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Publié le 22 Juin 2006

EXCLUSIF Docteur Jean-Louis Levy, petit-fils d’Alfred Dreyfus : « J’étais médecin. Je soignais un prêtre. Un jour, sa mère m’a posé cette question: ‘Alors ce Dreyfus, il était coupable ou non ?’ »

Question: Le 6 juillet 2006, de 15 heures à 19 heures, à l'Hôtel de Ville de Paris, le CRIF et la Mairie de Paris organisent un grand colloque sur le thème L'Affaire Dreyfus: histoire, mémoire, justice, raison d'Etat. Cet événement s'inscrit dans le cadre de la célébration du centenaire de la réhabilitation du capitaine Alfred Dreyfus. Que pensez-vous de la tenue de ce colloque ?


Réponse : C’est une excellente initiative.
Question : Quel souvenir gardez-vous de votre grand-père, Alfred Dreyfus ?
Réponse : J’ai un souvenir assez précis de mon grand-père, mais assez banal somme toute. Je dois d’abord vous dire qu’à ses petits enfants, Alfred Dreyfus n’a jamais dit un mot sur l’Affaire et pas un mot sur ses souffrances. Malgré tout, j’ai tout de même des souvenirs précis de mon grand père. Je le revois lorsqu’il prenait des vacances avec nous, l’été. Je le vois très bien par exemple sur son lit de mort, le 11 juillet 1935. Mais finalement, ce dont je me souviens, c’est de l’image d’un grand père et non du capitaine Alfred Dreyfus.
Question : Votre mère, Jeanne Dreyfus (fille d’Alfred et de Lucie Dreyfus), vous parlez-t-elle de l’Affaire ?
Réponse : Ma mère était très attachée à tout ce qui se rapportait à son père, donc à sa mémoire. Elle avait une infinie tendresse pour lui et de l’amour. Elle m’a confiée tous les documents sur l’affaire qu’elle possédait. Elle les regardait avec attention et un jour elle m’a demandé de classer les lettres et archives que nous possédions. C’est elle qui a fait don au Musée de Bretagne de Rennes d’une imposante correspondance de la famille, notamment les milliers de télégrammes que Lucie Dreyfus a reçu lors du procès de Rennes, en 1899.
Question : Comment votre famille a-t-elle vécu l’Occupation ?
Réponse : Ma grand-mère (Lucie Dreyfus, femme d’Alfred) était avec nous, à Toulouse. Durant l’occupation elle a été hébergée dans un couvent à Valence. Elle n’a pas été inquiétée. Une seule personne dans ce couvent savait qui elle était, la Mère supérieure du couvent. A la fin de l’occupation, Lucie Dreyfus est revenue vivre dans son appartement. Elle n’a pas eu à souffrir directement. Ma mère (Jeanne Dreyfus) assurait l’intendance de toute la famille. Malheureusement, Madeleine Lévy, ma sœur, a été arrêtée par des policiers Français à Toulouse. Elle a été envoyé à Drancy, et est morte à Auschwitz, à l’âge de 22 ans.
Question : Comment votre enfant voit l’Affaire ?
Réponse : Plus on passe d’une génération à une autre, plus on est coupé de ce passé. Mon fils a 15 ans. Je dirai qu’il est sûrement plus intéressé par le football que par l’affaire Dreyfus. D’autant que pour lui, l’affaire Dreyfus se situe sur un autre plan : à cheval entre une histoire familiale et ce que l’histoire retient.
Question : C’est vous qui êtes le flambeau de cette famille ?
Réponse : Dans la famille, c’est Charles Dreyfus (Charles est le fils de Pierre Dreyfus. Pierre était lé fils d’Alfred et Lucie Dreyfus) et moi, qui avons pris ce flambeau, si je puis dire. Nous parlons de l’affaire. J’ai par exemple participé à une émission à la télévision, et j’ai reçu des dizaines et des dizaines de lettres. Par contre, nous n’avons jamais aimé les films qui parlent de l’Affaire Dreyfus. Je trouve par exemple que Thierry Frémont (l’acteur qui interprète le personnage d’Alfred Dreyfus) dans l’Affaire Dreyfus, le téléfilm d’Yves Boisset, est insignifiant (1-2).
Question : Que pensez-vous de la proposition de l’ancien ministre de la Culture, Jack Lang, de transférer le corps d’Alfred Dreyfus au Panthéon ?
Réponse : Je suis réservé. Alfred Dreyfus est enterré au cimetière du Montparnasse. Sa tombe est extrêmement modeste et je pense que c’est un homme qui n’aurait pas aimé être Panthéonisé.
Question : Que pensez-vous de l’antisémitisme des années 2000 ?
Réponse : Je suis préoccupé. On a l’impression quelquefois de revivre cette triste période, lorsque Edouard Drumont, Charles Maurras ou Léon Daudet de l’Action française se déchaînaient contre les Juifs. Mais, je n’ai pas du tout le sentiment d’un retour à un antisémitisme d’Etat. Le crime de Pétain : c’est un antisémitisme d’Etat.
Propos recueillis par Marc Knobel
Notes :
1. Le téléfilm de 203 minutes réalisé par Yves Boisset est diffusé le 18 mai 1995, sur Arte. Il est adapté de l’œuvre de Jean-Denis Bredin. Ce jour là, Arte réalise 1,5 à 2% de parts de marché… seulement. 10 230 000 téléspectateurs ont préféré regarder le même jour un énième épisode du feuilleton de Joyce Bunuel, Julie Lescaut, sur TF1. Sur France 2, ils ont été 3 357 000 (soit 16,3%) à regarder l’émission Envoyé Spécial. 23,3% de parts de marché (4 546 000 spectateurs) on opté pour France 3, et le film de Barry Levinson, Rain Man. 2 118 000 téléspectateurs ont préféré la comédie, dans le style péplum parodique, de Jean Yanne, Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ, avec Coluche et Michel Serrault.
2. Sur ce téléfilm, voir à ce sujet Marc Knobel, l’Affaire Dreyfus d’Yves Boisset, Bulletin n°2 de la Société Internationale d’Histoire de l’Affaire Dreyfus, automne 1996, pp. 7 – 19.
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