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Publié le 25 Novembre 2002

Jacques Tarnero, Chercheur associé au CNRS : <i>« On ne critique, pas on calomnie »</i>

Question : Les Editions de La découverte publient « La guerre israélienne de l’information. Désinformation et fausses symétries dans le conflit israélo-palestinien ». Ce petit livre est co-écrit par une photographe, Joss Dray, auteur de nombreuses expositions sur la mémoire du peuple palestinien ainsi que de chroniques sur des cités de banlieue, et par Denis Sieffert, directeur de la rédaction de l’hebdomadaire Politis. Que pensez-vous de cet ouvrage ?



Réponse : C'est un texte de propagande construit autour d'un postulat idéologique de départ: Israël a tort, c'est un nouvel Etat fasciste ou d'idéologie néo-fasciste, avant poste de l'impérialisme… tandis que les Palestiniens forment l'avant garde éclairée des peuples en lutte pour leur émancipation, etc. Sous le masque de l'investigation, Sieffert et Dray reproduisent les constructions idéologiques des années 70.

Question : Les auteurs affirment qu’il n’y a pas dans le conflit israélo-palestinien de symétrie dans la responsabilité et « qu’on peut et on doit penser l’horreur des attentats qui touchent des civils, et les condamner, sans pour autant inverser l’ordre des causes et des effets ». Pensez-vous qu’ainsi, fusse même indirectement, ils tentent de comprendre - si ce n’est de justifier - les attentats qui sont commis en Israël ?

Réponse : Le philosophe français Etienne Balibar a écrit qu'il fallait « contextualiser » le terrorisme, c'est à dire penser les conditions de sa mise en oeuvre. Autrement dit le terrorisme pour abject qu'il soit, mérite quelques indulgences dues aux situations qui l'engendrent; ce livre ne dit pas autre chose. Ses auteurs condamnent bien sûr les actes de terreur mais en comprennent les motivations. C'est du sous Franz Fanon ou plutôt du sous- préface que Sartre fit aux « Damnés de la terre ». On mesure aujourd'hui l'échec de tout regard critique sur les errances politiques du tiers-mondisme. L'histoire ne sert pas à préserver de ses répétitions les plus stupides ou les plus meurtrières.

Question : Les auteurs insèrent dans le cahier central de l’ouvrage, un cahier de photographies. Ces photographies constituent selon les auteurs la réalité de la vie des palestiniens et illustrent la dureté du conflit. Mais ils ajoutent aussitôt que « ces photographies tissent-elles aussi un récit, une information sans laquelle tout discours s’offre à l’imposture ». Que pensez-vous de ce procédé ?

Réponse : Ces photos s'inscrivent dans la même démarche que le reste du livre. Elles obéissent à des choix idéologiques: fasciser Israël et angéliser les Palestiniens. L'absence d'équilibre dans ce qui est donné à voir est tel, qu'elles ne peuvent prétendre illustrer ce conflit.

Question : Pensez-vous, comme l’affirment Josse Dray et Denis Sieffert, que les journalistes en France et dans plusieurs pays occidentaux ont repris à leur compte et sans nuances, ce qu’ils nomment « le récit israélien de Camp David » ?

Réponse : C'est le contraire qui a été la dominante du conformisme médiatique depuis deux ans mais depuis plus longtemps encore. Le prêt à penser journalistique ne prend pas soin d'ancrer sa pensée, si elle existe, dans la réalité des faits et dans leur mise en perspective. C'est Hubert Védrine lui-même, qui a confirmé, au moment de l'initiative du Prince Abdallah, l'impossibilité, pour Arafat de signer quoi que ce soit à Camp David. Pourquoi ? Parce que Arafat, au moment de Camp David, avait sorti la question nationale palestinienne de sa dimension nationale. En faisant de Jérusalem la pierre angulaire de toute la négociation, il se faisait porte-parole du monde musulman. Symboliquement, il sortait de son rôle de leader nationaliste au profit d'un rôle de leader islamique. C'est ce que Védrine confirmait donc dans cette interview à Libération, car il se félicitait que l'initiative du Prince levait donc enfin l'hypothèque sur Jérusalem, puisque le gardien des lieux saint musulmans donnait enfin son accord. A Camp David, Arafat ne pouvait ou ne voulait pas signer, quelque ait pu être la proposition israélienne.

Question : Un certain nombre d’intellectuels pro-israéliens sont visés dans cet ouvrage et accusés des pis manipulations et malversations. Dans Politis (jeudi 3 octobre 2002), Bernard Langlois parle de « groupe de pression, de « lobby » à l’œuvre dans la presse écrite et audiovisuelle occidentale, et singulièrement française. » Que pensez-vous des attaques qui sont formulées contre ce « lobby » et vous-mêmes d’ailleurs, qui êtes souvent cités dans ce livre ?

Réponse : On est dans l'anathème et la dénonciation nominale; On ne critique pas on calomnie. C'est le triomphe posthume de la pensée stalinienne la plus archaïque et ceci est indicateur de l'affaissement du débat politique en France aujourd'hui dont la dernière passion idéologique demeure cette inquiétante obsession anti-israélienne ou antisioniste.

Question : En conclusion, les auteurs estiment qu’une autre information est possible. Est-ce votre avis ?

Réponse : Ce sera mon seul point d'accord avec les auteurs de ce livre. Oui une autre information est possible à condition que le brouillard idéologique qui obscurcit les cervelles plus de 60 ans après la mort de Staline commence à se lever. Je crains qu'en France on en soit très loin tant est grand l'amour de la servitude idéologique. Le moment présent, nourri de l'antiaméricanisme le plus bébête, ressemble furieusement aux années 70 quand une pensée manichéenne coupait le monde en deux: les gentils vietnamiens face aux impérialistes yankee. La fin du communisme n'y a rien changé, ni à Politis ni au Monde Diplomatique. Le drame c'est qu'aujourd'hui les progressistes descendent dans la rue pour protéger l'Irak et c'est Ben Laden qui est au mieux un agent de la CIA, au pire, une figure de l'anti-impérialisme. On rêve, non on cauchemarde. Lisez le numéro spécial de Télérama sur le 11 septembre, c'est consternant…

Propos recueillis par Marc Knobel

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