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Publié le 16 Décembre 2011

L’Italie gangrenée par une vague de racisme meurtrier

Arrivés du Sénégal il y a quelques années, ils se rendaient chaque jour au marché de la Piazza Dalmazia, dans le centre de Florence, pour y vendre quelques briquets et autres mouchoirs en papier. Samb Modou, 40 ans et Diop Mor, 54 ans vivaient non loin de là, dans une petite maison, à Sesto Fiorentino. Parce qu’ils étaient noirs, ils ont été froidement abattus, mardi 13 décembre 2011, d’un coup de Smith & Wesson 357, sous les regards de dizaines de témoins pétrifiés, plongeant la capitale toscane dans l’effroi et l’Italie dans la stupeur. Un autre vendeur ambulant sénégalais, Sougou Mor, 32 ans, a aussi été grièvement blessé.



Habitué des cercles néofascistes, raciste et antisémite, le meurtrier, Gianluca Casseri, un expert-comptable de 50 ans, a ensuite quitté en toute hâte le marché. «Pousse-toi ou je te tue toi aussi !» lance-t-il à un marchand de journaux qui tente de le bloquer. Une heure et demie plus tard, l’assassin, auteur de livres politico-ésotériques, reprend sa terrifiante chasse à l’Africain. Sur un autre marché, celui de San Lorenzo, dans le cœur historique de la cité, il sort à nouveau son arme, poursuit deux autres Sénégalais entre les étals et les blesse. Pour échapper à la police, Casseri gare ensuite sa voiture dans un parking en sous-sol avant de retourner l’arme contre lui et se tirer une balle dans la bouche.



Hier, Florence a rendu hommage aux deux vendeurs ambulants «victime d’une folie xénophobe et raciste», selon les termes du maire, Matteo Renzi. Les commerçants ont baissé leurs rideaux en signe de solidarité avec la communauté sénégalaise et les immigrés africains, qui, mardi soir, ont manifesté jusqu’au Palazzo Vecchio, siège de la municipalité, pour crier leur «rage» et faire part de leurs «peurs». D’autant que les sites d’extrême droite ont immédiatement célébré le «héros» Gianluca Casseri qui «a eu le courage de faire ce que nous devrions faire en masse contre cette immondice nègre».



«Barbarie». Mais, au-delà des manifestations de haine de ces groupuscules fanatiques, l’Italie s’interroge sur la montée dans le pays, en ces temps de crise, d’un vent de xénophobie alimenté par la propagande anti-immigrée de certains partis, à commencer par la Ligue du Nord d’Umberto Bossi. «Les faits de Florence sont le fruit d’un climat d’intolérance envers les étrangers fomenté depuis des années», a dénoncé, l’ancien maire (parti démocrate) de Rome Walter Veltroni.



Pour certains commentateurs, Gianluca Casseri ne serait à l’inverse qu’une sorte de Breivik toscan. Comme le tueur norvégien d’Utoya, l’expert-comptable serait ainsi un fou isolé, introverti, dépressif et abreuvé d’idéologie néonazie, qui, sans raison spécifique, serait passé à l’acte. «Il s’agit d’un acte de barbarie. Mais penser que Casseri serait devenu fou en raison d’un climat de haine raciale est une opération répugnante», a estimé Vittorio Feltri, directeur du quotidien berlusconinen Il Giornale, rappelant que, «bien que plein de défauts, nos compatriotes sont, statistiques en main, parmi les peuples les plus pacifiques et accueillants du monde, y compris avec les clandestins et les extracommunautaires qui vivent d’expédients». Reste que les épisodes de racisme se multiplient.



Viol. Deux jours avant le massacre de Florence, c’est un camp de Roms qui a été incendié à Turin par un groupe d’habitants qui voulaient venger une jeune adolescente. Retrouvée avec du sang sur son jean alors qu’elle rentrait chez elle, celle-ci a expliqué à son frère qu’elle venait d’être violée par deux Tziganes. Dimanche soir, environ 500 personnes du quartier ont alors manifesté contre le camp illégal des nomades tout proche, avant que des jeunes ne saisissent des bâtons et ne sortent des bombes incendiaires pour détruire les quelques baraques et autres roulottes des nomades. «Mais s’il devait y avoir des enfants dedans ?» se serait inquiété au dernier moment l’un des assaillants avant de recevoir comme toute réponse : «Ils brûleront avec.» Par chance, la chasse aux Roms n’a pas fait de victimes. «Je demande pardon pour mon mensonge», a depuis confessé l’adolescente qui en fait de viol, venait de connaître son premier rapport sexuel avec son petit copain.



«On doit rester tout le temps vigilant, résumait, hier, Ali, un vendeur ambulant africain de viale Parioli, dans le quartier chic de Rome. Les jeunes Italiens sont plus tolérants mais ça fait des années que la politique fait chauffer les esprits.»



Membres de l’ex-gouvernement Berlusconi, certains dirigeants de la Ligue du Nord (8% aux dernières législatives) ont, par le passé, proposé des wagons de métro séparés pour les immigrés ou des classes séparées pour les enfants étrangers. L’ex-maire de Trévise Giancarlo Gentilini avait, lui, suggéré «d’habiller les immigrés en lapins pour que les chasseurs puissent s’entraîner».«La Ligue est le parti le plus explicite mais tout le centre droit a parlé du spectre d’une ville de Milan envahie par les Tziganes. Et la gauche, qui a suivi la droite sur le thème de la sécurité, a aussi ses responsabilités», estimait hier, dans le quotidien La Stampa, le professeur de linguistique Federico Faloppa, auteur d’un livre intitulé Racistes pris aux mots. Et d’ajouter qu’au-delà de la folie meurtrière de Gianluca Casseri à Florence, «un certain langage raciste a échappé des mains».



Photo : D.R.



Source : Libération du 16 décembre 2011
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