Tribune
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Publié le 16 Août 2012

La religion des deux États, par Emmanuel Navon

L’idée maîtresse des Accords d’Oslo était que la création d’un vingt-troisième État arabe à quinze kilomètres de Tel-Aviv allait apporter la paix à Israël et la stabilité au Proche-Orient.  Cette théorie ne fait même plus rire.  Outre le sang versé par Oslo, le soit disant « printemps arabe » a mis fin au modèle européen de l’État-nation arabe.  Donc pourquoi ressusciter un modèle défunt et rejeté pour un « peuple palestinien » fictif qui a embrassé l’Islamisme comme le reste du monde arabe ?

À cause de la démographie, bien entendu.  Un État palestinien n’apportera peut-être pas la paix, nous dit-on, mais il n’en reste pas moins une nécessité pour éviter qu’Israël ne devienne un État binational.

 

Si les avocats de la « solution des deux États » se sont trompés concernant la paix, pourquoi penser qu’ils ont raison concernant la démographie ?

 

La solution des deux États étant devenue une religion des deux États, permettez-moi de blasphémer.

 

D’abord, la Bande de Gaza est en-dehors de l’équation.  La « menace démographique » doit donc être mesurée dans l’Israël d’avant 1967 et en Judée-Samarie, c’est-à-dire entre la Méditerranée et le Jourdain.

 

La théorie de la « menace démographique » se fonde sur le recensement effectué en 1997 par l’Institut palestinien de la Statistique (IPS).  Selon ce recensement, il y avait 2,78 millions d’Arabes en Judée et en Samarie en 1997.  Cette donnée était pour le moins surprenante, car le recensement effectué en 1996 par l’Institut israélien de la Statistique (IIS) en 1996 avait déterminé que le nombre de résidents arabes en Judée et en Samarie était de 2,11 millions.  Comme la population arabe avait-elle pu croître autant en un an ?

 

La réponse est le l’IPS inclut dans son recensement les 325 000 résidents arabes expatriés et les 210 000 résidents arabes de Jérusalem.  En 2011, 400 000 résidents arabes de Judée et de Samarie étaient expatriés.  L’IPS continue de les inclure dans son dénombrement.  Or, d’après les règles internationales de recensement, les résidents expatriés pendant plus d’un an ne sont pas comptabilisés.  L’IPS ne respecte pas cette règle internationale (contrairement à Israël).  Et pourtant, la « menace démographique » se fonde sur le recensement faussé de l’IPS.

 

L’IPS présupposa également dans son recensement de 1997 qu’il y aurait une immigration nette annuelle de 45 000 Arabes vers la Judée, la Samarie et Gaza.  En réalité, il y a une émigration nette arabe de la Judée, de la Samarie et de Gaza de l’ordre de 25 000.

 

En 2012, les Juifs constituent deux-tiers (66% exactement) de la population entre la Méditerranée et le Jourdain.  Lorsqu’Israël déclara son indépendance en 1947, la proportion était exactement inverse (33% de Juifs).  En 1900, les Juifs constituaient une minorité de 8% seulement.  Donc, jusqu’à présent, le temps joue pour les Juifs.  La question est de savoir si tel continuera d’être le cas dans les années à venir.  Sur la base des dernières tendances démographiques, la réponse est oui.

 

Depuis 1992, le taux de fécondité arabe en Judée et en Samarie a diminué de façon significative et constante (il est aujourd’hui de 3,2 naissances par femme).  Dans l’Israël d’avant 1967, le taux de fécondité arabe a diminué de 9,23 en 1964 à 3,5 aujourd’hui.  Cette diminution a été constante.  Quant au taux de fécondité juif il n’a diminué que très légèrement, puisqu’il est passé de 3,39 en 1964 à 3,0 aujourd’hui.  Mais le taux de fécondité juif a commencé à augmenter à partir de la fin des années 1990 : il est passé de 2,62 en 1999 à 2,71 en 2004 et à 3,0 en 2011.  L’écart entre le taux de fécondité arabe et le taux de fécondité juif est passé de 5,84 en 1964 à 0,5 aujourd’hui.  Cet écart continue de se réduire à l’avantage des Juifs.

 

L’accroissement du taux de fécondité juif depuis la fin des années 1990 n’est pas uniquement le fait de  la population orthodoxe, puisqu’il augmente également parmi les Israéliens laïcs.

 

Bien que l’Institut israélien de la statistique a constamment surestimé le taux de fécondité arabe et sous-estimé le taux de fécondité juif, c’est toujours sur ses prédictions erronées que se fonde la théorie de la « menace démographique. »

 

Il faut également prendre en compte la question de l’immigration et de l’émigration.  Tandis qu’il y a eu des vagues constantes d’immigration juive (« Aliya ») depuis l’indépendance d’Israël, il y a une émigration annuelle nette des résidents arabes de Judée, de Samarie et de Gaza ces dernières années : 10 000 en 2004, 25 000 en 2006, et 28 000 en 2008.

 

Donc l’idée selon laquelle Israël deviendrait un État binational en cas d’annexion de la Judée et de la Samarie est infondée.  Les Juifs auraient une majorité de deux tiers et cette majorité continuerait d’augmenter d’après les dernières tendances démographiques.  Qu’il soit souhaitable ou non qu’un tiers des citoyens israéliens soient arabes est certes une question qui mérite d’être posée, mais il n’en reste pas moins qu’il n’y a pas de « menace binationale. »

 

Les futures tendances démographiques dépendront également de l’immigration et de l’émigration.  Pendant le Gouvernement d’union nationale d’Yitzhak Shamir et de Shimon Peres (entre 1984 et 1988), les deux dirigeants étaient en désaccord sur la probabilité d’une Aliya massive en provenance d’URSS.  Peres était convaincu à l’époque que faire venir les Juifs soviétiques n’était pas réaliste et que Shamir n’évoquait cette idée que pour justifier son « annexion rampante de la Cisjordanie » selon les dires de Peres.  Or Shamir avait raison et Peres avait tort : un million de Juifs soviétiques (et Éthiopiens) ont bien immigré en Israël (grâce à Shamir).

 

Aujourd’hui, les deux derniers réservoirs potentiels d’Aliya sont l’Amérique du Nord et l’Europe de l’Ouest (5,27 millions de Juifs aux États-Unis, 375 000 au Canada, 483 000 en France, 292 000 au Royaume-Uni).  L’Aliya en provenance des pays anglophones a augmenté de façon significative ces dernières années grâce au travail extraordinaire de Nefesh BeNefesh.  Quant aux Juifs français, beaucoup ne demandent qu’à venir (comme l’explique Michel Gurfinkiel dans son dernier blog).

 

À ceux qui affirment aujourd’hui que faire venir même un demi-million de Juifs américains et français est farfelu, je rappelle que l’on entendait le même argument exactement il y a plus de vingt ans avant l’Aliya des Juifs soviétiques.

 

Une dernière remarque s’impose concernant les incitations financières à émigrer, incitations qui peuvent également modifier l’équilibre démographique.  Je me contenterai d’une question simple : pourquoi est-il acceptable de proposer des incitations financières pour encourager les Juifs à quitter la Judée et la Samarie tandis que proposer la même idée pour les résidents arabes est inacceptable ?

 

En 1947, le Professeur Roberto Bachi implora Ben-Gourion de ne pas déclarer l’indépendance.  Bachi, un professeur de statistiques à l’Université hébraïque de Jérusalem et fondateur de l’Institut israélien de la statistique, affirma à l’époque qu’avec une population de 600 000 les Juifs deviendraient une minorité en 1967.  Bachi ne prit pas en compte les vagues massives d’Aliya, dans lesquelles il ne croyait pas.  Ses prédictions étaient foncièrement erronées, mais son pessimisme et son fatalisme sont fidèlement entretenus jusqu’à aujourd’hui pas son disciple Sergio Della Pergola (un Juif italien lui aussi).

 

Si Ben-Gourion avait écouté les statisticiens et les démographes en 1947, il n’y aurait jamais eu d’État juif.  Contrairement à ce que ces statisticiens et ces démographes affirment aujourd’hui, l’annexion de la Judée et de la Samarie ne remettra pas en cause le caractère juif et démocratique de l’État d’Israël –à condition cependant que le gouvernement fasse de l’Aliya occidentale sa priorité.  Comme le dit Ben-Gourion après avoir déclaré l’Indépendance : « Un gouvernement juif qui ne donne pas la priorité à l’Aliya et à la conquête de la terre trahirait sa responsabilité suprême et compromettrait la grande réalisation historique de notre génération. »