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Publié le 19 Décembre 2011

Le double discours du Kremlin face aux réseaux sociaux

Devant l'essor de la contestation via Facebook et assimilés, les autorités russes sont partagées entre une ouverture affichée et les vieux réflexes postsoviétiques de contrôle et de répression.



De l'Iran aux révoltes arabes en passant par les «Indignés», les réseaux sociaux se sont imposés comme le lieu de rendez-vous privilégié des contestataires de tous pays. Devenu récemment le premier pays d'Europe en nombre d'internautes - près de 51 millions selon une étude Comscore - la Russie ne fait pas exception au phénomène. Le premier ministre Vladimir Poutine en a fait l'amère expérience pas plus tard que le 20 novembre 2011 dernier. Ce jour-là, une vidéo est postée sur Youtube, qui le montre sifflé et hué par des spectateurs d'une arène sportive. L'incident, escamoté par les journaux de télévision, a été vu plus de 3,5 millions de fois sur la Toile. «Avant, ce qu'on ne montrait pas à la télévision n'avait jamais existé. Désormais, ce qui n'est pas discuté sur Internet n'a jamais existé. Internet est devenu un catalyseur de la vie politique du pays», analyse la journaliste Ioulia Latynina. Le célèbre blogueur dissident Alexeï Navalny y voit la «fin d'une époque».



Principale soupape de liberté d'expression en Russie, la Toile y est devenue un «espace de tensions entre la société et l'État», note un rapport de l'Ifri. Jusqu'à présent, cela passait par une communauté de blogueurs de plus en plus active. Avec l'émergence des réseaux sociaux, type Facebook ou son équivalent local VKontakte, la communauté des web-contestataires s'est élargie. Les manifestations qui ont suivi les législatives contestées, d'une ampleur exceptionnelle, en sont une démonstration éclatante: elles sont nées sur ces réseaux. Pris en main par une population jeune, ces outils participent à ce que le quotidien économique Vedomosti appelle «l'éveil d'une nouvelle génération, jusqu'alors apolitique».



«Le gentil flic et le méchant flic»



En face, le pouvoir compte-t-il serrer la vis? «Les gens ne doivent pas avoir à répondre devant la justice de la publication de leurs idées sur Internet», a assuré Dmitri Medvedev. Le président russe, qui s'affiche sur Twitter et sur Facebook, est réputé mieux comprendre Internet que le premier ministre Vladimir Poutine, ex-agent du KGB. Mais Hélène Blanc, chercheuse au CNRS, n'y croit pas: «Ils nous refont le même numéro que depuis cinq ans, celui du gentil flic et du méchant flic». La spécialiste souligne que, malgré les promesses de modernisme de Medvedev, les attaques contre les médias n'ont jamais cessé. Or «l'Internet et les jeunes inquiètent le Kremlin, estime-t-elle, et l'exemple du printemps arabe n'est pas fait pour le rassurer».



Au moment des législatives, les sites indépendants et les blogs d'opposants ont ainsi dû faire face aux habituelles cyber-attaques. Signe des temps, le FSB a en outre demandé à l'un des patrons de VKontakte de bloquer plusieurs groupes d'opposants. Depuis dix ans, le service fédéral de sécurité (ex-KGB) s'est doté de tous les outils pour surveiller, voire bloquer les publications sur Internet. Dernière trouvaille, la mise en place d'un logiciel destiné à repérer sur la Toile les propos «extrémistes», qui suscite les inquiétudes de Reporters sans frontières: «Ce dispositif ne peut qu'être liberticide pour la circulation de l'information». Le FSB ne cache pas sa volonté d'aller plus loin. Il est par exemple question d'interdire les messageries (type Gmail, Hotmail ou Skype) qui refusent de livrer les clés de leur système de cryptage. «Un contrôle raisonnable» doit être mené, a déclaré mercredi 14 décembre le secrétaire du Conseil de sécurité russe. Et de citer, parmi ses modèles: la Chine.



Photo : D.R.



Source : le Figaro du 19 décembre 2011