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Published on 5 January 2023

Interview Crif - Entretien avec Thomas Guénolé, politologue et essayiste

La Commission des Études politiques du Crif a eu le plaisir de recevoir le politologue, éditorialiste et essayiste, Thomas Guénolé, le 15 décembre dernier. Deuxième réunion d’un cycle de conférences ayant pour thème « Français juifs à l’épreuve de la montée des extrêmes », cette réunion portait spécifiquement sur la question de l’extrême gauche en France. À cette occasion, nous avons interrogé Thomas Guénolé sur son parcours et ses engagements.

Crif : Politologue, éditorialiste, auteur de nombreux ouvrages, professeur… vos casquettes sont nombreuses. Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

Thomas Guénolé : Je suis le fruit d’un sacré melting-pot ! Mon père est breton, ma mère est d’origine polonaise, j’ai des racines ashkénazes en lignée maternelle directe, j’ai grandi dans l’arrière-pays niçois, j’ai vécu un temps au Maroc, j’ai été élevé dans la foi chrétienne, et mon épouse est Russe. Nous sommes parents d’une petite fille de 2 ans, le rayon de soleil quotidien de ma vie.

J’ai fait Sciences Po, où mes maîtres furent l’économiste Didier Schlacther, le professeur de relations internationales Bertrand Badie, le constitutionnaliste Guy Carcassonne, la juriste Maryvonne Bonnard. Puis j’ai obtenu un doctorat en science politique, avec Pascal Perrineau pour directeur de thèse. À partir de là tout est allé très vite, un peu comme une locomotive lancée à toute bringue : analyste de la vie politique pour plusieurs grands médias, auteur d’essais auprès de maisons d’édition réputées, éditorialiste dans la presse écrite, chroniqueur politique chez Jean-Jacques Bourdin…

 

Crif : Également militant, vous nous avez révélé avoir travaillé avec l’ensemble des partis politiques français à l’exception du Rassemblement national (RN). Comment se manifeste votre engagement aujourd’hui ?

Thomas Guénolé : Pendant ma thèse doctorale, j’avais eu un coup de cœur pour Jean-Louis Borloo : un véritable humaniste et un authentique génie. Je me suis porté volontaire, au culot, pour devenir son conseiller : il m’a pris. Par la suite, en qualité de spin doctor et de professionnel des programmes, la valse des affinités électives m’a fait travailler comme « éminence grise » pour des personnalités politiques de tous bords. Sauf l’extrême droite, vous avez raison : mon grand-oncle paternel dirigeait la Résistance dans le Finistère, travailler avec des nostalgiques du régime de Pétain ne m’a donc jamais effleuré l’esprit.

Aujourd’hui je n’ai plus aucune activité dans la politique, ni comme conseiller ni comme militant. Je reste un intellectuel engagé dans le débat d’idées, en particulier sur l’écologie des solutions et en tant que géopolitologue-prospectiviste. Mais le monde des politiciens est une page de ma vie que j’ai tournée. En une décennie, j’estime en avoir fait le tour, cela ne m’intéresse plus. 

 

Crif : La lutte contre le racisme fait partie de vos sujets de prédilection. Quelle place accordez-vous à l’antisémitisme au sein de vos travaux ?

Thomas Guénolé : Je combats le racisme et l’antisémitisme pour trois raisons précises : c’est stupide, c’est injuste, et c’est douloureux. En tant que chroniqueur et éditorialiste politique, j’ai beaucoup écrit et pris la parole ces dix dernières années pour déconstruire la rhétorique antisémite, par exemple celle de Dieudonné, et pour identifier la persistance de l’antisémitisme dans des partis politiques d’aujourd’hui, en particulier le Rassemblement national (RN). Par ailleurs, en 2016, invité sur le plateau de Ce soir (ou jamais !), ayant examiné de près les écrits de Houria Bouteldja, j’ai estimé qu’il était de mon devoir d’alerter le grand public sur de telles positions nauséabondes, notamment envers les Juifs, en provenance de cette fraction de l’extrême gauche française. Plus récemment, invité par le CRIF à donner une conférence sur l’antisémitisme à l’extrême gauche en France, j’ai étudié d’une part l’antisémitisme en tant que l’une des traditions de l’extrême gauche française, par exemple chez Karl Marx et Jean Jaurès ; d’autre part les stratégies de déni, de silence et d’évitement pratiquées par l’extrême gauche envers l’antisémitisme d’aujourd’hui. 

En outre, dans mon livre Islamopsychose, sur la diabolisation des minorités religieuses en France, j'ai étudié en profondeur la longue tradition de haine envers les Juifs dans l'Histoire de France, que ce soit par exemple sous le règne de Saint-Louis ou dans la presse française du XIXème siècle. Cela s'inscrit dans ma « théorie de la haine » : sur le temps long de son Histoire, la France a toujours alterné envers ses minorités religieuses entre l'acceptation, la diabolisation et la persécution. Elles lui servent de bouc émissaire de ses phases de déclin, au sens que René Girard donne à ce concept. Et donc, à mon sens, si le racisme et l'antisémitisme renaissent aujourd'hui dans une France en grand déclin, ce n'est pas une coïncidence.

 

 

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