Actualités
|
Publié le 11 Février 2015

10 février 2015 – Comité contre le terrorisme – Intervention de Mme Christiane Taubira

«Nous voulons inscrire les efforts de la France dans une logique multilatérale»

Intervention de la Ministre de la Justice et Garde des Sceaux lors de la réunion du Comité contre le terrorisme consacrée à « Concilier la lutte contre le terrorisme et la défense de l’Etat de droit », publiée sur le site de l’ONU le 10 février 2015.
« Chaque génération sans doute se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande, car elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse ». C’est ainsi que parlait Albert Camus déjà en 1957, le 10 décembre à Stockholm, lors de son discours de réception du prix Nobel de Littérature.
Est-ce que notre tâche première n’est pas justement d’empêcher que le monde ne se défasse ? Nous sommes réunis pour saisir et déconstruire aux fins de la neutraliser et de l’éradiquer la puissance dévastatrice du terrorisme. Face à cette menace qui déstabilise les Etats, qui se joue des équilibres régionaux, qui piétine l’espoir d’un ordre international, je crois que nous sommes interpelés sur nos capacités conceptuelles et opérationnelles multilatérales.
Nous sommes unis par la volonté, mais nous sommes unis aussi parce que nous n’avons pas le choix : la disparité et la gravité du péril terroriste qui se moque lui des frontières, des langues, des cultures, des ancrages, des avenirs, cette gravité et cette disparité expose notre sécurité commune. Et notre sécurité dépend de la capacité d’un pays, d’une région, mais toujours sous vigilance collective, de voir venir et de contenir cette menace dans ses formes anciennes, nouvelles, toujours protéiformes. Il est important que nous puissions saisir, comprendre et mesurer l’état des choses.
10 000 attaques terroristes ont été enregistrées l’année dernière, 10 000 attaques nouvelles faisant 18 000 morts. Et tel que l’indique l’indice global du terrorisme (Global Terrorism Index) tel qu’il apparait dans le rapport qui a été publié par
the Institute for Economics and Peace, le nombre d’attaques a augmenté de 61% entre 2012 et 2013 et le nombre de victimes a augmenté de 44%. Cinq pays cumulent 85% des victimes : l’Irak, la Syrie, l’Afghanistan, le Pakistan, le Nigéria.
Le fanatisme qui sert d’ossature au terrorisme auquel nous sommes confrontés présentement, ce fanatisme ne se contente pas d’un discours de propagande : il produit de véritables méthodes d’endoctrinement basées sur la rupture d’avec la famille, d’avec la société, et un embrigadement de type sectaire. Il revêt des atours anciens comme le conspirationnisme, considérablement amplifié par les capacités d’internet et des réseaux sociaux. Mais il prend aussi des allures nouvelles notamment sous la forme d’une vérité absolue qui devrait s’imposer à tous. Et surtout, il modifie ses méthodes, ses modes opératoires, il diversifie ses lieux, ses cibles, et il tient compte des nouveaux supports de médias, de jeux vidéos, mais aussi des références religieuses, culturelles, superstitieuses, y compris cinématographiques. Et c’est ainsi qu’il parvient à inspirer y compris des jeunes en quête de sens, en quête d’une cause à servir, en quête d’un dépassement de soi ou de mornes quotidiens.
Il est important que nous regardions, en tout cas pour ce qui concerne la France, le pourcentage de personnes embrigadées qui sont des convertis récents. Ce qui permet de s’interroger sur leur ignorance en matière religieuse. 25% c’est beaucoup. Mais cela nous conduit à nous interroger sur le processus qui consiste à passer de la recherche d’une cause noble à servir vers la mission funeste de semer la mort et de la désirer. Certes, cette violence dépasse notre entendement et nous pouvons nous demander s’il y a la moindre rationalité. Mais pour ne pas être défaits, pour ne pas être vaincus, nous devons avoir le courage d’interroger, et nous interroger sur cette fascination pour le crime, pour la mort ; cette fascination et ce qu’elle peut nous dire de la recherche et du besoin d’utopie, d’idéaux, de perspectives d’avenir. La grande philosophe Simone Veil disait que ce qui rend l’homme capable de pécher, c’est le vide. Que tous les péchés sont des tentatives pour combler les vides. Elle pensait sans doute également au crime.
La question qui nous est posée est la nature des réponses que nous apportons à cette situation. La France a choisi d’apporter des réponses multiples articulées autour de quatre axes.
— D’abord un arsenal pénal, législatif, qui a été modernisé en décembre 2012 et novembre 2014 et qui a introduit des moyens d’investigations et d’actions pour les enquêteurs et les magistrats, ainsi que des infractions nouvelles pour tenir compte des modes opératoires qui surgissent, ainsi que de la capacité de propagation, de multiplication et d’évaporation que procurent internet et les réseaux sociaux. Nous renforçons également les procédures de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, les procédures de protection des victimes et des témoins, nous ajustons le dispositif de protection des repentis, et nous créons un fichier qui nous permettra de suivre les personnes condamnées pour terrorisme.
— Le deuxième axe de ces réponses est un plan d’action gouvernemental avec pour objectif de démanteler les filières – et nous avons démantelé plus d’une quinzaine de réseaux - d’empêcher les déplacements, les sorties du territoire et de contraindre certaines entrées, les empêcher grâce à une plateforme nationale, téléphone et web, que nous avons mise en place et qui permet non seulement de recevoir des signalements, mais aussi d’accompagner et de soutenir des familles qui sont dans le désarroi face à ces processus de radicalisation violente. Ce plan vise également à limiter et à interdire la diffusion de contenus illicites sur les réseaux sociaux, mais aussi à améliorer l’efficacité de la coopération internationale.
— Le troisième axe de cette réponse du gouvernement vise à diversifier les réponses d’Etat : dans la sécurité, dans la justice, mais également dans l’éducation, dans la politique de la ville et dans l’accompagnement à l’emploi. Et ces politiques publiques sont adossées à un fort renforcement des effectifs et des moyens techniques. Pour ce qui concerne la justice, la mise en place d’un réseau de magistrats référents sur l’ensemble du territoire, la création d’un réseau de référents laïcité-citoyenneté pour accompagner tous les jeunes qui sont sous la responsabilité de la Protection judiciaire de la jeunesse, un plan massif de formation pour tous les personnels de justice, le recrutement d’aumôniers pour intervenir dans nos prisons. Mais également la sécurisation des prisons, des tribunaux, également des équipements de hautes technologies, la mise en place d’une cellule de veille sur internet, ainsi que le recrutement d’interprètes.
— Le quatrième axe de notre réponse consiste à procéder à une analyse rigoureuse des processus et des phénomènes d’endoctrinement, à les comprendre, à établir des indicateurs de détection des processus de radicalisation violente, à concevoir des programmes de désendoctrinement. Pour cela, nous avons conçu des partenariats avec des universités et des organismes de recherche, nous avons lancé des recherches-actions depuis 6 mois dans plusieurs prisons et nous étudions attentivement les expériences qui se conduisent ailleurs.
Evidemment les réponses nationales sont indispensables et ne sont pas suffisantes. C’est pourquoi nous voulons inscrire les efforts de la France dans une logique multilatérale et que nous déployons nos efforts pour agir au niveau régional, mais aussi au niveau international… Lire l’intégralité.