Président du Crif, un militant juif et citoyen
Crédit photo : ©THOMAS SAMSON / AFP
Dix ans après, Charlie Hebdo et le Crif ont organisé une grande soirée de débats et d'hommage pour retrouver l'esprit de la manifestation du 11 janvier 2015 et réaffirmer un engagement républicain partagé pour la liberté d'expression, contre l'antisémitisme et l'islamisme, pour la laïcité. Plus de 1 500 personnes étaient réunies à la Maison de la Mutualité à Paris.
Maison de la Mutualité à Paris, jeudi 9 janvier 2025
« Je suis Charlie. Je suis policier. Je suis juif ». Voilà les mots inscrits sur les pancartes de manifestants parmi les millions de Français descendus dans la rue le 11 janvier 2015 après les attentats de Charlie Hebdo, Montrouge et l’Hyper Cacher.
Ces mots venaient du cœur pour clamer la sidération, la douleur, la colère, mais aussi la volonté d’espérance et de fraternité. Nous avons marché pour conjurer l’islamisme et l’antisémitisme conquérants, pour protéger la liberté d’expression et la laïcité menacées. Sous un soleil d’hiver, nous avons gravé sur les pavés de Paris et de toutes les villes de France le refus de la peur. Ensemble, nous avons fait la promesse d’être des enragés de la République, déterminés et fraternels.
Alors, avec vous, je m’interroge : Qu’avons-nous fait de ces dix ans ? Avons-nous été fidèles à l’esprit du 11 janvier ? Ou alors nos petites lâchetés et nos grands renoncements collectifs ont-ils fait le lit de la victoire des terroristes et de leurs supplétifs ?
Notre soirée organisée conjointement par Charlie Hebdo et le Crif n’est pas seulement une cérémonie d’hommage aux victimes des attentats. C’est un temps de débats pour la République, c’est l’affirmation d’une promesse collective de retrouver l’esprit de combat et de fraternité du 11 janvier !
Charlie Hebdo et les Juifs de France. Qui imaginait cet attelage, avant que des terroristes, – gorgés de haine de la liberté, des Juifs, des apostats, des femmes, de la France… – choisissent d’unir par les liens du sang les caricaturistes d’un journal satirique jovial et rebelle et les paisibles clients d’un supermarché cacher ?
Certains pourraient penser naïvement que cette communauté de destin est uniquement le produit de la tragédie de janvier 2015. Qu’il s’agirait seulement d’une solidarité des éprouvés, née d’une association funeste opérée par l’idéologie islamiste.
Mais non ! Notre solidarité ne doit rien aux terroristes et tout à la République car nos valeurs partagées ne datent pas de 2015.
Chers amis, les Juifs de France sont Charlie par essence, et non par accident.
Comme Charlie Hebdo est engagé contre l’antisémitisme ou le racisme, par essence, et non par accident.
Pourquoi ? Peut-être d’abord parce que nous sommes profondément, intimement, férocement humanistes et républicains.
Ce que nous avons en partage, c’est d’abord cet attachement viscéral à l’universalisme comme horizon et à l’esprit critique comme chemin. C’est l’idée que la République offre à chacun la perspective de l’émancipation pour échapper à tous les déterminismes et les conditionnements. C’est l’idée qu’elle combattra toujours l’antisémitisme, comme les racismes de toute sorte. Qu’elle ne tolérera jamais l’islamisme, pas plus qu’aucune autre idéologie totalitaire.
Croyants ou non, nous partageons la conviction que la laïcité a été, si j’ose dire, une bénédiction républicaine. Depuis 120 ans, les Juifs de France, comme tant d’autres, l’ont chérie et protégée et pleurent aujourd’hui de la voir au mieux, incomprise, et au pire, brocardée.
Et puis, face aux tragédies du monde, face aux tourments de l’Histoire, la satire des caricaturistes et l’humour juif, ont constitué deux manières parallèles de rire de tout, même du pire, et de dénoncer en un clin d’œil l’absurde des imbéciles, la dérive des lâches ou la menace des sanguinaires.
Ce soir, comme à chaque fois que Charlie Hebdo et le monde juif se retrouvent, ce sont deux solitudes qui dialoguent. Et comme à chaque fois, en se rencontrant, elles s’annulent et se dépassent. À ceux qui se sentent seuls, notre soirée rappelle que les républicains solitaires sont nombreux !
Mesdames, messieurs,
Mardi, la France a commémoré officiellement les dix ans des attentats islamistes de janvier 2015, autour du Président de la République et de la Maire de Paris, en présence de nombreuses personnalités.
Hier, nous nous sommes souvenus que, le 8 janvier 2015, Clarissa Jean-Philippe, policière à Montrouge, avait payé de sa vie de s’être interposée entre un meurtrier islamiste et une école juive.
Ce midi, nous sommes retournés devant les locaux de l’Hyper Cacher, porte de Vincennes, pour une nouvelle cérémonie. Je veux rappeler avec vous le nom des quatre victimes assassinées il y a dix ans jour pour jour : Philippe Braham, Yohan Cohen, Yohav Hattab, François-Michel Saada.
Dans la conscience juive, l’attaque de l’Hyper Cacher a sonné comme la tragique répétition des attentats de Toulouse et Montauban, et en particulier de celui de l’école Ozar Hatorah le 19 mars 2012.
Nous savons aujourd’hui que les attentats de janvier 2015 devaient aussi être entendus comme un signal d’alarme.
Un signe précurseur avant les attentats du 13-Novembre, mais aussi les assassinats, parmi tant d’autres, du Père Hamel, de Xavier Jugelé, ou encore de Samuel Paty ou Dominique Bernard, assassinés parce que l’islamisme a peur de l’école et de la liberté de pensée.
Un avertissement aussi avant d’autres attentats partout dans le monde, à commencer par Copenhague quelques semaines plus tard, jusqu’à la Nouvelle-Orléans, il y a quelques jours, en passant bien entendu par le séisme du 7-Octobre en Israël. Nous pensons ce soir à toutes les victimes ainsi qu’aux otages encore retenus à Gaza.
Mais l’attentat de l’Hyper Cacher était aussi annonciateur de l’antisémitisme qui allait suivre : les 300 % d’augmentation des actes antisémites d’abord, début 2015. Puis le tsunami antisémite aux quatre coins du monde depuis le 7-Octobre.
Dans ce combat contre l’antisémitisme, contre l’indifférence, je veux ici remercier l’engagement constant des pouvoir publics.
Je veux aussi remercier Riss et Charlie Hebdo qui, depuis toujours, luttent pour que l’antisémitisme ne soit pas dans l’angle mort du combat pour la République. Riss et Charlie Hebdo qui depuis 2015 veillent à ce que la mémoire de l’Hyper Cacher, comme celle des policiers assassinés, ne soit pas les grandes oubliées de notre conscience nationale.
Il y a dix ans, comme dans dix ans, le Crif restera lui aux côtés de celles et ceux qui luttent contre l’obscurantisme, contre l’islamisme, contre le racisme, contre tous les fanatismes, contre la terreur idéologique, c’est-à-dire aux côtés de Charlie Hebdo.
Le Crif était Charlie avant le 7 janvier 2015, et il restera Charlie après le 7 janvier 2025 !
Chers amis,
Souvent, je relis le livre que Charb avait achevé avant d’être assassiné : Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes (Éd. Les Échappés, 2015). Ses analyses n’ont pas perdu de leur pertinence.
Et l’accusation d’« islamophobie » a rejoint celle de « sionisme » ou désormais de « soutien du génocide » comme forme ultime de l’insulte. Mais ces accusations ne sont pas que des injures, ce sont des bombes à fragmentation qui mettent directement en danger ceux qu’elles visent. En France, au XXIe siècle, l’accusation d’islamophobie a tué. Comme les accusations et les préjugés contre les Juifs ont tué.
Chers amis, qu’y-a-t-il de plus anti-Charlie pour des responsables politiques qui se prétendent à la gauche de la gauche que de rompre, avec la laïcité et l’universalisme républicain ? Que de regarder ailleurs et garder le silence quand Boualem Sansal est emprisonné ?
En alimentant les peurs, ce populisme outrancier fait aujourd’hui le jeu d’un autre populisme, plus taiseux. Les uns et les autres continueront à nous trouver sur leur chemin.
Quant à tous ceux qui reprennent à leur compte les accusations de « soutien du génocide », ils ne cherchent pas à apaiser la détresse réelle des civils palestiniens jetés dans la guerre par le Hamas mais à opérer une inversion morale en faisant des Juifs les nouveaux nazis, 80 ans après la Shoah. Faire des Juifs des nazis : ce travestissement de l’Histoire ne vaut pas beaucoup mieux que celui qu’opérait de son vivant Jean-Marie Le Pen.
Chers amis, ce soir, en nous réunissant autour du Crif et de Charlie Hebdo, nous lançons le plus grand défi aux antisémites, aux islamistes, aux racistes, aux complotistes, aux intégristes, aux fanatiques, aux platistes et, comme le dit si bien Charlie aux cons de tous bords.
Que le souvenir des victimes des attentats de janvier 2015 éclaire nos pas.
Longue vie à Charlie Hebdo, longue vie aux Juifs de France et surtout vive la République !
Yonathan Arfi, Président du Crif