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Publié le 15 Novembre 2011

Emprisonnée en Syrie, la psy Rafah Nached lutte en écoutant des détenues, par Fernando De Amorim, psychanalyste

La semaine dernière, Bachar Al-Assad a accepté de libérer 550 prisonniers qui n'avaient "pas de sang sur les mains", ce qui est évidemment le cas de Rafah Nached. Pourtant, cette dernière ne faisait pas partie de la sélection. Pourquoi ? Cette femme de 66 ans, malade du cœur, n'a rien fait de mal ; elle est punie et se trouve injustement enfermée simplement pour avoir fait son travail de psychanalyste, à savoir, écouter les personnes en souffrance.




Même en prison, Rafah Nached exerce la psychanalyse



Nous savons qu'elle reçoit la visite de son mari deux fois par semaine et que le soutien de ses collègues psychanalystes de nombreux pays de par le monde lui parviennent, ce qui lui donne de la force. Mais surtout, Rafah Nached continue d'exercer sa profession en prison. Au début, les enfants des prisonnières venaient la voir, puis ce furent des adultes, et maintenant parfois même les gardiennes. Sans se dérober, elle écoute l'autre qui souffre. Freud racontait qu'il s'était un jour rendu à 2000 mètres d'altitude pour se reposer, pensant ainsi échapper à l'étude et à l'écoute des névroses. C'est alors qu'une jeune femme, Katharina, l'interpella et voulu discuter avec lui de sa détresse psychique, ce qu'il accepta. C'est de ce bois qu'est fait un psychanalyste.



Si le gouvernement maltraite Rafah Nached – fondatrice de la première école de psychanalyse du pays, toujours en exercice – il maltraitera celle qui est une des représentantes de la clinique de la parole en Syrie. Son travail apporte aux Syriens la possibilité de s'inscrire autrement dans la vie sociale et civile. Cette femme incarne ce que nous avons inventé de plus précieux. Lacan a œuvré pour que la parole soit bien dite, dans un espace bien déterminé. On n'exprime nulle part ailleurs ce que l'on dit dans le cabinet d'un psychanalyste. Or, quand la parole n'a plus de place, alors la place devient le théâtre d'affrontements mortels. Le sang coule lorsqu'il n'y a plus de possibilité de parole.
Aujourd'hui, des psychanalystes de toute nationalité luttent pour Rafah Nached car elle représente celle qui se frotte à la pulsion de mort déchaînée. Et déchainée, la pulsion se traduit en actes violents.
Le poids de la parole diplomatique
Je redoute beaucoup la suite des évènements. La crispation de la communauté internationale autour de la Syrie va-t-elle favoriser la libération de notre collègue ou au contraire braquer les autorités syriennes ? Je pense que les instances diplomatiques internationales – la Ligue arabe, le Conseil de sécurité de l'ONU – doivent laisser une sortie, disons humanitaire, à Bachar Al-Assad et à sa famille. Lorsque quelqu'un se sent acculé il peut devenir imprévisible.
Je suis un clinicien parmi d'autres qui se mêle de quelque chose qui ne le regarde peut-être pas, mais je crois que la parole diplomatique, celle de la France et des diplomates arabes, est la voie indispensable pour éviter que la situation verse vers le pire. Il y a urgence.
Photo (Rafah Nached) : D.R.
Source : le Nouvel Observateur
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