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Publié le 17 Novembre 2011

«Le régime syrien n’a pas de plan B, son seul langage, c’est de tirer sur la foule»

Créateur et animateur du magazine géopolitique d’Arte, Le Dessous des cartes, directeur scientifique du Laboratoire d’études politiques et d’analyses cartographique (Lepac), Jean-Christophe Victor (*) nous livre son analyse sur les événements en cours en Syrie.




En quoi la révolte syrienne est-elle différente de celles survenues ces derniers mois dans le monde arabe ?



La répression y est plus féroce. Mais les Syriens, comme avant eux les Egyptiens et les Libyens, montrent qu’ils n’ont plus peur de leurs services de sécurité.



Comment l’expliquez-vous ?



Grâce à Internet et aux réseaux sociaux Twitter et Facebook, ils se sont rendu compte qu’ils n’étaient plus isolés. Ils ont pu prendre pour exemple les autres « printemps arabes ». La chaîne de télévision qatarienne al-Jazira joue, elle aussi, un rôle important. Elle leur donne des nouvelles en langue arabe sur ce qu’il se passe chez eux, dans leur pays. Bref, ils savent qu’il est possible de mettre un dictateur à terre.



Pourquoi cette chaîne de télé prend-elle le parti des opposants à Bachar al-Assad ?
Les dirigeants qatariens, proches de l’Occident, ont bien compris que des régimes comme celui de Bachar al-Assad généraient l’extrémisme. La répression qu’ils mènent contre leurs populations fabrique du terrorisme.
Quelles conséquences doit-on attendre de la chute, maintenant probable, de ce régime ?
La fin du règne d’Assad sera un événement politique plus important que la fin de celui de Kadhafi en Libye ou de celui de Ben Ali en Tunisie. Par contre, sa chute sera aussi importante que celle de Moubarak en Egypte. C’est le poids politique régional et international du pays qui l’explique. La Syrie est frontalière de la Turquie, du Liban, d’Israël, de la Jordanie et de l’Irak. C’est ce que l’on appelle un « Etat pivot ». Changer son régime c’est mettre en cause la stabilité politique du monde arabe. C’est la raison pour laquelle personne n’était vraiment pressé d’intervenir. On préférait avoir à négocier avec une dictature stable plutôt qu’avec une démocratie instable.
Assad n’a pas su tirer les leçons des précédents « printemps », libyen notamment…
Ce régime n’a pas de plan B, ne sait pas dialoguer. Son seul langage, c’est de tirer sur la foule.
A quoi ressemblera, selon vous, la Syrie une fois libérée de son dictateur ?
Le gros point d’interrogation, ce sont les communautés linguistiques et ethniques qui peuplent le pays. La population syrienne, c’est 90 % d’Arabes et 10 % de Kurdes, d’Arméniens et de Grecs. Le système a jusqu’à présent fonctionné comme dans l’Irak de Saddam Hussein. Les dictatures tiennent les communautés séparées les unes des autres. Ce ne sont pas des sociétés multiethniques. C’est une forme de stabilité pour ces régimes. En outre, 90 % des Syriens sont musulmans, les 10 % restant étant des chrétiens. Parmi les musulmans vous trouvez 78 % de sunnites et 22 % de chiites. La minorité alaouite, à laquelle appartient le clan de Bachar al-Assad, est chiite. Comme le sont les ismaéliens et les Druzes du Liban.
Une minorité qui tient le pays depuis cinquante ans…
Il n’y a pas de contrepoids à la terreur exercée dans ce pays par les alaouites. Cette minorité est en train de perdre sa légitimité en faisant tirer sur la foule. Pour en revenir à l’après-Assad, la première grande difficulté, c’est que l’opposition éprouve les plus grandes difficultés à se structurer. Le pouvoir de nuisance de l’Iran (allié du régime de Damas, NDLR) doit être pris en compte également. Téhéran a tout intérêt à ce qu’Assad reste au pouvoir pour le soutien qu’il apporte au Hezbollah chiite libanais. C’est un outil anti-israélien pour les dirigeants iraniens.
Israël, justement, reste bien silencieux…
Oui, parce que risque de se poser la question de la stabilité des frontières après l’effondrement du régime. Israël occupe le plateau syrien du Golan. Et le maintien du régime actuel lui donne toute raison de continuer à le faire. Il n’est pas du tout évident qu’Israël ait intérêt au départ d’Assad et de le voir remplacer par un régime multiconfessionnel où les communautés vivraient en bonne intelligence.
Comme au Liban avant la guerre déclenchée en 1975 ?
On peut en effet se demander si ce pays ne va pas devenir à nouveau un terrain d’affrontement. Si le nouveau régime syrien cesse de soutenir le Hezbollah, cela modifiera la configuration confessionnelle et politique du Liban.
(*) Le Dessous des cartes - Itinéraires géopolitiques, 224 p., 300 cartes quadri, Arte Ed.-Tallandier, 29,90 €.
Photo : D.R.
Source : France Soir du 17 novembre 2011
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