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Publié le 8 Avril 2011

Arlette Testyler : la mémoire vigilante

Richard Prasquier a élevé le 6 avril dernier au rang de Chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur, Arlette Testyler, présidente fondatrice de l’association Mémoire et Vigilance des Lycéens.




Au cours de la cérémonie, il a salué l’extraordinaire vitalité de cette femme, orpheline trop jeune, et de son époux, Charles Testyler, rescapé de sept camps.



Arlette Testyler, née Reiman est une petite fille espiègle et intelligente, élevée à la sève de la République dans une propreté bourgeoise. Après l’internement et la déportation de son père lors de la rafle dite du « billet vert » Arlette, sa sœur et sa mère vont connaître l’enfer du Vel d’Hiv’ et son cortège d’humiliations, de visions violentes, d’odeurs pénétrantes de déchéance humaine. Elle ignorait tout de l’antisémitisme, de ses soubassements et de sa capacité à pulvériser les existences. Son père, en héritage, lui avait légué des noms : Voltaire, Rousseau, Diderot, Zola…



Après la guerre, sa mère se laisse mourir de chagrin devant l’absence irrévocable de son époux.



Charles Szlamek Testyler, l’adolescent de Slawkow, en Haute-Silésie, fête ses 15 ans le jour de sa déportation. Sept camps plus tard, il arrive à Paris, sans rien connaître de la langue française. Né dans une famille sioniste dont le père, chef du personnel d’une usine florissante, s’était nourri de lectures, il a 12 ans quand les Allemands envahissent son village natal le 5 septembre 1939. Lui, il savait déjà la violence inouïe de certains rapports humains, et il garde la blessure des souvenirs d’école terriblement ostracisants.



Charles Testyler, est un mensch, un homme d’honneur qui ne s’en laisse pas compter et dont la force et la volonté sont de solides piliers. De sa famille, il a perdu l’essentiel, c'est-à-dire les êtres humains mais n’a rien perdu de son héritage immatériel. Il a farouchement caché durant la quasi-totalité de sa déportation ses téphilines et une photo de Bina, sa mère.



Grâce à leur association Mémoire et vigilance des lycéens, Arlette et Charles ont organisé en 15 ans quatorze déplacements en Pologne, à Auschwitz-Birkenau et à Majdanek. Des professeurs, des lycéens mais aussi des journalistes et des étudiants en journalisme ont participé à leurs voyages. Arlette et Charles y tiennent beaucoup, malgré les difficultés inhérentes à l’évocation de souvenirs douloureux.



Arlette Testyler a tenu à ce que la cérémonie qui l’a élevée au rang de Chevalier dans l’ordre de la légion d’honneur, se déroule dans la synagogue de la place des Vosges où officie le rabbin Olivier Kauffmann. L’usage n’est pas commun, mais ainsi que l’a souligné le rabbin, cette synagogue n’est pas « juste une synagogue, c’est « un véritable laboratoire d’idées en matière de mémoire » puisque elle fut cofondée par le rabbin Liché (za’l) rescapé d’Auschwitz, le maître d’œuvre de cette maison, « la maison de tous, religieux ou pas. » Il a rendu hommage à la force créatrice d’Arlette Testyler, à sa capacité à innover, à l’exemple qu’elle est pour « la nation française », à l’inspiration qu’elle diffuse autour d’elle.



Moïse Cohen, président de la commission Shoah du Consistoire de Paris a également pris la parole au cours de la cérémonie pour rendre un hommage appuyé à l’exigence d’Arlette Testyler.



Sa médaille dédiée à ses parents, à son mari, sa fille et aux trois générations suivantes des Testyler, est une reconnaissance de la République pour celle qui se souvient de l’étoile jaune cousue à la place du cœur, là où aujourd’hui elle arbore le précieux trophée. Elle rappelle qu’elle n’a pas oublié que « le temps des juifs n’était pas le temps des autres » et martèle « le respect de la vérité est une ascèse dont il faut proclamer la nécessité. » Sa persévérance dans la parole « redonne vie à l’histoire, mais dans la honte de devoir dire une histoire trop douloureuse. » Elle sait aussi l’importance des recherches des historiens de la Shoah, et leur rôle déterminant pour la compréhension du génocide.



Charles Testyler, sans une note, s’est lancé avec pudeur juste avant que l’assemblée ne se sépare, pour dire de sa femme : « Elle lit le soir quand je m’endors, et je la retrouve au matin toujours avec un livre… je l’aimais, et je l’aime encore. »



Stéphanie Dassa



Photo : D.R.