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Publié le 19 Octobre 2012

À propos d’#Unbonjuif

Lettre de Jérôme Guedj (photo), Député de l’Essonne, Président du Conseil Général de l’Essonne

 

« Des jeunes gens antisémites, ça existe donc, cela ?

Il y a donc des cerveaux neufs, des âmes neuves, que cet imbécile poison a déjà déséquilibrés?

Quelle tristesse, quelle inquiétude, pour le vingtième siècle qui va s’ouvrir ! »

Émile Zola, Lettre à la Jeunesse, 1897

 

 

Paris, le 15 octobre 2012,

 

Madame la Ministre de la Justice, Garde des Sceaux,

Monsieur le Ministre de l’Intérieur,

Monsieur le Ministre de l’Éducation nationale,

 

Depuis plusieurs jours, c’est un torrent de haine antisémite abjecte et crue qui se déverse sur le réseau social Twitter. 

81% des utilisateurs de Twitter ont entre 15 et 29 ans. C’est donc à l’adolescence que se cristallisent les préjugés aujourd’hui haineusement déversés sur la toile

Le mot clé #unbonjuif est, en quelques heures, devenu le troisième sujet le plus commenté par les habitués du site qui, sur un ton supposé humoristique, recyclent jusqu’à la nausée, dans un concours de « bons mots » macabres, les stéréotypes d’un antisémitisme que l’on espérait disparu et qui pour leurs auteurs semblent d’une banale évidence : les juifs ont un long nez, dominent le monde, sont radins et surtout bons au four.

 

La gravité de ce phénomène ne doit, en aucune manière, être minimisée, car ce pestilentiel torrent de haine surgit à l’issue de longs mois au cours desquels la violence et la parole antisémites se sont – à nouveau – libérées dans notre pays : assassinat d’enfants juifs à Toulouse, agressions répétées de personnes juives ou supposées telles, attaque de lieux juifs, les exemples ne manquent pas. Il est d’ailleurs révélateur de voir que sur Twitter ces derniers jours, aucune mention n’est faite du conflit israélo-palestinien. Comme si, ce qui, jusqu’ici, servait de justificatif absurde à la violence contre les juifs, n’avait même plus lieu d’être. L’antisémitisme peut désormais se répandre à visage découvert.

 

Cette réalité sociale nouvelle doit interpeler notre société au plus profond d’elle-même. Lors de son remarquable discours de commémoration de la Rafle du Vel d’Hiv le 22 juillet dernier, le Président de la République rappelait que «  la Shoah n’avait été rendue possible que par des siècles d’aveuglement ; de bêtise et de mensonge » et citant Primo Levi, ajoutait : « sauf exception, ils n’étaient pas des monstres, ils avaient notre visage ».

 

Alors que faire ? Que faire pour rassurer des juifs de France tétanisés par la violence meurtrière – fut-elle verbale - dont ils se sentent à juste titre l’objet ? Quelles mesures prendre pour s’attaquer au mal et aux causes du mal ?

 

Comme parlementaire, je souhaite attirer l’attention du gouvernement sur deux des aspects les plus fondamentaux de cette affaire.

 

Il s’agit d’abord de la pertinence de notre arsenal juridique et répressif du racisme en général et de l’antisémitisme en particulier, sur internet. La loi Gayssot et les dispositifs de pénalisation de la haine raciale sont-ils adaptés à l’ère des réseaux et de l’expression anonyme des opinions ? Nos lois nous permettent-elles de poursuivre les auteurs de ces lignes qui tuent et de contraindre, le réseau social qui les diffuse, à prendre des mesures de modération ? Et au-delà des lois, quid de nos forces de police et de gendarmerie ? Sont-elles formées, équipées et en nombre suffisant pour enquêter, instruire et parfois prévenir la haine raciale 2.0 ?

 

Il s’agit ensuite de s’attaquer aux causes du mal. 81% des utilisateurs de Twitter ont entre 15 et 29 ans. C’est donc à l’adolescence que se cristallisent les préjugés aujourd’hui haineusement déversés sur la toile. Quel rôle l’Éducation nationale peut-elle jouer en terme d’éducation à la citoyenneté et au vivre ensemble d’abord, mais également en terme de sensibilisation à un usage raisonné, responsable et citoyen des outils numériques ?

 

La jeunesse a été placée au cœur du projet de la majorité. Il est de notre responsabilité de ne pas fermer les yeux sur ce qui constitue sa part d’obscurité et de violence.

 

Vous remerciant de votre mobilisation contre ce phénomène d’une exceptionnelle gravité, je vous prie de croire en l’expression de ma très haute considération.

 

Jérôme Guedj