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Publié le 5 Juin 2018

BestOf Israël - InterviewCrif : Denis Charbit fait le bilan de 70 ans de vie politique israélienne

La semaine dernière, le politologue Denis Charbit était l'invité de la Commission d'Etudes Politiques du Crif. A cette occasion, nous l'avons interrogé sur ce qu'il retient des 70 années d'existence de l'Etat d’Israël et le bilan qu'il fait de la vie politique israélienne actuelle. Entretien.

Entretien mené par Marie-Sarah Seeberger

Le Crif - Que retenez-vous des 70 années d’existence de l’Etat d’Israël ?

Denis Charbit - Vaste question !

Je dirais tout d’abord que l’indépendance a pris ses marques et s'est installée durablement.

Ensuite, je parlerais de l’économie israélienne. Nous sommes passés d'une économie précaire à une économie stable, qui ne constitue plus une source majeure d'inquiétude. En matière d'économie, Israël est passé de la fragilité à la puissance.

L’existence d’Israël n'a longtemps pas été garantie. Aujourd'hui, la crainte existentielle de voir disparaître Israël n’a plus vraiment cours : Israël est reconnu par la quasi-totalité des pays du monde - les Etats-Unis en tête - et le pays a su développer des liens solides notamment avec l’Europe, l’Afrique, la Russie ou encore l’Inde. 

Ce qui a vraiment changé, c'est ce rapport à l'isolement et à la solitude d'Israël.

Le Crif – Projetons-nous dans 15 ans ! Quelles sont les figures politiques israéliennes qui font la Une ?

Denis Charbit – Grâce à l'intelligence de son système politique, Israël a su produire des leaderships de premier plan. On ne peut pas contester que certaines personnalités politiques ont été de vrais leaders, quelque aient été les politiques menées. Benjamin Netanyahou, par exemple, est un Premier ministre très contesté, mais également très admiré. Il a réussi à mener à bien des combats importants, dont récemment celui de l’abrogation du contrat du nucléaire iranien et il s’est imposé comme un leader naturel pour Israël. 

Pour répondre à votre question, je pense qu’il est encore un peu tôt pour savoir qui pourra être un grand leader dans 15 ans en Israël. Je vois certaines personnalités politiques se démarquer sans savoir si elles pourront diriger le pays.

Ce qui m’inquiète concernant le futur de la politique israélienne, c’est une certaine montée du populisme qui gagne le monde et à laquelle Israël n’échappera pas. La surenchère rhétorique, à gauche comme à droite, est un problème. On attend des Hommes politiques qu'ils soient capables de dominer cette parole facile.

Je crois beaucoup en la démocratie et en l’alternance. Nous l'avons déjà connue, nous la connaîtrons à nouveau. Après tout, qui pensait, après 29 ans de gouvernements travaillistes, que le Likoud serait un jour au pouvoir ? Je ne désespère donc pas d’une alternance.

Le Crif – Avez-vous le sentiment que l’Israël d’aujourd’hui a trahi le rêve sioniste d’autrefois ?

Denis Charbit – Je pense qu’Israël peut être fier de ce qu’il est devenu. Je m’émerveille tous les jours de la construction de cette démocratie, par des gens qui ne savaient précisément rien de la démocratie. C’était un sacré challenge et Israël a su le relever.

Cependant, je fais partie de ceux qui pensent que, tant que la question palestinienne n’est pas résolue, il y a encore des défis de taille à relever. 

En cela, il y a sans doute un décalage avec l’idéologie sioniste d’antan, basée sur des valeurs et des principes sur lesquelles doit reposer l’Etat d’Israël.  Il s'agit là d'une question de valeurs fondamentales.

Sans avoir à faire le chemin à la place des Palestiniens - car chacun doit se retrouver sur la route, et les Palestiniens doivent faire leur examen de conscience -, je pense qu’il nous incombe de réfléchir et de travailler à la question palestinienne.

Le Crif - Quelle place pensez-vous que les associations et les ONG « pro-paix » peuvent ou doivent avoir face à une gauche politique, sinon moins présente, moins féroce ?

Denis Charbit – Jusque dans les années 1990 en Israël, les gens qui souhaitaient s’engager en politique s’encartaient dans des partis et se trouvaient rapidement broyés par un système écrasant.

A présent, l’énergie militante a quitté les partis politiques pour rejoindre et investir les associations et les ONG, qui militent pour des causes souvent très précises, là où un parti politique est plus généraliste.

On a vécu un effondrement politique de la gauche qui a du mal à incarner une opposition solide en mettant un peu trop régulièrement de l’eau dans son vin pour séduire un électorat plus droitisé. La société israélienne a connu un renversement politique important : avant, la droite s’excusait en disant « nous aussi on est pour la paix ! », aujourd’hui, c’est la gauche qui s’excuse et qui dit « nous aussi, on est pour la sécurité ! ».

Les associations et les ONG constituent aujourd'hui une certaine force d’opposition et c’est ce qui séduit notamment la jeunesse engagée. Les associations et les ONG font un travail indispensable et s’inscrivent parfaitement dans la démocratie. Elles représentent une minorité de la société israélienne et sont souvent fustigées par une majorité idéologique. C'est d'ailleurs un constat bien triste.

Le Crif – Récemment, les acteurs politiques israéliens parlent beaucoup de consensus entre les partis politiques sur des sujets clés tels que l’Iran ou sur Jérusalem. Y a-t-il des sujets qui ne font pas consensus dans la classe politique israélienne ?

Denis Charbit – Il est vrai que des consensus existent, notamment sur la question de l’Iran puisqu’elle pose directement la problématique de la sécurité du pays. Sur Jérusalem, le consensus est moins vrai en réalité, mais aucun politique israélien censé ne déclarera « Non, ne transférez surtout pas votre Ambassade ! ».

Les différences entre la gauche et la droite israéliennes sont ténues. La gauche souhaite tellement revenir au pouvoir et retrouver sa force politique d'antan qu’elle essaie de séduire un électorat qui n’est pas forcément le sien. 

L’un des vrais dissensus en Israël aujourd’hui réside par exemple dans le rôle de la Cour Suprême et son pouvoir d’exercice. La droite aimerait limiter son pouvoir et ainsi acquérir plus de marge de manoeuvre, la gauche, elle, s'oppose à cette restriction drastique de la place de la Cour Suprême. 

Denis Charbit est maître de conférences au département de sociologie, science politique et communication à l’Université Libre d’Israël. Il est l’auteur de plusieurs livres et articles qui portent sur la nation en Israël et en France. Parmi ses publications, Retour sur Altneuland. La traversée des utopies sionistes, éditions de l'éclat, 2018, Israël et ses paradoxes, 2ème édition revue et augmentée, Le cavalier bleu, 2018, Léon Askénazi et André Chouraqui, A l'heure d'Israël entretiens 1987, texte établi, annoté et présenté par Denis Charbit, Albin Michel, 2018.

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