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Publié le 12 Décembre 2011

Au Liban, l'électricité de la colère

Tout à coup, des cris ont résonné dans le voisinage, avant d'être couverts par le bruit des générateurs électriques installés dans les rues. Ces cris sont ceux d'habitants de Beyrouth, exaspérés par les coupures sauvages d'électricité, au-delà des trois heures quotidiennes de rationnement imposées depuis 2006, et qui ne disposent pas d'une source d'énergie privée.
Les délestages sont devenus encore plus pesants, quand l'une des usines de production, située dans le Sud, s'est mise en grève, vendredi 2 décembre. Pendant trois jours, la capitale n'a été alimentée qu'à mi-temps. Le reste du pays a également été pénalisé.



Les employés ont motivé leur action par la colère de voir une grande partie de leur production destinée à d'autres régions, tandis que le Sud est durement affecté par les pénuries d'électricité. Les médias libanais ont rapporté que le mouvement était en réalité éminemment politique. L'usine gréviste se trouve dans un district dominé par le Parti Amal. Cette formation, avec le soutien du Hezbollah (tous deux sont membres de la coalition au pouvoir), aurait voulu envoyer un message à ses confrères au sein du gouvernement, selon la presse. Les sujets de discorde, sur le tribunal Hariri ou les réformes, ne manquent pas au sein de l'exécutif formé en juin et dirigé par le premier ministre, Najib Miqati.



Au-delà de cette grève, les rationnements provoquent une frustration toujours plus grande parmi les Libanais. Les capacités du Réseau national d'électricité du Liban (EDL), fonctionnel jusqu'à la guerre de quinze ans (1975-1990), n'ont jamais été rétablies au sortir du conflit.



Les bombardements israéliens des usines de production, lors de la guerre de 2006, ont aggravé la situation : la capitale, qui depuis 2000 était correctement alimentée, subit des coupures. Aux défaillances techniques du Réseau, se greffe aussi le poids des branchements illégaux et des factures non payées.



Les inégalités dans l'accès à l'électricité, selon les régions, sont frappantes, souligne l'économiste Kamal Hamdan, directeur de l'Institut de consultations et de recherches (CRI). Elles augmentent l'amertume, parmi les plus défavorisés. Selon une étude menée par le CRI, en 2008, pour la Banque mondiale, plus de 90 % des habitants de la Bekaa (Est) vivent avec au moins douze heures de coupures quotidiennes. Suivent ensuite le Sud, puis l'Akkar (Nord), en tant que régions les plus lésées.



Les délestages signifient, pour ceux qui n'ont pas d'alimentation en électricité privée (plus de 42 % de la population, selon le CRI), des maisons plongées dans l'obscurité dès la tombée de la nuit ou des heures de paralysie sans pouvoir utiliser d'appareils électriques.



Les abonnés aux générateurs (bruyants et très polluants, en plus d'être illégaux), afin de pallier les carences, font face à des frais toujours plus difficiles à soutenir - jusqu'à 100 dollars (environ 75 euros) mensuels l'été passé à Beyrouth, pour une couverture minimale durant les heures de délestage. Parmi les industriels, les coûts en énergie privée sont si élevés qu'ils ont parfois mené à la faillite, depuis les destructions engendrées par le conflit de 2006.



Chez tous, les coupures nourrissent le sentiment d'une incurie totale des autorités à l'égard des citoyens. "L'Etat est venu !", s'exclame un Libanais, pointant une ampoule allumée au plafond, sur un dessin paru dans le titre francophone L'Hebdo Magazine.
Or, souvent, l'Etat semble ne pas venir. Plusieurs cabinets ont planché sur des plans de réforme par le passé, sans permettre une issue. Le gouvernement actuel a adopté un projet, entériné par le Parlement, qui devrait permettre de couvrir les besoins énergétiques du pays d'ici les prochaines années. Les critiques adressées par l'opposition ont moins concerné les choix stratégiques (nature des sources d'énergie) que le plan de financement.



Les mesures prises par l'exécutif n'ont pas suscité l'enthousiasme populaire, tant les Libanais sont devenus sceptiques sur la capacité de leurs dirigeants, souvent perçus comme corrompus et opportunistes, à résoudre leurs problèmes.



"Rien ne pourrait donner autant de satisfaction à un Libanais que de voir un politicien devoir chercher une bougie pour s'éclairer", écrit une journaliste du quotidien de gauche Al-Akhbar. L'électricité reste l'un des rares thèmes sociaux capable de mobiliser : manifestations épisodiques contre le rationnement, protestations contre l'installation d'une ligne à haute tension dans la banlieue est de Beyrouth.



Certains, pourtant, ont su profiter des faiblesses de l'Etat. Les propriétaires de générateurs privés, ainsi, engrangent de larges gains, grâce à un système de monopole et de clientélisme. Des gains qu'ils veulent bien sûr maintenir. Ils sont fréquemment accusés d'empêcher toute réforme du secteur énergétique et de bénéficier, pour assurer leur emprise, de complicités politiques. Serpent de mer depuis des années, l'électricité demeure l'un des dossiers prioritaires à régler pour réconcilier la rue libanaise avec sa classe dirigeante.



Photo : D.R.



Source : Le Monde



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