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Publié le 3 Mars 2010

Alexandre Vigne : pour une éthique universelle et contre la xénophobie

Le 15 février dernier, le président du CRIF, accompagné de Jean-Pierre Allali, membre du Bureau Exécutif, a reçu une délégation de l’association C.I.E.U.X. (Comité Interreligieux pour une Ethique Universelle et contre la Xénophobie) conduite par son président, Alexandre Vigne, qui avait à ses côtés, Mohamed El-Madani, vice-président musulman, Hichem Bakri, secrétaire général adjoint et Bernard Koch, en charge de la communication.



L’entretien a permis notamment de voir de quelle manière le CRIF et CIEUX pouvaient envisager des actions communes dans le domaine du dialogue interreligieux. Nous avons voulu en savoir plus en interrogeant Alexandre Vigne.
Newsletter du CRIF : Quand a été créé CIEUX et quels en sont les objectifs principaux ?



Alexandre Vigne : Je suis reconnaissant au CRIF de s’être intéressé au CIEUX dès son origine : le 24 octobre 2007, j’ai été auditionné par la Commission des Relations avec les ONG, les Syndicats et le Monde Associatif à la demande de son président, Jean-Pierre Allali, par ailleurs secrétaire général de CIEUX. C’est lui qui a trouvé l’acronyme de CIEUX. Quatre jours plus tard, le Journal Officiel publiait les statuts de l’association. Le principal objectif était de démocratiser le dialogue entre les religions. Il fallait évaluer la faisabilité d’un itinéraire de formation réalisable par les différentes religions afin que leurs fidèles apprennent à dialoguer. Car, dans la pratique, les fidèles ne dialoguent pas suffisamment : ils se contentent d’assister aux rencontres en écoutant religieusement leurs responsables. Leur voix n’est pas entendue. Pouvait-il y avoir, à ce moment là un lieu plus approprié que l’Assemblée nationale pour inviter les religions à parler des Droits de l’Homme et à démocratiser leur dialogue ? Nous nous sommes donc réunis pour en parler à l’Assemblée nationale. La première réunion a eu lieu le 21 mars 2007, avant les élections présidentielles et la seconde, le 25 avril, entre les deux tours. C’était une initiative citoyenne qui s’inscrivait dans l’élan civique que vivait la France pour élire le président et les députés. Mais ce projet n’avait aucune visée partisane ! Il a été présenté et accueilli comme une simple démarche citoyenne. L’État était d’ailleurs représenté par le conseiller à la citoyenneté du ministère de la Cohésion sociale. Je précise du reste qu je n’appartiens à aucun parti. J’avais simplement lu, comme n’importe quel citoyen qui cherche à connaître le programme des candidats, l’ouvrage de Nicolas Sarkozy intitulé : « La République, les religions, l’espérance ». J’ai voulu répondre à l’appel à réfléchir aux « traits communs que l’on trouve dans toutes les religions » lancé par le président de la République, qui plaidait pour que soit mise en évidence « une morale naturelle commune à toutes les civilisations en référence avec un absolu » (1) Cette approche me semble bonne car elle a une visée éthique : la paix.



Il y a, au sein de CIEUX, des Chrétiens, des Juifs, des Musulmans, des Bouddhistes et des Hindouistes. Faites-vous une place aux non-croyants ?



Oui, et d’ailleurs, du point de vue laïc, le mot « CIEUX » désigne un point de départ ; l’étonnement ressenti en contemplant la voûte étoilée. Du point de vue des religions, en revanche, le mot « CIEUX » désigne un aboutissement, un point d’arrivée : le lieu où séjournent les âmes après la mort. Concrètement, CIEUX propose aux non-croyants de préparer le dialogue interreligieux comme les fidèles le font de leur côté, indépendamment les uns des autres, dans leur lieu de culte respectif. Les non-croyants se réunissent en une communauté laïque, lors d’une préparation spécifique : ils étudient les grands textes de la laïcité et, à la place des Livres Saints, ils lisent des proverbes portant sur le même thème que les fidèles étudient dans les versets. Vous savez, il existe une communauté laïque en marge de chaque religion. Songeons à tous ceux qui se désignent comme étant « Juifs français », « Chrétiens français », « Musulmans français », « Hindouistes français » ou « Bouddhistes français »…Ils ne sont pas nécessairement croyants : ils se considèrent parfois comme athées ou agnostiques tout en s’identifiant à un héritage religieux. Les religions n’ont donc pas attendu l’association CIEUX pour réfléchir à ce que peut apporter leur contribution dans l’espace public, laïc et pluriel. Dès 1962, par exemple, dans son encyclique « De la paix sur la Terre », le pape Jean XXIII appelait les Chrétiens à œuvrer pour le bien commun avec les autres religions et même avec les non-croyants. Une solidarité existe entre les communautés religieuses et les citoyens si chacun fait preuve d’hospitalité, de réciprocité et de civisme. Les citoyens sont les partenaires du dialogue interreligieux car leurs avis contribuent à la recherche du bien commun.



Vous disposez désormais de « sections » locales. Quelles sont-elles ?



Les premiers CIEUX sont nés à Paris, puis, très vite, en banlieue, à La Défense (Puteaux, Courbevoie, Neuilly), Drancy et, maintenant en province comme à Brive-La-Gaillarde ou Toulouse. Nous demandons, quand c’est possible, une adresse à la Maison des Associations et, à chaque fois, la municipalité, qu’elle soit de gauche ou de droite, nous l’accorde car nous participons au vivre-ensemble dans le cadre de la laïcité. Pour organiser une réunion de lancement dans une ville, il suffit de contacter l’association. Nous organisons alors une réunion entre les responsables de communautés qui nomment eux-mêmes un coordinateur de CIEUX local. C’est eux qui décident du thème et des fréquences de leurs rencontres. Les antennes locales n’ont aucune autorité sur les communautés qui les composent, pas plus que le Conseil d’administration de CIEUX n’en a sur les antennes locales. L’association CIEUX ne dispose pas de culte en propre et s’interdit toute décision contraire aux religions partenaires. Ses membres relèvent de diverses communautés au sein desquelles ils préparent les rencontres sans se mélanger, de façon à respecter la cohérence de leur propre religion. J’ajoute qu’en tant que telle, l’association CIEUX n’a pas d’avis à donner à propos des questions politiques, économiques, sociales, scientifiques ou cultuelles. Au fond, CIEUX n’est qu’une instance coordinatrice, qui ne rompt le silence que pour dialoguer.



À propos de dialogue, vous privilégiez ce que vous appelez le « dialogue de quartier ». Pourquoi ?



CIEUX met en œuvre l’une des quatre formes de dialogue interreligieux : non pas le dialogue des spécialistes, réservé aux théologiens, ni celui des mystiques, notamment des moines, qui transmettent leurs voies de recherche dans l’Absolu, ni non plus celui des œuvres caritatives, mais le dialogue de la vie, entre voisins. La mondialisation rend nécessaire ce lien humain dans les villes où cohabitent des personnes de tous horizons. La mondialisation déracine les communautés et CIEUX les aide à prendre racine dans leur nouvel environnement. Ce sont les intervenants et les fidèles des communautés d’une même ville qui sont invités à dialoguer, non des représentants qui ne connaissent pas la réalité de leur quartier. Lors des dialogues interreligieux, trop souvent, les intervenants ne sont pas du quartier, les participants ne sont pas invités à dialoguer et les non-croyants ne sont pas représentés. CIEUX a voulu rompre avec cette pratique, en prenant le dialogue à contre-courant. Quand on sait qu’à l’intérieur des communautés sont privilégiées l’amitié, la fraternité et la compassion, il est plus que regrettable que ces sentiments ne puissent s’exprimer lors des dialogues interreligieux. Voilà pourquoi nos dialogues sont des rencontres intercommunautaires et laïques. Oui, il est possible de vivre ses convictions en union fraternelle avec ceux qui n’ont pas les mêmes. D’ailleurs, la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » associe deux droits, la liberté et l’égalité à un sentiment, la fraternité. Il est bon que de tels sentiments puissent fonder la vie en société et la pratique des droits humains. Ainsi, quel que soit le thème choisi, les dialogues organisés dans les CIEUX font toujours référence à un commandement et à un droit de l’homme.



(1)Nicolas Sarkozy. La République, les religions, l’espérance. Entretiens avec Thibaud Collin et Philippe Verdin. Éditions du Cerf. 2004, pp 194-195.



CIEUX. Maison des Associations. Boîte n°47. 8, rue du général Renault. 75011. Paris



Photo : D.R.