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Publié le 12 Décembre 2005

Ilan Greilsammer : « Beaucoup dépend en fait des Palestiniens. Vont-ils renouveler les attentats, reprendre la lutte armée, continuer à envoyer des roquettes sur la ville de Sderot ? »

Question : Depuis le départ d’Ariel Sharon du Likoud et la création de son nouveau parti centriste, « Kadima », le paysage politique israélien s’est modifié. La presse parle de « Big bang », de « séisme », de « révolution ». Trois grandes formations majeures vont donc s’affronter pour les prochaines élections législatives. Quelles sont, selon vous, les intentions d’Ariel Sharon et les raisons qui expliquent qu’il ait voulu créer son propre parti ?


Réponse: Je pense qu'Ariel Sharon a très bien su "lire" l'évolution du public israélien. Contrairement à ce que beaucoup pensaient, l'Intifada n'a pas provoqué chez celui-ci un rejet du processus de paix avec les Palestiniens. Au contraire, une grande partie de la population a commencé à penser qu'il valait beaucoup mieux, pour Israël, se retirer d'une partie des territoires, des territoires les plus densément peuplés d'Arabes, et se replier derrière une vraie frontière physique, qu'il s'agisse de la clôture de Gaza ou du Mur de sécurité. Sharon a très bien compris que la masse des Israéliens n'était ni à droite ni à gauche, mais au centre. Les Israéliens veulent d'une part le maximum de sécurité, et d'autre part se séparer physiquement des Palestiniens. Sharon s'est bien rendu compte à quel point la population l'approuvait lors du désengagement. Et puis, une autre raison pour lui de quitter le Likoud était l'hostilité mortelle du groupe des "rebelles", qui voulaient à tout prix la fin de sa carrière politique. S'il était resté chef du Likoud, il aurait peut-être été réélu Premier ministre, mais il les aurait retrouvés en travers de sa route au lendemain des élections…
Question : Quels seront les axes de la campagne électorale d’Ariel Sharon ?
Réponse: Sur le plan de la politique étrangère, il est certain que sa campagne sera axée sur les mots "paix et sécurité". "Paix", cela veut dire qu'il est prêt à de nouvelles concessions territoriales après Gaza, qu'il est décidé à reprendre la négociation avec l'Autorité palestinienne pour arriver à un arrangement, sinon à un accord définitif. "Sécurité", cela signifie qu'il n'est pas prêt à transiger sur la défense du pays, qu'il sera intraitable là-dessus, et qu'Israël gardera tout ce qui est nécessaire à sa survie. Mais n'oublions pas que les prochaines élections à la Knesset vont très largement se jouer sur le social et l'économique. Sharon va tout faire pour se démarquer au maximum de la politique économique qu'avait suivi Netanyahou. Cela va être une campagne où tout le monde voudra paraître "social": on parlera beaucoup des pauvres, des chômeurs, des couches défavorisées…Et là, c'est sûr, Sharon a moins d'atouts que son rival, Amir Peretz.
Question : Que va devenir le Likoud ?
Réponse: C'est là la grande question ! Une fois partie toute l'équipe de Sharon -c'est-à-dire ceux qui étaient les plus modérés du Likoud- ce parti va nécessairement être rejeté vers la droite. Il sera sans doute beaucoup plus "faucon" qu'avec Ariel Sharon. Sans qu'il soit possible de faire de pronostic certain, il me semble que le Likoud se trouve en grave danger de péricliter et de perdre son audience dans la population. Il n'est plus en phase avec les désirs et les rêves du public.
Question : Selon un sondage d’opinion publié vendredi 9 décembre par le Yedioth Ahronoth, le Premier ministre Ariel Sharon obtiendrait 39 sièges parlementaires. Le parti travailliste viendrait dans en deuxième position avec 29 mandats, tandis que le Likoud arriverait en troisième position avec 13 sièges. Qu’est ce qui pourrait modifier cette donne ?
Réponse: Il ne faut surtout pas oublier que nous ne sommes qu'à quatre mois des élections, et qu'en Israël quatre mois c'est beaucoup ! Beaucoup de choses peuvent changer. La question n'est pas seulement qui fera la meilleure campagne, qui réussira à convaincre le maximum de gens, qui est le plus crédible…Beaucoup dépend en fait des Palestiniens. Vont-ils renouveler les attentats, reprendre la lutte armée, continuer à envoyer des roquettes sur la ville de Sderot ? On sait qu'une situation de défense tendue profite en général à la droite, alors qu'une période de calme profite à la gauche. Et surtout, est-ce que la situation économique et sociale va s'améliorer, ce qui profiterait à Sharon, ou rester médiocre ce qui profiterait à Peretz ? L'opinion israélienne est très versatile, et je ne prendrai certainement pas les résultats des sondages d'aujourd'hui pour les résultats du 28 mars prochain.
Question : A la suite de l’élection d’Amir Peretz à la tête du parti travailliste, le débat ne risque-t-il pas de s'écarter un peu de la question palestinienne pour évoquer davantage la société israélienne et le sort des plus défavorisés ? Par ailleurs quel est le profil du nouveau leader du Parti travailliste, Amir Peretz ?
Réponse: En effet, je suis persuadé que les prochaines élections se joueront surtout sur le social. Sur la question palestinienne, il faut bien reconnaître que les positions de Peretz et de Sharon ne sont pas extraordinairement éloignées. Les deux parlent de paix, les deux parlent de sécurité, même s'il y a des nuances. Par conséquent, on va surtout voir les deux hommes sillonner le pays, passer par toutes les villes de développement, visiter les quartiers défavorisés des grandes villes, faire preuve de compassion envers les plus démunis…C'est cela qui va être la règle du jeu. Amir Peretz a, là, le plus d'atouts parce qu'il vient lui-même de ce milieu: il est séfarade, il vient de Sderot, il parle comme un vrai leader ouvrier, il a les mots et le parler qu'il faut. Tandis que pour Ariel Sharon ce sera difficile, avec en arrière-fond son ranch magnifique et les affaires de corruption !
Question : Ce nouveau paysage politique israélien est-il de nature à relancer les espoirs de paix ?
Réponse: Oui, certainement. Si on pense que l'élection va essentiellement se jouer entre le parti Kadimah et le parti travailliste, qui tous deux parlent de négociation, d'Etat palestinien et de concessions, on peut vraiment espérer. D'ailleurs, quel que soit le gagnant, Amir Peretz ou Ariel Sharon, il est impossible qu'un seul grand parti puisse l'emporter. Il est donc plus que probable que le pays sera gouverné après mars par une coalition Kadimah – travaillistes. De toute façon, nous aurons là un gouvernement beaucoup plus "colombe", beaucoup plus modéré que les gouvernements israéliens précédents. Mais, encore une fois, il ne faut pas que les Palestiniens perdent l'occasion offerte et fassent de la surenchère en relançant les violences.
Propos recueillis par Marc Knobel