais je considère qu’Emmanuel Macron n’est pas un rempart au RN, d’où ma position à l’élection présidentielle. L’élection législative m’a d’ailleurs donné raison : malgré la victoire d’Emmanuel Macron, 88 députés du RN ont fait leur entrée à l’Assemblée nationale alors qu’ils n’étaient que 8 cinq ans avant. Où est le rempart ?

La vérité, c’est que le macronisme alimente le lepénisme parce qu’il ne traite pas les causes des problèmes sur lesquels prospère Marine Le Pen. Prenez l’immigration : le Président de la République a déclaré vouloir la répartir dans les territoires ruraux. C’est avec de telles déclarations qu’on fait le jeu des démagogues ! Seule une droite refondée, solide sur ses convictions et crédible dans ses propositions, peut empêcher que dans cinq ans les Français aient à choisir entre le RN et la NUPES. C’est aussi le sens de mon combat.

« J’ai été profondément choqué que le meurtrier de Sarah Halimi n’ait pas été traduit en justice. »

L’antisémitisme en France prend des formes inquiétantes. Il se répand parfois sur les réseaux sociaux, colporté dangereusement par les thèses conspirationnistes à l’occasion de crises (comme celle du Covid). On le voit particulièrement important aussi, selon une étude de la Fondapol, dans l’électorat du RN ou dans les populations se définissant de religion musulmane dans les sondages. Quelle est votre analyse et surtout vos propositions pour enrayer ce fléau ?

Il faut dire les choses clairement : il y a en France un vrai regain de l’antisémitisme. Les crimes de Merah, le meurtre d’Ilan Halimi, puis de Sarah Halim ou de Mireille Knoll n’ont pas été des drames isolés : ils s’inscrivent dans une vague de fond antisémite qui, en réalité, monte depuis des années. Beaucoup n’ont pas su ou pas voulu voir cette vague parce que cet antisémitisme se présente à nous sous des traits radicalement nouveaux. Il ne diffuse plus son poison au cœur des institutions, comme à l’époque de l’affaire Dreyfus, mais infuse dans les territoires perdus de la République, et gagnés par l’islamisme.

Nos principes républicains doivent être défendues partout : lorsqu’à l’école, un enfant ou ses parents refusent qu’on enseigne la Shoah, la sanction doit être l’exclusion. De même, l’antisémitisme ne s’affiche plus en première page des journaux anti-démocratiques, comme dans les années 30, mais s’abrite à l’ombre d’un discours ambiguë, se prétendant anti-raciste alors qu’il est en réalité racialiste. Lorsqu’Houria Bouteldja, figure du mouvement des « Indigènes de la République » écrit en 2016 qu’ « on ne reconnaît pas un juif parce qu'il se déclare juif mais à sa soif de vouloir se fondre dans la blanchité», c’est de l’antisémitisme. Il faut dénoncer tous ces discours, démasquer toutes les ambigüités.

La République ne doit rien céder, n’avoir aucune faiblesse. Ni à l’école, ni dans les quartiers, ni dans le débat public, ni même dans les prétoires. Car j’ai été profondément choqué que le meurtrier de Sarah Halimi n’ait pas été traduit en justice. C’était un crime antisémite et la justice a déclaré le criminel irresponsable au motif qu’il avait consommé du cannabis. Suite à ce scandale, nous avions d’ailleurs proposé au Sénat de changer la loi. Notre action a payé : le Gouvernement a notamment repris la proposition du Sénat de rendre compétente la juridiction de jugement pour la déclaration d’irresponsabilité, et non plus de la chambre de l’instruction. 

« Il faut lutter contre toutes les formes d’antisémitisme, à commencer par celui qui se présente sous le visage de ’’l’antisionisme’’ »

À l’Assemblée nationale, à la gauche de la Nupes, une résolution a été proposée cet été par un groupe de députés (communistes) visant à criminaliser l’Etat d’Israël, accusé de tous les maux, en des termes injurieux et même diffamatoires (parlant d’ "apartheid"). Condamnez-vous ce projet de résolution, et considérez-vous que ce genre d’attaque contre Israël, sous couvert d’un "antisionisme" radical, relève d’une forme d’antisémitisme ?

Je le condamne d’autant plus qu’avec Hervé Marseille, président du groupe centriste, j’ai fait adopter au Sénat une résolution sur la lutte contre toutes les formes d’antisémitisme, à commencer par celui qui se présente sous le visage de "l’antisionisme". Ce que nous proposons, c’est de faire faire un plus grand usage de la définition de l’antisémitisme donnée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA). Une définition assez large pour embrasser toutes les formes d’expression et de manifestation de l’antisémitisme. Car c’est une chose de critiquer la politique du gouvernement israélien, mais c’en est une autre de dénier à Israël son droit à l’existence, à la permanence de son être culturel et politique. Cela, nous ne devons pas l’accepter.

Ce texte que nous avons fait adopter par le Sénat n’est pas seulement une résolution pour nos compatriotes juifs : c’est aussi une résolution pour la France, cette Nation dans laquelle comme l’a souligné le philosophe Pierre Manent, les juifs ont joué et jouent toujours un "rôle éminent". Et c’est ce qui fait que les actes antisémites ne sont pas seulement des actes contre des Français en particulier, mais bien des actes contre la France elle-même. Contre nos valeurs, nos principes et notre identité en tant que peuple.

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet