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Publié le 12 Mars 2015

« La solidarité des Juifs américains est touchante et encourageante »

Pour Actualité Juive, le président du Crif revient sur la polémique qu’ont provoquée ses propos formulés sur Europe 1 le jour du dîner du Crif ainsi que sur son voyage aux Etats-Unis.

Publié dans Actualité Juive.

Actualité Juive : En déclarant que « toutes les violences antisémites sont commises par des jeunes musulmans », vous avez déclenché la colère d’un grand nombre. Cela révèle-t-il un refus de voir les faits tels qu’ils sont ?
Roger Cukierman : Les faits montrent bien que ma déclaration traduisait la réalité. Tous ceux qui ont commis des actes terroristes contre des cibles juives depuis l'attentat de Toulouse se sont revendiqués de l'Islam. Et j'ai pris le soin de préciser que je ne faisais pas d'amalgame entre ces djihadistes et les repré- sentants de l'Islam avec lesquels j'entretiens un dialogue permanent.Quant au refus du CFCM de participer au dîner du Crif, cela traduisait d'autres calculs. Le ministre de l'Intérieur avait fixé au lendemain matin la réunion sur la représentativité de l'Islam de France ; le CFCM voulait montrer son désaccord.

AJ : Au-delà de l’attitude de Dalil Boubakeur, comment expliquer ce refus de voir les réalités en face ?
R.C. : Il y a certainement une volonté de ne pas nommer les choses, de peur de susciter la colère du monde musulman. 

AJ: Avec le recteur de la Mosquée de Paris, l’incident s’est résolu suite à la rencontre organisée à l’Elysée. Pour autant, force est de constater que les leaders de la communauté musulmane ne crient pas assez fort avec la communauté juive pour dénoncer l’antisémitisme ambiant. Comment l’expliquer ?
R.C. : Je le regrette. J'entretiens d'excellentes relations avec le Recteur Boubakeur. Je regrette que les dirigeants de la Communauté musulmane ne comprennent pas que la haine qui commence par les juifs ne s'arrêtera pas avec les juifs. Je ne désespère pas de convaincre les dirigeants de la communauté musulmane de s'engager davantage dans le combat contre les djihadistes et la haine antisémite.

Aj : Revenons sur vos propos au sujet de Marine Le Pen qui, eux aussi, ont suscité beaucoup de réactions…
R.C. : Si ceux qui m'ont critiqué s'étaient donné la peine d'écouter ou de lire mon entretien avec Jean-Pierre Elkabbach, ils m'auraient entendu dire dans la même phrase que je ne voterai jamais pour le FN, parti dans lequel on trouvait toujours des négationnistes, des vichystes, et des pétainistes. On a sorti un mot de son contexte.

AJ: N’avez-vous pas perçu, au moment où vous avez déclaré que « Marine Le Pen était irréprochable », la dangerosité de votre formulation ?
R.C. : Je m’en suis rendu compte par la suite. Ce que je voulais toutefois dire et qui a été mal compris, c’est que Marine Le Pen est extrêmement attentive à ne jamais dire un seul mot qui puisse être critiqué sur le terrain de l'antisémitisme. Puis, dès le début du dî- ner du Crif, j’ai tenu à préciser les choses et, par la suite, j’ai été largement applaudi.

AJ: Vous étiez la semaine dernière aux États-Unis où, tout comme le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve l’avait fait juste avant vous, vous avez interpellé les géants de l’Internet pour qu’ils empêchent la diffusion de la propagande islamiste sur la toile. Pensez-vous que ces demandes peuvent aboutir ?
R.C. : Je crois que nous sommes en train de progresser sur ces sujets. J’ai eu une réunion avec les dirigeants de la “Président Conference”, l’équivalent américain du Crif. Je leur ai répété qu’Internet était devenu le moyen de communication utilisé pour fabriquer des djihadistes. Ceux qui ont opéré en France ont en effet reçu leur éducation sur Internet. J’ai profité de l’occasion qui m’était donnée pour aller m’exprimer au congrès du lobby pro-israélien AIPAC et auquel 16.000 participants ont assisté. J’ai ainsi développé cette idée qu’il fallait que les propriétaires des réseaux sociaux soient conscients de la responsabilité qu’ils ont vis-à-vis du monde. Dès lors qu’il existe des meurtriers qui prennent leurs ordres sur Internet, ces pourvoyeurs de réseaux sociaux ne pouvaient pas s’en désintéresser. Nous avons également acheté une pleine page dans le New York Times afin de pouvoir mieux développer cette idée. Cela nous a permis de faire passer ce message plus largement et je sens, outre-Atlantique, l’émergence d’une prise de conscience de ce problème. Il s’agit néanmoins d’un vrai problème vu que le Premier amendement américain assure la liberté d’expression la plus totale. Or, c’est derrière cette liberté d’expression que se réfugient ceux qui estiment qu’en interdisant ces discours de haine, on aliènerait ce principe fondamental de la constitution américaine. 

AJ: La communauté juive américaine se mobilise pour la communauté juive française en organisant notamment des collectes de fonds. Quel regard portez-vous sur ce genre d’initiative ?
R.C. : Je crois que la Communauté juive française devrait se suffire à elle-même. Il y a beaucoup de gens qui pourraient contribuer à la collecte en France. Ceci étant dit, l’émotion des Juifs américains est considérable. Je l’ai vu à travers les messages que le Crif a reçus et par les questions qui m’ont été posées au cours de ce voyage. Il y a incontestablement une solidarité des Juifs américains qui est touchante, encourageante et qui montre bien que lorsque l’on nous attaque, c’est bien l’ensemble des Juifs qui est attaqué. 

AJ: Qu’attendez-vous de la communauté juive américaine ?
R.C. : Qu’elle parvienne à faire modifier les règles qui prévalent sur Internet. Il faut faire en sorte que le Web ne soit plus une école de formation à la haine antisémite ni de formation des djihadistes.