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Publié le 4 Janvier 2006

Les Manifestations Par Nathalie Azoulai (*)

« La politique dans une œuvre littéraire, c’est un coup de pistolet au milieu d’un concert, quelque chose de grossier et auquel pourtant il n’est pas possible de refuser son attention. Nous allons parler de fort vilaines choses ».


Ces propos de Stendhal extraits de La Chartreuse de Parme s’appliquent parfaitement au nouveau roman de Nathalie Azoulai.
Le concert, c’est le doigté superbe d’une écriture fine et sensible pour narrer les aventures d’un trio d’amis, deux filles et un garçon, les trois « T » : Anne Toledano, Virginie Tessier, Emmanuel Teper. Les années d’études ponctuées par des manifestations généreuses pour la défense des plus faibles autour du « peuple de gauche » défilant de la République à la Bastille. Les amours, le sexe, très prégnant dans le récit, la famille, les ruptures et les retrouvailles. Autant d’éléments réunis pour un roman alerte et d’une lecture agréable. Un concert donc, à l’image des « Quatre Saisons » de Vivaldi, qui savent passer des douceurs du printemps aux frimas de l’hiver.
Nathalie Azoulai, en s’en tenant là, aurait pu nous offrir un très beau roman. Son talent, qui mériterait d’être couronné par un prix, est incontestable.
Mais, pour notre édification, elle va bien au-delà. Car comment retenir le flot de rancœurs qui la rongent, au fil des ans, face à la montée, en France, d’un antisémitisme sournois et pernicieux, sous couvert d’antisionisme ? Le « bon peuple de gauche », hélas, a changé. Ariel Sharon est devenu sa tête de Turc et, plus grave, Israël est accusé de tous les maux de la planète, un État dont la disparition devient, à terme, envisageable et souhaitable. Pour la bonne marche de la France et du monde. En témoigne cette boutade de banquet : « Tout ça, c’est à cause d’Israël, dommage qu’ils n’aient pas pris un scud, ça les aurait calmés ».
Issue de la riche bourgeoisie juive, Anne aura tout tenté pour se fondre dans la masse : un époux catholique, un enfant, Tom Marchelier, élevé en dehors de la religion, une attention soutenue aux problèmes du tiers-monde. Rien n’y fait. Le palestinisme ambiant devient obsessionnel. « Ils disent Tsahal comme on murmure le nom d’un monstre…Tsahal a tué, Tsahal a bombardé, Tsahal a détruit, Tsahal, Tsahal ». Pour elle, c’est désormais la haine. « Cette haine massive, en bloc, c’est le pendant terrible de mon sionisme massif, en bloc, où la raison n’entre plus depuis longtemps ».
Le coup de pistolet au milieu du concert, c’est l’analyse lucide d’un monde devenu fou, où Drumont et Maurras sont portés aux nues par Omar El Sayed, un étudiant arabe, thuriféraire de l’extrême droite, où les Israéliens sont traités de nazis et où les Français semblent avoir fait un choix : « Plutôt les Arabes que les Juifs » car « un jour ils vont aussi nous prendre nos enfants, après les petits Palestiniens ce sera le tour des nôtres de se vider de leur sang pour qu’ils s’abreuvent et décuplent leurs forces ».
Oui, il fallait parler de ces « fort vilaines choses ». Nathalie Azoulai le fait avec brio. Il faut lire impérativement Les Manifestations.
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions du Seuil. Août 2005. 324 pages. 21€