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Publié le 6 Octobre 2004

Hubert ALLOUCHE, délégué du CRIF – Montpellier : « En voyant les images du tremblement de terre qui a secoué l’Algérie et des décombres à la télévision, par liaison satellitaire, nous avons réalisé l’ampleur du désastre et nous avons réalisé combien nous

Question : Vous êtes le nouveau délégué du CRIF dans le département de l’Héraut. Comment se compose la communauté juive de Montpellier ? S’agit-il d’une vieille communauté avec une ancienne présence juive Montpelliéraine ?



Réponse : Montpellier et ses Juifs : c’est une longue histoire…Les Juifs du Midi constituent les « assises les plus anciennes du judaïsme français ». Ils sont signalés très tôt en Languedoc, dès le haut Moyen Age. A Montpellier (« Ir ha Ar » ou « Ir ha qodesh », « la ville du mont » ou « la ville sainte » en hébreu), les juifs sont cités dès 1121 dans le testament de Guilhem V, leur présence pouvant remonter à la fondation de la ville (985). Durant la période médiévale, les juifs y possèdent un quartier, dont il subsiste aujourd’hui un bain rituel (mikvé), et une synagogue qui s’avère être l’une des plus anciennes et des mieux conservées d’Europe. Ces Juifs montpelliérains de souche ibérique (fuyant les persécutions des Almohades au XIIe) ont trouvé refuge dans la « petite Cordoue », et contribueront par leur intellectualisme au rayonnement de la « cité de la tolérance » aux côtés de leurs frères chrétiens.

La Dynastie des Tibbonides, des Kimhi ou encore des médecins Isaac Ben Abraham, Meshulam, Shem Tov Ben Isaac, dont les noms pour ces derniers ornent le fronton de la faculté de Médecine, rappellent le souvenir de cette « Jérusalem du Languedoc ». La tolérance n’a jamais été démentie jusque pendant la Shoah…C’est sans nulle doute ce riche passé dont se sont souvenu les Professeurs de médecine Balmes et Giraud, lorsque sept siècles plus tard et pendant la Shoah, contournant le Numerus Clausus de Vichy, ils permirent à des étudiants juifs, de devenir médecins. D’autres événements historiques tels que l’échec partiel de la rafle des Juifs de l’Hérault du 26 août 1942, ou encore le nombre élevé de Justes parmi les Nations dans la région, accentuent cette tradition de tolérance et d’humanisme.

Non contente d’être juive jusque dans ses racines, Montpellier est également sioniste. Un sionisme profond conjugué par la mosaïque contemporaine juive forte de 7000 âmes, mais surtout par l’histoire ; en effet rappelons à l’heure où la mémoire européenne semble parfois flancher, le souvenir des quatre délégués montpelliérains qui représentèrent la France aux côtés de huit parisiens (pour une délégation hexagonale de douze membres), au Ire Congrès Sioniste de l’ère moderne à Bâle en 1897. Notons aussi le jumelage de Montpellier avec Tibériade.

Cette communauté juive enracinée dans la région, a accueilli à partir des années 1962, un forte population issue d’Algérie, du Maroc et de Tunisie. C’est ainsi qu’elle a pris son visage actuel de communauté pluraliste, avec une diversité qui s’exprime essentiellement au travers des très nombreuses associations (plus de 20 associations ont des activités complémentaires). Ces associations ont accueilli très favorablement la possibilité d’être fédérées et représentées autrement qu’à travers la seule démarche cultuelle. Pour la même raison, on peut constater que de nombreuses personnes restent encore en périphérie de la communauté, avec une demande de positionnement culturel, politique et citoyen auprès des instances de la République. La création d’une délégation du CRIF va permettre à cette population de se reconnaître, de s’exprimer et de participer aux actions du CRIF, notamment pour les milieux universitaires et médicaux qui sont très importants dans la région. Enfin, la fédération des villes voisines autour d’actions communes, en potentialise l’impact et ces petites communautés peuvent profiter d’un support de notre part, notamment vis à vis des politiques et de la presse. Je reste persuadé que cette visibilité améliorée et le ralliement de juifs, jusque là isolés, va permettre à notre communauté d’être dynamisée et d’atteindre une nouvelle maturité en interne comme vis à vis des tiers.

Question : On dit que les luttes politiques sont très dures à Montpellier et dans la région. Qu’en pensez-vous ?

Réponse :
Effectivement, les luttes politiques sont sévères à Montpellier pour plusieurs raisons : tout d’abord, cette ville a explosé au niveau de son développement durant les 20 dernières années et elle est devenue une ville symbole pour bien des partis politiques, la gauche pour en garder la gestion et la droite pour essayer d’en reprendre les commandes. Par ailleurs, n’oublions pas que nous sommes dans le Midi et que les idées s’expriment fortement, avec la passion, la véhémence et la faconde caractéristiques de cette région. Enfin, nous avons de fortes personnalités à la tête des formations politiques et, dans une ville de cette taille, tous les faits et gestes sont commentés, les incompatibilités d’humeur arrivent sur la place publique de même que les animosités qui prennent source dans l’histoire locale. La presse régionale fait, bien évidemment, fidèlement écho à ces querelles verbales quelquefois sérieuses, toujours pittoresques ! Pour la petite histoire, la rue du Conseil Général a été rebaptisée « rue de Vichy » devant la presse, au lendemain des accords de la Région avec le FN !

Pour toutes ces raisons, Il faut beaucoup de rigueur, et de sens politique pour ne pas commettre la Communauté dans des positions partisanes et pour ne pas être pris dans ces tourmentes médiatiques ou dans « le syndrome du réseau exclusif », particulièrement vivace ici. Rappelons, pour nos amis des grandes villes, à quel point les gens se côtoient au quotidien en province ! Il faut également beaucoup d’intégrité et de fermeté pour que le CRIF garde sa propre marge de manoeuvre (vis à vis des partis), tout en prenant acte des soutiens qui sont déclarés lorsqu’il est question de la Communauté et d’Israël. C’est d’autant plus important que, dans cette Région, la forte représentation du FN ajoute à la complexité de la situation.

Question : Vous entretenez des relations avec l’ensemble de la classe politique du département ? Pas d’exception ?

Réponse :
Pour les raisons énoncées ci-dessus, le CRIF-Hérault veille à entretenir des relations ténues et équilibrées avec l’ensemble de la classe politique, à l’exception toutefois du FN que nous n’avons pas jugé utile de rencontrer dans le contexte local actuel.

Il nous semble également important de créer et de maintenir des liens avec toutes les instances décisionnelles, académiques, universitaires, économiques et médicales puisque ce sont des leviers d’opinion importants; en effet dans notre Région, les secteur tertiaires, universitaires et hospitaliers sont prépondérants et les PME constituent la majeure partie du maillage économique. La radio juive locale, Radio Aviva contribue à maintenir ces liens en invitant régulièrement les personnalités locales à s’exprimer. C’est une occasion supplémentaire pour le CRIF de renforcer ses liens avec les politiques et les décideurs.

Le CRIF vient de signer un accord avec le Recteur de l’Académie, William Marois, qui s’engage à faire de la tolérance et de la lutte contre le racisme, un axe prioritaire dans tous les établissements de l’académie. Le CRIF s’est engagé à réaliser et à lui fournir du matériel pédagogique qui sera mis à la disposition des enseignants, ou à trouver des intervenants si besoin était (dans certains établissements sensibles). Plusieurs de nos associations et des universitaires vont collaborer à ce projet fédérateur.

Question : Vous avez rencontré l’évêque de Montpellier ?

Réponse :
Du fait de l’histoire, les villes de l’Hérault sont actuellement le siège d’un mélange de populations de différentes confessions (catholiques, protestantes, musulmanes, bouddhistes) ; il est important d’éviter que la distance ne s’installe entre ces groupes et la communauté juive, avec les malentendus et les crispations qui ne manqueraient pas de s’ensuivre. Nous avons lancé l’idée d’un colloque réunissant les religions du livre et portant sur un thème de société fédérateur. Le préfet du département souhaitait qu’un tel projet soit réalisé sous son égide et nous revaliderons le projet avec le nouveau préfet.

Par ailleurs, nous avons projeté des rencontres avec les différents représentants religieux. Nous avons déjà rencontré l’archevêque de Montpellier, Monseigneur Guy Thomazeau, avec qui nous avons évoqué l’ensemble des questions d’actualité ainsi que la façon d’intensifier nos relations directement et à travers les amitiés judéo-chrétiennes. Nous rencontrerons les autorités protestantes dès Septembre et pour les autorités musulmanes, nous en sommes au stade des contacts confidentiels. Il est plus difficile de trouver des représentants du culte qui acceptent des actions publiques et officielles. Nous approchons en parallèle le tissu associatif, très actif au niveau caritatif et culturel. Nous avons pour cela des relais motivés.

Question : La communauté juive s’était mobilisée lorsqu’un terrible tremblement de terre avait frappé l’Algérie. Qu’aviez vous fait ?

Réponse :
Nous avions contacté le consul d’Algérie sur le champ et il a tenu à nous recevoir personnellement, malgré la foule qui se précipitait au consulat pour avoir des nouvelles des familles sinistrées. Ce fut un moment de grande émotion pour lui comme pour nous. En voyant les images du tremblement de terre qui a secoué l’Algérie et des décombres à la télévision, par liaison satellitaire, nous avons réalisé l’ampleur du désastre et nous avons réalisé combien nous risquions de passer à coté des drames de nos voisins si - à un moment précis - on ne prenait pas le temps de se rapprocher d’eux et d’en mesurer la détresse .Nous avons bien sûr proposé de participer à la chaîne de solidarité et avons relayé les informations sur la situation en Algérie et sur les besoins des sinistrés: des émissions spéciales régulières sur les ondes de Radio-Aviva ont permis de donner les points de collecte, la liste du matériel manquant, les numéros de comptes pour les versements de dons, etc.….Ceci a eu un impact très positif au sein de la communauté algérienne et musulmane en général.

Nous avons depuis cette date des relations très fortes avec le consul qui nous a confié qu’il rêvait de réunir les 2 communautés, juive et musulmane, autour d’un événement, durant son mandat à Montpellier. Nos objectifs étant convergents, je pense que nous pourrons compter sur son appui pour notre projet d’échanges avec la communauté musulmane.

Question : Vous entretenez donc de bonnes relations avec les consuls du Maroc, de Tunisie et d’Algérie ?

Réponse :
Je vous ai parlé de notre relation privilégiée avec le consul d’Algérie, qui nous a invité à des réceptions officielles comme la fête nationale algérienne. Pour les autres consulats, nous allons profiter du projet de jumelage entre Fès et Montpellier pour proposer au consul un projet autour des penseurs juifs et musulmans qui ont vécu à Fès et à Montpellier. Nous souhaitons en faire de même avec le consulat de Tunisie mais le temps nous a manqué puisque la Délégation actuelle du CRIF n’a que 6 mois d’existence. Il me semble de la plus haute importance que les communautés se connaissent et que les jeunes, qui n’ont pas connu la richesse des relations au Maghreb, voient que juifs et musulmans peuvent vivre dans l’harmonie et qu’ils apprennent de leurs pairs la similitude des valeurs défendues dans la Thora et le Coran.

Question : Le conflit israélo-palestinien (arabe) vous affecte-t-il ?

Réponse :
Bien entendu ! Le conflit israélo-palestinien est constamment porté sur la place publique et nous sommes confrontés quotidiennement à un amalgame, savamment entretenu par certains partis ou certaines associations qui en font un fond de commerce pour mobiliser au nom d’une « bonne cause humanitaire ». Le conflit est présenté comme la justification des actes hostiles vis à vis de la communauté juive; les activistes veillent à donner une image terrifiante d’Israël, « Etat totalitaire qui écrase de sa force les palestiniens en les soumettant à la misère ». En jouant sur l’identité arabe et sur le besoin de défendre fierté et identité, il est probablement facile de mobiliser des jeunes de cités, mal informés et manipulés ; ils y trouvent une cause à défendre, un dérivatif par rapport à leur situation sociale et s’en prennent à la communauté juive pour sa solidarité avec le peuple Israélien. Il est difficile de casser ce cercle vicieux et notre souhait de rencontrer les autorités religieuses et les associations, qui font un travail social remarquable, contribuera, je l’espère à sortir de l’amalgame.

Pour l’instant, nous avons du répondant en privé et il va falloir trouver la façon d’amener à des prises de positions publiques, d’où l’intérêt du parrainage par la ville ou la préfecture. Notre nouveau maire, Hélène Mandroux, nous a assurés qu’elle serait à nos cotés dès Septembre pour travailler à ce projet puisqu’elle souhaite rétablir Montpellier dans sa tradition séculaire de ville de tolérance, où toutes les religions peuvent s’exprimer dans la paix.

Question : Vous espérez et croyez en une paix à venir dans cette région du monde ?

Réponse :
Je veux continuer à espérer que nous verrons les Israéliens et les Palestiniens vivre dans deux Etats et en paix et qu’ils pourront enfin consacrer leurs efforts à bâtir une économie florissante, pour le grand bénéfice des deux peuples. Bien sûr, je ne suis pas utopiste, je sais que c’est un processus long et complexe. Mais il me semble que la première étape est de faire accepter aux palestiniens que le terrorisme ne soit pas un moyen de négociation. Heureusement, de jeunes dirigeants potentiels palestiniens, plus réalistess, commencent à s’exprimer. Les détournements de fonds commencent à être connus du peuple palestinien qui va peut être réaliser que son retard de développement n’est pas dû à la seule existence d’Israël. Je crois beaucoup en la force de l’éducation, surtout en Orient où la parole a beaucoup d’impact et où les opinions de la foule se modèlent rapidement. Je crois aussi beaucoup au développement économique car il est très facile de fanatiser une foule qui manque de tout. C’est pourquoi les pays tiers, qui se mêlent, directement ou indirectement, de peser sur les négociations devraient être très conscients que -sembler donner raison à un des camps- c’est faire reculer la paix car cela renforce la notion que le terrorisme paye en terme d’opinion publique et cela accrédite l’espoir de gagner « aux dépens de l’autre ».

Pour nous juifs français, nous devons œuvrer afin que nos politiques mesurent notre solidarité avec le peuple israélien et notre ouverture quant à l’existence d’un futur Etat palestinien. Il faut aussi rappeler que l’on doit condamner implacablement le terrorisme, qu’il faut soutenir les projets économiques contrôlés et qui se tournent notamment vers l’éducation et la tolérance. Je veux continuer à espérer que ce message sera compris et que nous verrons la paix dans cette région.

Propos recueillis par Marc Knobel