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Publié le 29 Septembre 2005

Laurent Duguet, journaliste : « Dans cette galaxie (l’Internet), il devient difficile de dissocier antisémitisme, anti-judaïsme et anti-sionisme tellement ils semblent parfois volontairement imbriqués. »

Question : Depuis que l’outil Internet s’est développé au milieu des années 90, les négationnistes et les extrémistes du monde entier ont créé une multitude de sites. Pourquoi utilisent-ils l’Internet ?



Réponse : Jusque dans les années 1990, les négationnistes, issus pour la plupart de l’extrême droite mais aussi de l’ultra-gauche, ont multiplié leur présence dans les médias tout en créant leurs propres moyens de transmissions à travers des revues austères et assez vite interdites de parution, comme ce fut le cas en France. Pour continuer à diffuser cette fiction, d’autres supports sont devenus nécessaires. L’outil Internet est devenue pendant des années une planche de salut judiciaire pour les négationnistes du monde entier. La plupart des sites négationnistes ont été créées entre 1996 et 2001 : ils ne sont qu’une poignées mais sont suffisamment organisés et complets pour diffuser leurs thèses auprès d’autres sites extrémistes en tout genre, eux bien plus nombreux.

Question : Quelles sortes de sites antisémites peut-on trouver sur l’Internet ? Pourriez vous nous donner quelques exemples ?

Réponse :
Tous les sites négationnistes sont de nature antisémite tandis que les sites antisémites ne sont pas forcément négationnistes. Pourtant, parmi ces derniers, il en est certains qui n’hésitent pas à citer des auteurs négationnistes ou à reprendre certains de leurs propos.

Question : Quel est le public visé par les négationnistes ?

Réponse :
Le public le plus fragile auquel l’on pense immédiatement est constitué des jeunes accros à Internet qui s’appuient sur les ressources de cet outil pour leur travaux scolaires, voire universitaires, ou par simple curiosité. La structure des sites peut parfois tromper l’œil de l’internaute non averti. Ces sites constituent aussi une bibliothèque en ligne pour une nébuleuse de sympathisants extrémistes. Le site Vrij Historich Onderzoek bénéficie d’environ 400 liens provenant d’autres sites –dont un dédié à Hitler- et le site de l’Institute For Historical Review, en totalise tout de même 980. Il existe, sans conteste, un maillage entre sites xénophobes, antisémites, néo-nazis, négationnistes.

Question : Pensez vous que sur l’Internet, négationnistes et islamistes ont noué des liens précis ?

Réponse :
Des liens précis en langue française, je ne sais pas. Tout dépend ce que l’on entend par islamistes. Par exemple, Ahmed Rami est un musulman plutôt animé de convictions issues du panarabisme et d’un antisémitisme totalement débridé. Son site Radio Islam est l’un des principaux sites négationnistes, tourné aussi vers le monde arabo-musulman. On y trouve l’image de la coupole de la mosquée Al Aqsa, affublée d’une phrase de Drumont, « Les Juifs ne sont grands que parce que nous sommes à genoux ! Levons nous ! ». Dans cette galaxie, il devient difficile de dissocier antisémitisme, anti-judaïsme et anti-sionisme tellement ils semblent parfois volontairement imbriqués.


Question : Grâce à des moteurs de recherches (Yahoo, Google…), de plus en plus performants, il est possible, en l’espace de quelques fractions de secondes de se voir proposer les adresses des principaux sites négationnistes dans le monde et d’avoir accès à des contenus très complets d’ouvrages négationnistes mais aussi antisémites. Cette indexation de sites racistes constitue-t-elle selon vous un véritable scandale ? Que faire ?

Réponse :
Je respecte profondément les tenants de la liberté d’expression sur Internet mais les tenants de la régulation sur Internet, dont je suis, ont pour eux des arguments de taille : la nécessité de mener une lutte antiraciste sur Internet que l’on doit enfin considérer comme un média à part entière et l’obligation faîte aux sites-même ceux implantés à l’étranger- de respecter les lois du pays où ils sont accessibles. Refuser l’apologie des crimes contre l’humanité ou l’incitation à la haine raciale sur Internet ne me semble pas de nature à remettre en cause la liberté d’expression de chacun.

Question : Diriez-vous que, sur l’Internet, un certain anonymat protège les intervenants et/ou les auteurs des textes ? Estimez-vous que les fournisseurs d’accès doivent filtrer l’accès à des sites xénophobes, racistes et antisémites ?

Réponse :
Internet protège les auteurs négationnistes, c’est certain, quoique ces derniers désirent parfois aussi être reconnus. Ceci-dit, les informations sur les sites existent. Ensuite, par recoupement, comme l’a fait Gilles Karmasyn, qui dirige le site Phdn.org, on peut émettre des hypothèses sur les responsables de tel ou tel site. Certains négationnistes sont poursuivis ou ont été arrêtés…ce qui n’empêche pas leur site web de poursuivre leur route ! En l’espace d’un an, la situation en matière de filtrage s’est un peu améliorée. Je citerai par exemple le filtrage du site de l’aaargh qui a été obtenu par votre concours, l’association J’Accuse et différentes autres associations antiracistes. Ainsi, les jeunes internautes sont donc un petit mieux protégés mais c’est très relatif. Il suffit d’utiliser quelques mots clés pour s’en rendre compte. Quant aux sympathisants, ils peuvent, à l’aide de sites garantissant l’anonymat, se rendre où bon leur semble.

Question : Sommes-nous dans une phase critique pour ce qu’il en est des textes négationnistes et antisémites ou racistes sur le Web ?

Réponse :
Le nombre de textes français disponibles est aberrant. La génération qui était à l’origine des premiers sites n’est plus très jeune. Il ne fait quasiment aucun doute qu’une nouvelle génération, qui n’est pas encore complètement sortie de l’ombre, prendra le relais sous peu. Je reste convaincu que l’observation régulière des sites racistes, antisémites, xénophobes ou négationnistes, permettra d’éviter une explosion de discours aussi trompeurs, intolérants et violents que ceux qui sont actuellement consultables.

Propos recueillis par Marc Knobel

Laurent Duguet a présenté un mémoire : « Le négationnisme sur Internet », Université de Montpellier 3, sous la direction du Professeur Carol Iancu.