Tribune
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Publié le 10 Septembre 2012

Le Hezbollah libanais à la croisée des chemins

Par Moussa Abou Youssef *

 

Le Hezbollah libanais, assimilé à une organisation terroriste  par le conseil de sécurité des Nations unies, mais pas par l’Union européenne, qui tente de changer de visage militaire et de stratégie politique, s’engage aujourd’hui dans une période critique à plus d’un titre.

A la recherche d’une respectabilité et d’un ancrage dans la vie politique nationale, avec plusieurs ministres au gouvernement et députés au Parlement, le « Parti de Dieu » a adopté un profil bas sur la scène intérieure, face aux minorités sunnites et chrétiennes qui attendent la faute pour le marginaliser.

 

            Au sein des chiites devenus majoritaires dans l’ensemble de la population, son objectif est double : Prévenir la révolte des pauvres en jouant un rôle social et en neutralisant une rébellion intérieure  travaillée par les extrémistes salafistes issus de l’Arabie saoudite ; et satisfaire  les nouvelles classes bourgeoises chiites lancées dans la course à une richesse insolente, que connaissent les élites des autres confessions.

 

            Dans la mouvance des « printemps arabes », le Hezbollah libanais a tenté une prise de pouvoir « soft », sans effusion de sang. Il lui faut, pour cela, se présenter comme étant « fréquentable », à l’instar des partis islamiques dits « modérés »,  comme Ennadah en Tunisie ou les « Frères musulmans » en Egypte.

 

            Se présenter face aux 17 autres minorités religieuses comme étant le défenseur de la liberté des cultes et du vivre ensemble.

 

En témoigne cette protection, par l’armée, de la Grande Synagogue et d’une partie de l’ancien quartier juif de Beyrouth, maintenue en l’état et devenue une forteresse contre toute intrusion de « terroristes ».

 

De plus, le Hezbollah n’a avancé aucune proposition législative freinant la nudité sur les plages ou les tenues provocantes des femmes dans les rues des villes et villages, pas plus que la multiplication des clubs et bars à vin, ou des restaurants à la mode. Plus encore, dans la région du sud chiite, tenue traditionnellement par le Hezbollah, les portraits de Khomeiny et des ayatollahs iraniens qui jalonnaient les rues, ont disparu ces dernières années, remplacés provisoirement par ceux des « martyrs victimes des attaques israéliennes ». Tout comme ont disparu, depuis deux ans, les check-points du Hezbollah dans le sud et dans la Bekaa chiite, remplacés par l’armée régulière.

            Etre garant de l’ordre intérieur en applaudissant lorsque cette armée, encadrée par des chrétiens, formée et équipée par les Etats-Unis, fait la chasse aux planteurs de cannabis dans la Bekaa limitrophe de la Syrie, que s’y développent les meilleurs crus de vins, ou lorsqu’elle protège la route menant à l’aéroport de Beyrouth, après des prises d’otages en juillet, ou  lorsqu’elle sépare trois quartiers belligérants de Tripoli habités par des sympathisants ou des opposants au régime de Bachar el Assad.

 

            De plus, le Hezbollah n’a aucun intérêt à déstabiliser l’économie florissante de ce pays émergeant à la croissance rapide due à un libéralisme sauvage où l’absence d’Etat de droit laisse le champ libre à une corruption débridée, dont il profite. Il l’a prouvé en l’été 2012, en tentant de calmer les appréhensions d’une diaspora libanaise, particulièrement chrétienne, qui a renoncé massivement à ses vacances au pays du cèdre. Le tourisme représente 22% du PIB.

 

Mais, par ailleurs, en cet été 2012, plus un appartement meublé, plus une chambre d’hôtel bon marché ne sont libres, où sont venues se réfugier les familles chrétiennes et alaouites de Damas, d’Alep et autres centres économiques syriens. Les chefs d’entreprises syriens alliés du régime font la navette, aux risques d’enlèvements crapuleux.

 

Le boum immobilier profite aux couches laborieuses chiites. Soutenu jusque-là par les pétrodollars sunnites (Arabie saoudite et Dubaï principalement) il a subi un ralentissement lorsque les ressortissants des pays du Golfe ont été appelés à quitter en urgence le pays en aout 2012, à la suite de prises d’otages.

 

Trois images illustrent cette prospérité économique sur le moyen terme : La première, sur le port de Beyrouth, encadré par un diadème de gratte-ciels scintillant de lumière- alors que la production d’électricité est rare dans le pays- le complexe touristique de « Zeitouni bay » composé d’une multitude de restaurants, clubs et boutiques de luxe, prend un air de Riviera de Dubaï. Dans la capitale et aux alentours, de gigantesques « malls » à l’américaine poussent de manière désordonnée, rivalisant d’opulence, alors que se prépare, jusque dans la montagne maronite, la construction  d’hôtels de luxe et de résidences de vacances, comme ce complexe thermal sur une source célèbre, qui sort de terre sous la houlette de la fille de l’ambassadeur saoudien.

 

La presse économique libanaise rappelait, cet été,  qu’au cours de la dernière décennie, les investisseurs étrangers ayant installé des entreprises dans le pays furent un premier lieu les Etats-Unis, suivis des Émirats arabes unis, de la France (5ème position) et de la Grande-Bretagne.

 

Mais cette situation est éminemment instable et pourrait très rapidement dégénérer, et cela sous trois conditions :

 

De l’issue, plus ou moins rapide, de la guerre civile en Syrie d’une part,  d’autre part, en géopolitique, de la rupture de l’axe chiite que tente de maintenir en place l’Iran, face à la puissante coalition sunnite menée par l’Arabie saoudite. S’y est jointe la Turquie et sa prétention à être la puissance régionale dominante, après la chute de l’Irak. Enfin  de l’agressivité revancharde de Téhéran qui voudra masquer son échec alaouite en Syrie, en se présentant comme une puissance nucléaire, menant un combat décisif contre Israël.

 

A la chute du régime baathiste, principal relai iranien dans la région, Téhéran voudra s’appuyer directement sur le Hezbollah, sans passer par les alaouites syriens. Par exemple, Mahmoud Ahmadinejad pourrait proposer à nouveau au secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah un fort soutien financier lors de la prochaine campagne électorale législative de 2013. Selon la vox populi, la précédente enveloppe d’un milliard de dollars aurait eu raison des 600 millions  investis par l’Arabie saoudite pour « l’achat » de voix. Une manne pour les populations chiite et sunnite pauvres (100 à 150 dollars par vote).

 

S’ajoute, pour Téhéran, la menace de la concurrence extrémiste sunnite qui ressortira grandie du changement de régime en Syrie, avec  son excroissance  au Liban, les Brigades Abdallah Azzam, organisation islamique affiliée à Al-Qaïda, renforcée par tous les djihadistes qui ont afflué lors des combats en Syrie. Le président iranien n’a pas caché son inquiétude sur ce point  lorsqu’il a proposé un « pacte » au président libanais, le chrétien Michel Slimane, pour éviter la contagion syrienne. Pour sa part, le premier ministre sunnite, Najib Miqati, ne fait rien pour déplaire au Hezbollah.

 

Téhéran verrait également d’un mauvais œil l’apparition au Liban de salafistes militants, de tendance wahhabite, comme on le voit en Tunisie ou en Egypte. Enfin, à la suite d’une éventuelle réaction violente de l’Occident et d’Israël contre ses sites nucléaires, l’Iran tentera de ressouder autour de lui la Oumma arabe contre « l’entité  juive » et contre les bases américaines de la région, en obligeant le Hezbollah à être son fer de lance. Nasrallah déplore déjà qu’aucune « révolution arabe » n’ait mis à son agenda la solidarité avec les Palestiniens.

 

Si ces conditions sont réunies dans un proche avenir, alors le maelstrom syrien atteindra la frontière libano-israélienne et le Liban éclatera et ne se relèvera plus pour longtemps… Mais le pire n’est pas certain.

 

C’est le pari que prend  le pape Benoit XVI qui a décidé de se rendre du 14 au 16 septembre dans ce Liban membre de la Ligue arabe et de l’OCI. En marge de cette visite sera inaugurée une Croix de béton, haute comme la Tour Eiffel, dominant la montagne chrétienne, où déjà des Vierges gigantesques s’inscrivent dans le paysage, où les cloches des églises sonnent à longueur de journée et où les calvaires jalonnent les routes. Le Hezbollah devra alors se porter garant de la sécurité du Saint-Père.

 

*Pseudonyme d’un haut fonctionnaire international de retour d’une mission au Liban.