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Published on 3 January 2019

Jérusalem - La Ville sainte : pourquoi les écrivains en sont fous

De la Bible à Gustave Flaubert et d'Amos Oz à Ibn Battuta, petite anthologie hiérosolymitaine.

Publié le 2 janvier 2019 dans Le Point

Ils ont chanté son ciel pur et ses pierres caramel, sa proximité avec le désert mais aussi avec les anges. Ils ont décrit sa saleté, sa folie, son messianisme ou son imposture. « Une cuve d'or remplie de scorpions », dit de Jérusalem la Torah pour qualifier sa beauté et ses dangers.

Les écrivains ne sont pas en reste… Jérusalem par les écrivains : tout un poème ! À moins que ce ne soit un roman, ou une tragédie… Entre ceux qui l'ont enfin atteinte (Chateaubriand), même si, pour cause de peste, ils ne pourront la voir que de loin (Lamartine), ceux qui y sont entrés et qui s'y sentent « assailli [s] de sainteté » (Flaubert), ou ceux qui l'ont perdue (l'auteur palestinien Mourid Barghouti), il y a ceux qui y ont vécu (l'écrivain israélien Amos Oz), ceux qui la rejettent (Pierre Loti, judéophobe, pour ne pas dire autre chose) et ceux enfin qui, comme le poète libanais Adonis, continuent à y voir un message pour le monde et qui ne s'adresse pas qu'à l'âme. Physique, physique Jérusalem…

« [Ô Jérusalem,] il t’arrivera des jours où tes ennemis t’environneront de tranchées, t’encercleront et te presseront de partout ; ils t’écraseront, toi et tes enfants en toi, et ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n’as pas reconnu l’instant de ta visitation. » Evangile selon Luc, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard 

« Cet espace est inondé déjà de la lumière ondoyante et vaporeuse du matin ; après les collines inférieures qui sont sous nos pieds, roulées et brisées en blocs de roches grises et concassées, l’œil ne distingue plus rien que cet espace éblouissant et si semblable à une vaste mer, que l’illusion fut pour nous complète, et que nous crûmes discerner ces intervalles d’ombre foncée et de plaques mates et argentées, que le jour naissant fait briller ou fait assombrir sur une mer calme. Sur les bords de cet océan imaginaire, un peu sur la gauche de notre horizon, et environ à une lieue de nous, le soleil brillait sur une tour carrée, sur un minaret élevé et sur les larges murailles jaunes de quelques édifices qui couronnent le sommet d’une colline basse, et dont la colline même nous dérobait la base : mais à quelques pointes de minarets, à quelques créneaux de murs plus élevés et à la cime noire et bleue de quelques dômes qui pyramidaient derrière la tour et le grand minaret, on reconnaissait une ville dont nous ne pouvions découvrir que la partie la plus élevée, et qui descendait le long des flancs de la colline : ce ne pouvait être que Jérusalem ; nous nous en croyions plus éloignés encore, et chacun de nous, sans oser rien demander au guide, de peur de voir son illusion détruite, jouissait en silence de ce premier regard jeté à la dérobée sur la ville, et tout m’inspirait le nom de Jérusalem. C’était elle ! Elle se détachait en jaune sombre et mat, sur le fond bleu du firmament et sur le fond noir du mont des Oliviers. Nous arrêtâmes nos chevaux pour la contempler dans cette mystérieuse et éblouissante apparition. » Lamartine, Voyage en Orient, 20 octobre 1832, « Folio » 

« Dans la plupart des appartements à Jérusalem, des reproductions de Van Gogh (…) ornent les murs du salon. Des nattes recouvrent encore le sol des petites pièces et un exemplaire des “Jours de Tsiklag” ou du “Docteur Jivago” gît ouvert, posé à l’envers sur un canapé-lit (…). La flamme bleuâtre d’un poêle à pétrole brûle toute la soirée et une douille d’obus garnie d’un joli bouquet de chardons trône dans un coin. » Amos Oz, Judas, 2014, Gallimard 

« Après les terrains vides, nous atteignons maintenant d’étroites ruelles, jonchées d’immondices, et enfin une sorte d’enclos, rempli du remuement d’une foule étrange qui gémit à voix basse et cadencée. Déjà commence le vague crépuscule. Le fond de cette place, entourée de sombres murs, est fermé, écrasé par une formidable construction salomonienne, un fragment de l’enceinte du Temple, tout en blocs monstrueux et pareils. Et des hommes en longue robe de velours, agités d’une sorte de dandinement général, comme les ours des cages, nous apparaissent là vus de dos, faisant face à ce débris gigantesque, heurtant du front ces pierres et murmurant une sorte de mélopée tremblotante. L’un d’eux, qui doit être quelque chantre ou rabbin, semble mener confusément ce chœur lamentable. Mais on le suit peu ; chacun, tenant en main sa bible hébraïque, exhale à sa guise ses propres plaintes. » Pierre Loti, Jérusalem, 1895, Payot 

« Le monde ne connaît de Jérusalem que la puissance du symbole. Le dôme du Rocher en particulier, c’est ce que l’œil voit et c’est ainsi que le monde regarde Jérusalem et en est satisfait. La Jérusalem des religions, la Jérusalem de la politique et la Jérusalem des conflits est la Jérusalem du monde. Mais le monde ne se préoccupe pas de notre Jérusalem, la Jérusalem du peuple. La Jérusalem des maisons, des rues pavées et des marchés aux épices, la Jérusalem du Collège arabe, de l’école Rashidiya et de l’école Omariya. La Jérusalem des portefaix et des guides touristiques qui connaissent de chaque langue juste ce qu’il faut pour s’assurer trois repas par jour. Le Khan el-Zeit et les marchands d’antiquités, de nacre et de galettes au sésame. (…) L’arrêt des bus qui arrivent chaque matin des villages, chargés de paysans venus vendre et acheter. Jérusalem du fromage blanc, de l’huile, des olives et du thym, des paniers de figues, des colliers, du cuir et de la rue Salah el-Din. Notre voisine, la religieuse, et son voisin, le muezzin qui était toujours en retard. (…) Jérusalem des plantes d’intérieur, des allées pavées et des ruelles couvertes. Jérusalem des cordes à linge. C’est ça la ville de nos esprits, de nos corps et de notre enfance. La Jérusalem dans laquelle nous marchons sans nous préoccuper de sa “sainteté” parce que nous y sommes, parce qu’elle est nous. » Mourid Barghouti, J’ai vu Ramallah, 1998, Editions de l’Aube 

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