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Publié le 3 Juin 2010

Gaza: qui se trouve derrière la «flottille de la paix»?

L'organisme humanitaire turc de tendance islamiste IHH a joué un rôle clé dans l'organisation de la flottille pro-palestinienne. Mais qui est ce groupe qui, dans les années 1990, "recrutait pour le Jihad à venir", selon le juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière?




D'où vient cette organisation?



La "Fondation d'assistance humanitaire", également désignée comme l'ONG "Insani yardim vakfi" ou par le sigle IHH, a été créée en 1992. Son premier objectif était alors d'aider les déshérités d'Istanbul, ville dans laquelle elle tient son QG, en plein centre-ville, d'après l'adresse indiquée sur sa page Facebook.



Elle s'est ensuite fixée pour but "d'aider les musulmans bosniaques lors de la guerre de Bosnie, puis tous les musulmans en difficulté, par exemple en Afrique", explique Nu Bolat, assistante chercheuse à l'Ifri. L'organisation intervient désormais dans une centaine de pays, selon son directeur adjoint, Yavuz Dede. Parmi ses théâtres d'opération: l'Irak, la Palestine, la Bosnie, l'Afghanistan, la Jordanie, le Liban, le Pakistan, le Soudan, la Somalie ou encore Haïti.



Quelle est son activité au Proche-Orient?



Déjà impliquée dans l'envoi d'aide à l'administration du Hamas dans la bande de Gaza, victime du blocus israélien, l'organisation IHH a fait de la cause palestinienne "sa priorité", estime Nu Bolat. En décembre 2009, IHH a par exemple fait un don d'environ 80 véhicules à un convoi parti d'Europe pour Gaza, afin de transporter l'aide via la Syrie, la Jordanie et l'Egypte. Elle finance aussi des projets de reconstruction à Gaza.



Israël la connaît... et a interdit ses activités sur son sol, affirmant que l'organisation était liée au Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza, et au réseau Al Qaeda (lire plus bas). Peu de temps avant que la flottille internationale menée par IHH fasse route vers Gaza, Israël a détenu pendant trois semaines son représentant en Cisjordanie, Izzet Sahin, puis l'a expulsé le 17 mai dernier.



A quel niveau participait-elle à la flottille internationale?



Sur son site internet, IHH revendique l'organisation du convoi de six bateaux dont la progression a été violemment stoppée par l'assaut des commandos israéliens, lundi à l'aube. Elle a fait l'acquisition d'un cargo et d'un ferry, le Mavi Marmara, qui allait devenir le navire amiral de la flottille, avec une majorité de passagers turcs à son bord. C'est sur ce navire que l'assaut israélien a entraîné la mort de neuf personnes.



Mais IHH n'était pas seule, loin de là, pour assurer la préparation de cette opération. Elle met aussi en avant son partenariat avec le mouvement Free Gaza, fondé en 2006, et de nombreuses organisations pro-palestiniennes venues de divers pays.



Pour le New York Times, l'arrivée d'IHH a apporté un nouveau souffle à l'organisation du convoi. "Un petit groupe d'activistes durs a essayé plusieurs fois de rallier Gaza par bateau et de défier le blocus israélien depuis 2007. Mais c'est seulement lorsque l'organisation turque, aux ressources financières et humaines bien plus importantes, s'est associée au mouvement Free Gaza que la flottille est devenue une menace sérieuse aux yeux d'Israël".



Qui la finance? Et est-elle soutenue officiellement par la Turquie?
IHH a déboursé 1,8 million de dollars pour acquérir le Mavi Marmara, et l'aide acheminée par la flottille aurait une valeur de 10 millions de dollars, selon le quotidien américain. Des sommes qui s'ajoutent à des dizaines de millions d'euros que l'organisation a déjà dépensées en faveur de la cause palestinienne. Le leader de l'organisation turque, Bülent Yildirim, affirme qu'IHH fonctionne exclusivement grâce aux dons. Pendant l'opération israélienne "Plomb durci", en janvier 2009, la fondation islamiste avait ainsi organisé une collecte de fonds en Turquie.



Pour ce faire, elle a reçu l'aide des municipalités dirigées par l'AKP (Parti de la justice et du développement, islamo-conservateur) au pouvoir à Ankara. Quelle est la nature des liens entre ce parti et l'organisation? Pour Nu Bolat, de l'Ifri, "ils ne sont pas directs". Le Monde les considèrent comme "solides", mais n'impliquant que "certains membres" de l'AKP. Et ajoute que "depuis plusieurs semaines, la campagne de soutien à la flottille pour Gaza s'affiche sur les mosquées et les écoles, ainsi que dans le métro d'Istanbul". IHH a aussi obtenu le soutien de la presse islamiste et pro-gouvernementale turque.



Liens au Hamas et à Al Qaeda



Le porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères Ygal Palmor estimait en début de semaine que "l'organisation islamiste turque est impliquée depuis longtemps dans des activités terroristes et en étroite collaboration avec le Hamas". Quant à l'ambassadeur d'Israël au Danemark, Arthur Avnon, il affirmait que des rumeurs faisaient état de liens entre "les organisateurs et le réseau terroriste Al-Qaeda". Israël affirme avoir trouvé des armes à bord de la flottille, armes que l'Etat hébreu estime destinées au Hamas.
IHH nie ces allégations. Mais un rapport d'un chercheur américain publié en 2006 par l'Institut danois d'études internationales sur le "rôle des organismes caritatifs islamiques dans le financement et le recrutement du terrorisme international" refait surface. Evan Kohlmann, aujourd'hui consultant spécialiste du renseignement et des stratégies d'Al Qaeda et auteur d'un blog sur le contre-terrorisme, y citait largement le juge anti-terroriste français Jean-Louis Bruguière.
En 2000, à l'occasion du procès à Seattle du terroriste islamique Ahmed Ressam, Bruguière estimait que l'IHH était impliqué "dans un trafic d'armes" et servait de "couverture à des moudjahidins" qui souhaitaient "rejoindre le front en Afghanistan" dans les années 1990. Pour le juge français, IHH "recrutait pour le Jihad à venir".



Les « martyrs » du Mavi Marmara



Quatre des neufs militants tués lors du raid israélien sont des Turcs. Les médias turcs les ont identifiés mercredi comme étant tous activement engagés dans des mouvements ou des ONG islamistes. Trois d'entre eux, selon leurs amis et proches qui s'expriment dans la presse, voulaient mourir en "martyr". Citée par le journal Vatan, la femme de l'un d'eux, Ali Haydar Bengi, 39 ans, déclare: "Il aidait les pauvres et les opprimés. Depuis des années, il voulait aller en Palestine. Il priait sans cesse pour devenir un martyr". Le même terme est repris dans le cas d'une autre victime de l'assaut, Ali Ekber Yaratilmis, 55 ans, volontaire de l'IHH: "Il voulait toujours devenir un martyr", a affirmé un de ses amis, Mehmet Faruk Cevher, au quotidien Sabah. Quant à Ibrahim Bilgen, 61 ans, "Devenir martyr lui convenait bien. Allah lui a donné la mort qu'il désirait", a déclaré son beau-frère Nuri Mergen, cité par Anatolie. La quatrième victime est Muharrem Kocak, un autre volontaire d'IHH, selon Vatan.



(Article publié dans l’Express du 3 juin 2010)



Photo : D.R.
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