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Published on 23 May 2023

Le Crif en action - Rencontre avec la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak

Dans le prolongement d’un récent entretien entre la Ministre de la Culture, le Président du Crif, Yonathan Arfi, et le Président du Fonds Social Juif Unifié (FSJU), Ariel Goldmann, une réunion élargie avec d’autres leaders institutionnels et intellectuels a eu lieu Mercredi 17 mai avec Rima Abdul Malak. Cette réunion a permis d’approfondir le contenu du projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945. Le projet de loi sera présenté au Sénat ce jour, mardi 23 mai, puis dans un second temps à l’Assemblée nationale. La Ministre s’est estimée confiante sur sa réception par les deux instances.

Cette proposition de loi ouvre un cycle sur d’autres projets de lois concernant la question globale des restitutions. Dans un second temps sera présentée une proposition de loi portée par la sénatrice Catherine Morin Desailly sur la restitution des restes humains. Beaucoup de demandes émanent de nombreux pays, dont l’Algérie, l’Argentine et l’Australie. Un cadre spécifique sera fixé étant donné la spécificité des recherches. Il s’agit d’effectuer un très gros travail de recherches en mesurant l’importance des enjeux internationaux pour ces restitutions d’État à État.

En fin d’année 2023 ou en début d’année 2024 le gouvernement se penchera sur la question de la restitution des biens culturels africains avec une proposition de loi qui sera portée par le gouvernement.

Une attention particulière sera portée pour recontextualiser chacun de ces projets, en mettant l’accent sur la spécificité de chaque histoire, sur les contextes historiques différents et qui ne sont pas comparables, quand bien même la méthodologie peut être commune.

Parmi les intervenants présents, Anne Sinclair a posé la question de la coopération européenne, notamment avec l’Allemagne sur la restitution des biens spoliés aux Juifs.

Le cas allemand est très différent car il n’y a pas d’inaliénabilité des collections, il n’est pas besoin de déclasser un bien pour le restituer, légiférer n’est donc pas utile. Si c’est effectivement plus simple c’est aussi politiquement moins fort car le fait d’avoir un débat et, la Ministre l’espère, un vote favorable au Parlement, va donner une légitimité plus forte au processus.

Un travail très efficace, scientifique et universitaire, est cependant mené entre la France et l’Allemagne sur les recherches de provenances. Un exemple récent de cette coopération fructueuse est la restitution du Klimt du Musée d’Orsay.

 

Les restitutions aujourd’hui ne concernent que les œuvres qui sont en France, qui ont été spoliées en France. La plupart ont eu des parcours extrêmement complexes jusqu’à arriver dans les collections françaises très tardivement, après la guerre. Il ne s’agit pas uniquement d’examiner les œuvres récupérées pas les alliés, les fameux MNR (Musées Nationaux Récupération), mais bien de regarder toutes les œuvres dans les collections et vérifier que leur pedigree est intact. La coopération internationale est fondamentale car la circulation des œuvres pendant la guerre et après la guerre et les blanchiments successifs ont rendu la recherche très complexe. La recherche ne s’éteint pas avec la disparition des propriétaires initiaux, un vrai travail d’archives se fait.

Pierre-François Veil, avocat et Président du Comité français pour Yad Vashem a salué le projet de loi qui élargit la période de recherche. Il y voit une grande importance parce que cela modifie sans dire, l’objectif même de la notion de restitution : l’ensemble des œuvres rentrées dans les collections françaises depuis 1933 est passée au crible et on regarde s’il y a matière à restitution ou non.

Or la question des restitutions aujourd’hui concerne des familles qui ont été spoliées, des gens qui avaient chez eux, leurs parents ou leurs grands-parents (et il y en a encore) des tableaux accrochés au mur qu’ils retrouvent par hasard dans un musée. Le ministère de la Culture a débloqué un budget et du personnel pour avancer sur la question des provenances. Cela change considérablement les choses, ce n’est plus le travail qui eut cours pendant 25 ans des familles contre l’État, aujourd’hui elles sont accompagnées par l’État. Il faudrait selon lui renforcer le budget et les équipes. L’intérêt est de restituer aux familles. Il faut qu’au-delà du sens politique, il y ait du sens à la restitution, car ici on parle de restitutions individuelles et non pas de restitutions d’État à État.

La Ministre a précisé que sur les 79 œuvres restituées depuis 2013, 50 ont été restituées après une enquête pro active du ministère de la Culture. La loi proposée concerne tous les musées et pas seulement les musées nationaux.

Annette Wieviorka, historienne et vice-présidente du Conseil supérieur des archives est revenue sur la question des MNR dont on a énormément parlé.  Elle considère qu’en définitive, c’est un faux problème, car il s’agit d’un petit nombre d’œuvres et généralement de seconde zone. Il faut donc bien expliquer que le problème ce n’est pas les MNR, autour de quoi tout le travail possible a été fait. Les résistances qui pouvaient exister il y a quelques décennies sont aujourd’hui résiduelles. Les conservateurs qui sortent aujourd’hui de l’École du Patrimoine sont formés et sensibilisés.

La Conservatrice du Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme (MahJ), Pascale Samuel a souligné que les recherches de provenances sont très longues, elles prennent plusieurs années et demandent beaucoup de mobilisation. Les volontés sont là, l’ensemble des professionnels est convaincu mais il y a trop peu de personnel. Aujourd’hui en France il y a une vingtaine de chercheurs de provenances, il y en aurait selon elle, dix fois plus en Allemagne. Une seule université en France, celle de Nanterre, propose un master en recherche de provenances… Le MahJ a procédé il y a un peu plus d’un an aujourd’hui à la restitution d’un tableau de Chagall, mais après des années de recherches. Faute de moyens humains et financiers, le processus peut être d’une grande lenteur. Or, il y a encore des témoins, le temps est donc compté.. Lorsqu’ils auront disparu, cette recherche de provenances deviendra un métier d’historien dans lequel le facteur du temps n’aura plus d’importance. Si on veut véritablement faire œuvre de restitution de bien spoliés, il faut mettre plus de moyens.

Henri Hajdenberg, Président d’honneur du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) qui a exercé son mandat entre 1995 et 2001 s’est félicité qu’on parle de restitution. Mais, comme il l’a rappelé, c’est marginal par rapport à tout ce qui s’est passé. Il est invraisemblable, et périlleux, de laisser penser que tous les Juifs avaient des tableaux de très grande valeur dans leurs appartements. Il faut faire preuve de prudence et de pédagogie. La plupart des Juifs disparus ne sont pas partis avec des toiles de maître sous le bras.  

Dans les cas les plus courants, ce sont des logements, des petites entreprises qui ont été spoliés. Il y donc autour de la proposition de loi un important travail de précision à apporter, avant qu’un effet boomerang ne se produise et enkyste encore un peu plus dans l’opinion publique, les clichés contre les Juifs et leur prétendue richesse.

Samuel Lejoyeux, Président de l’Union des Étudiants Juifs de France (UEJF) s’est quant à lui inquiété de la possible manipulation des 89 députés du Rassemblement national (RN) qui pourraient via le soutien qu’ils apporteraient au vote de cette loi prolonger leur stratégie globale de dédiabolisation. Il est selon lui important qu’une parole politique rappelle que cette formation politique est avant tout l’héritière de la collaboration de l’État français avec le Reich.

Cette rencontre très riche avec Rima Abdul Malak a été aussi pour le Président du Crif,  Yonathan Arfi, l’occasion de l’interroger sur d’autres sujets notamment celui du boycott culturel d’Israël. La ministre de la Culture a rappelé sa position d’opposition franche à toute démarche d’annulation, de boycott, de cancel culture plus largement. Au-delà de ça et des considérations personnelles de chacun qui relèvent de l’intime elle a rappelé que s’il était un domaine de rencontres et de pont entre les uns et les autres, c’est bien la culture. Pour elle, la liberté d’expression et de création sont non négociables.

 

Outres les personnes citées dans l’article, étaient présentes à cette réunion :
Benjamin Allouche, trésorier du Crif, Philippe Allouche, Directeur de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, Sylvain Amic, Conseiller en charge des musées, des métiers d'art, du design et de la mode de la ministre de la Culture, Nathalie Cohen-Beizerman, membre du bureau exécutif du Crif, Roger Cukierman, Président d’honneur du Crif, Stéphanie Dassa, Directrice de projets du Crif, Robert Ejnes, Directeur exécutif du Crif, Nathalie Elmalih, vice-Présidente de la Wizo, Jacques Fredj, Directeur du Mémorial de la Shoah, Ariel Goldmann, Président du FSJU, Bruno Halioua, Président de l’AMIF et de la commission du Souvenir du Crif, Véronique Harari, Directrice des Amis du Crif et chargée des relations publiques, Olivier Kaplan, Président du Fonds Georges Lévy-Jacob Kaplan, Philippe Meyer, Président du B’nai Brith, Paul Rechter, conseiller du Président du Crif et Gérard Unger, vice-Président du Crif.

 

 

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