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Published on 2 February 2022

Interview Crif - Didier Nebot fait entendre la voix des juifs d'Algérie

Le 26 janvier 2022, le Président de la République a reçu des représentants de rapatriés d’Algérie au Palais de l’Élysée. Il a notamment reconnu deux massacres qui ont eu lieu après les accords d'Evian. Didier Nébot, spécialiste de l'histoire des Juifs d'Algérie et Président d'honneur de l'association MORIAL (mémoire et traditions des juifs d'Algérie) était invité, avec Serge Dahan, Président de MORIAL. Il revient pour nous sur cette journée historique.

Crif : Didier Nébot, vous avez participé à la rencontre avec des représentants des rapatriés d’Algérie, au Palais de l'Elysée, le mercredi 26 janvier 2022. En quoi consistait cette rencontre ? 

Didier Nébot : Pour bien comprendre cette rencontre du 26 janvier à l’Elysée, il faut faire un petit retour en arrière. En effet, en février 2017, à Alger, le candidat Emmanuel Macron déclare que la colonisation a été un « crime contre l’humanité » et que la France « doit présenter ses excuses ». Ses propos provoquèrent de vives indignations et de nombreuses polémiques surtout parmi les rapatriés d’Algérie. 

Une telle contrition française ne pouvait se concevoir que s’il y avait une démarche similaire du côté algérien, consistant notamment à reconnaître l’enlèvement et l’assassinat de centaines d’Européens à Oran le 5 juillet 1962 et le massacre de masse des Harkis engagés aux côtés de la France. Malheureusement cela n’a pas été le cas. Nous espérions avec la commission « mémoires et vérité », à laquelle j’appartiens et créée, entre-autre, pour apaiser les mémoires, qu’il y ait le pendant du côté algérien, avec une commission similaire avec laquelle nous aurions pu faire des ponts de mains tendues.

Malheureusement il n’y a pas eu de commission du côté Algérien, bien au contraire puisque le 8 avril 2021, le ministre du Travail algérien déclarait : « La France est l’ennemi traditionnel et éternel de l’Algérie. »

La repentance si controversée ne pouvait pas être à l’ordre du jour et la commission « mémoires et vérité » ne pouvait travailler qu’uniquement du côté français. Il était aussi temps de montrer aux français originaires d’Algérie qu’ils n’étaient pas oubliés. Aussi, fidèle à sa devise du « en même temps » qu’il applique et qui n’est pas toujours bien comprise, le Président de la République a-t-il décidé de réunir le mercredi 26 janvier à l’Elysée les représentants des rapatriés d’Algérie, ainsi que d’autres personnalités concernées par les mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie pour « demander pardon ». Nous étions environ 150 personnes.

 

Crif : Vous y étiez pour faire entendre la voix des juifs d'Algérie. Expliquez-nous comment.

Didier Nébot : Effectivement dans cette invitation de l'Élysée étaient conviés les représentants de toutes les associations de rapatriés d’Algérie, dont l’association MORIAL, mémoire et traditions des juifs d’Algérie, qui est aujourd’hui reconnue comme représentative des juifs d’Algérie. D’ailleurs dans le rapport final de la « commission mémoires et vérité » qui doit être remis très prochainement au Président de la République, MORIAL est citée comme un acteur important de la mémoire des juifs d’Algérie. C’est à ce titre que nous avons été invités, Serge Dahan, le Président actuel de MORIAL, et moi-même, ancien Président de MORIAL. Je me dois de remercier Benjamin Stora qui a œuvré pour que MORIAL ait ce rôle important auprès des pouvoirs publics.

L’Association MORIAL (MORechet Iehudei ALgeria) est née en 1995, sous l’impulsion de Sydney Chouraqui. Elle a son équivalent en Israël sous l’appellation MORIEL. 

Dans le but de laisser le plus bel héritage qui soit à nos enfants, MORIAL a mis en place un travail de mémoire écrite et orale par le biais de son site internet (www.morial.fr) et par l’organisation d’activités culturelles en lien avec les juifs d’Algérie.

Sauvegarder et transmettre la mémoire culturelle et traditionnelle des Juifs d'Algérie, telle est l’ambition et la finalité de MORIAL.

Cependant l’association MORIAL n’est pas représentée dans la commission « mémoires et vérité » chargée de mettre en application les préconisations du rapport de Benjamin Stora. Sollicité par l’Elysée, à la demande de Benjamin Stora, sans que j’en sois demandeur, j’ai fait partie à titre personnel de cette commission dont le mandat s’est achevé le 31 janvier 2022. La commission est constituée de 15 membres dont de nombreux franco-algériens et j’ai pu faire entendre, au sein de cette commission, la voix juive spécifique en expliquant le parcours particulier des nôtres en Algérie depuis 2000 ans pour certains de nos ancêtres. D’ailleurs j’y ai fait un certain nombre de propositions en rapport, pour certaines d’entre elles, avec notre communauté et dont je vous parlerai plus tard.

 

Crif : Le Président du République Emmanuel Macron a reconnu deux massacres qui se sont produits après la signature des accords d'Evian le 19 mars 1962. Quels sont-ils ?

Didier Nébot : Oui, Emmanuel Macron a reconnu dans son discours le caractère impardonnable de la fusillade de la rue d’Isly du 26 mars 1962, où des soldats français ont tiré sur la foule des manifestants européens qui venaient en aide aux habitants de Bab el oued assiégés. Ce drame, trop longtemps passé sous silence, a fait plusieurs dizaines de victimes. Je me souviens très bien de cette terrible fusillade qui avait glacé mon sang, puisque j’y étais avec mes parents. Le Président de la République a aussi parlé de cette épouvantable journée du 5 juillet 1962 à Oran, où des centaines d’européens ont été enlevés et tués par des « éléments », soldats ou autres, de l’Algérie nouvelle, sous l’œil impassible de l’armée française encore présente en Algérie. Ce drame est encore dans toutes les mémoires.

 

Crif : Le 18 mars 2022 marquera les 60 ans des accords d’Évian, négociations qui mirent fin à la Guerre d’Algérie. Que sont ces accords ? Quelles conséquences sur les juifs originaires d’Algérie ?

Didier Nébot : Le 18 mars 1962, après deux années de contacts et de négociations secrètes, les accords d’Évian sont signés par Louis Joxe et Krim Belkacem, colonel de l’Armée de libération nationale, au nom du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Le 8 avril 1962, la France métropolitaine accrédite par référendum l’indépendance de l’Algérie. Ce n’est que le 1er juillet 1962 que l’Algérie votera pour avaliser cette indépendance qui mettra fin à la présence française dans ce pays. La plupart des « pieds-noirs », en plein désarroi, en plein départ ne prendront pas part au vote.

Dans un climat de guerre civile, les pieds-noirs et les juifs (dont la population est alors estimée à 150 000 personnes) quittent massivement le pays.

 

Crif : Quelles sont les initiatives pour commémorer les 60 ans des accords d’Evian ?

Didier Nébot : Un certain nombre d’actions ont été faites et certaines sont en devenir. Tout dépendra bien sûr du résultat des élections présidentielles puisque cette commémoration des 60 ans se fait en pleine année électorale. D’ores et déjà il y a eu quelques action concrètes (colloques, échanges universitaires, propositions de noms de rue au nom de personnalités issues de « là-bas »). J’y ai proposé plusieurs noms de personnalités juives qui ont été acceptées, telles le Cheik Raymond, José Aboulker, Reinette l’Oranaise, Maître Roger Saïd, ancien Président de MORIAL, et d’autres.

En ce qui me concerne j’ai été sollicité par deux équipes différentes de franco-algériens et de suisso-algériens pour participer à deux livres collectifs sur l’Algérie. Le premier sortira le 23 février, en même temps, à Paris et à Alger : « mémoires en miroir », le second le 8 mars en France, Suisse, Belgique, Canada et Algérie : « 60 ans après les accords d’Evian ». Dans ces 2 livres ma contribution écrite concerne : « LA MEMORE JUIVE D’ALGERIE ». Il s’agit peut-être d’une première depuis bien longtemps car Alger ne publie pratiquement rien en ce qui concerne les juifs originaires d’Algérie.

 

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