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Publié le 18 Novembre 2021

13 Novembre - Le témoignage de François Molins : "Même si on les redoutait, on n’était pas préparé à des attaques d’une telle ampleur"

L’ancien procureur de Paris a expliqué avec humilité les décisions qu’il a prises dans les heures et les jours qui ont suivi les attaques.

Publié le 18 décembre 2021 dans Le Monde

Dans le « Je me souviens » national de la tragédie du 13 novembre 2015, il y a la douceur d’une soirée d’automne juste avant, les heures d’angoisse et de terreur pendant, et la voix de François Molins après. Un accent de rocaille, une élocution sans éloquence, une alchimie singulière de retenue et de rigueur qui aimantaient à l’écran à « l’heure Molins », celle où le procureur de Paris livrait les premiers éléments de l’enquête sur les attentats qui ont fait 131 morts et des dizaines de blessés. C’était il y a six ans presque jour pour jour. Lorsqu’il s’est avancé à la barre de la cour d’assises spéciale de Paris, mercredi 17 novembre, tout est revenu. François Molins parle et on écoute. C’est un pli dont on ne se défait pas.

Avant lui, l’ancien ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, devenu avocat, avait livré pendant trois heures un plaidoyer impeccable mais terriblement lisse en faveur de son action à la tête de ses services. Les premiers mots de François Molins, aujourd’hui procureur général près la Cour de cassation, sont humbles. « Je voudrais dire deux choses en préambule : ces attentats terroristes n’ont pas pu être évités. J’ai toujours vécu ce type de situation comme un échec. Et tout n’a pas été parfait, loin s’en faut. Au parquet de Paris, on a fait, je crois, au mieux, en donnant le meilleur de nous-mêmes. » Il a aussitôt ajouté : « Je trouve normal de venir m’expliquer pour ça, car nous agissons au nom du peuple français. »

Le 13 novembre 2015, François Molins est l’un des tout premiers à se rendre sur les lieux des attentats. Lorsqu’il arrive aux terrasses de La Bonne Bière et du Carillon, « il est 22 h 15-22 h 30, il n’y a encore aucun enquêteur. Un brave brigadier du 11e arrondissement enlève son gilet pare-balles pour me le remettre. » La voix de l’ancien procureur de Paris chavire lorsqu’il évoque les scènes qui s’offrent à ses yeux. Il se reprend, raconte la suite. La chef de la section terroriste, Camille Hennetier – qui occupe aujourd’hui la place du ministère public à ce procès aux côtés de deux autres magistrats – le rejoint sur place, ils partent ensemble au Bataclan. « J’ignore tout du massacre qui est déjà en cours et de la prise d’otages. Nous arrivons vers 22 h 45. On installe le PC dans un bistrot avec le préfet de police de Paris, Michel Cadot, et le chef de la BRI, Christophe Molmy. A minuit, Molmy nous soumet le plan d’assaut. On va valider très vite ce plan. » Ils suivent l’assaut en direct sur la radio dont est doté le préfet, apprennent que tous les otages sont sains et saufs.

« Nombreux dysfonctionnements »

« Et là, on entre dans le Bataclan. C’est l’horreur. C’est dantesque. Je n’oublierai jamais cette dame, les cheveux coupés au carré, la tête posée sur un sac à main et ce téléphone portable qui sonnait, sonnait… Je ne sais pas si je n’arrivais pas à y croire ou si je ne voulais pas y croire, je suis rentré trois fois au Bataclan. »

Humble et soucieux d’expliquer, le témoin François Molins l’est encore face à la longue liste de questions qui hantent les familles des victimes. « J’ai juré de dire la vérité », dit-il. L’ancien procureur de Paris reconnaît les « nombreux dysfonctionnements » qui ont suivi, tant dans le processus d’identification des personnes décédées que dans la désorganisation de la prise en charge de leurs proches, qui relevaient des missions du parquet. « Il y a eu des doublons, des erreurs d’identification. Je mesure le caractère insoutenable que cela représente pour les familles. Mais on n’avait de cesse de ne pas aggraver les choses. » Il ajoute : « Même si on les redoutait, on n’était pas préparé à des attaques d’une telle ampleur. »

Sur l’intervention jugée tardive de la BRI au Bataclan, François Molins observe : « Il est tout à fait légitime de se demander si on n’aurait pas pu faire mieux. Mais on n’est pas au Far West où on rentre dans un saloon avec des portes qui s’ouvrent et où on tire de partout. » Il assume aussi de ne pas avoir tenté d’interpeller les deux terroristes en fuite, Abdelhamid Abaaoud et Chakib Akrouh, dès que leur planque dans un buisson a été identifiée et d’avoir attendu qu’ils soient « fixés » dans un logement de Saint-Denis pour lancer l’assaut, le 18 novembre à 4 heures du matin. « On a estimé que le risque d’intervenir sur la voie publique était trop important. » Sur l’assaut de la rue du Corbillon, il convient : « Ce n’est pas la meilleure opération. Tout le monde est un peu tétanisé après cette tuerie de masse face à des gens sans limites. La porte ne saute pas et je ne sais toujours pas pourquoi. Il y a eu une volonté de l’unité qui consistait à saturer l’espace. Ils vont tirer, tirer, tirer. Mais je n’émets aucune critique contre les gens du RAID qui ont risqué leur vie contre des terroristes. »

L’ancien procureur ne fuit pas davantage les questions sur les failles du contrôle judiciaire dont ont pu tirer profit les terroristes, tant en Belgique qu’en France. « Dans notre examen de conscience, on s’est rendu compte que la politique pénale qu’on menait n’était pas tout à fait adaptée par rapport à des gens qui avaient rejoint Daech en vue de commettre des crimes contre des Français. Est-ce que les peines prononcées pour association de malfaiteurs terroristes sont les mêmes aujourd’hui qu’en 2012 ? Je ne pense pas. »

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