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Publié le 21 Octobre 2010

Les jeux dangereux des titis palestiniens

À Jérusalem, la nouvelle génération de lanceurs de pierres est composée de garçons d'une dizaine d'années.



La photo où il voltige au-dessus du capot de la voiture d'un colon qui vient de le percuter a fait le tour du monde. Le 8 octobre dernier, Iyad Geiht, un garçonnet palestinien de 11 ans, attaque avec une bande de gamins de son âge des voitures israéliennes dans le quartier de Silwan, à Jérusalem-Est. Pris sous les jets de pierres, David Beeri, le directeur d'une organisation de colons du quartier, accélère et renverse deux des enfants, Iyad et Imran Mansour, 12 ans. Le lendemain, à peine sorti de l'hôpital avec quelques contusions, Iyad Geiht voit défiler dans sa chambre tous ses voisins, mais aussi des équipes de télévision et des journalistes du monde entier. Ce garçon fluet, qui se tortille timidement sur le canapé à fleurs du salon familial, est devenu l'un des nouveaux acteurs du drame israélo-palestinien.



Depuis plusieurs mois, les incidents qui se multiplient à Silwan n'impliquent plus seulement des adultes ou des adolescents, mais des enfants. Souvent âgés d'à peine dix ans ces gavroches caillassent les véhicules dans les rues escarpées du quartier. Cette guérilla enfantine d'un genre nouveau pose un problème inédit à la police israélienne qui ne peut guère emprisonner des garçonnets.



Une semaine après l'incident, Iyad Geiht est convoqué avec son père au siège de la police à Jérusalem. «Ils m'ont montré les photos, et m'ont demandé pourquoi j'avais mon tee-shirt sur mon visage et pourquoi je lançais des pierres», raconte le garçon. «J'ai dit que c'était bien moi, mais je n'étais pas masqué et que je n'avais pas lancé de pierres.»



«Ils m'ont demandé qui étaient les jeunes qui étaient avec moi, mais j'ai répondu que je ne les connaissais pas.»



La police demande au père, Alah Geiht, de verser une caution pour pouvoir repartir avec son fils. «J'ai dit que je n'avais pas d'argent, et qu'ils pouvaient garder l'enfant.» La police laisse finalement le duo rentrer à la maison.



Cette intifada des enfants se déroule dans l'un des secteurs les plus volatils de Jérusalem-Est.



Intifada enfantine



Silwan est un ravin étroit, coincé entre les remparts de la Vieille Ville et le mont des Oliviers. Dans ce fouillis de maisons accrochées aux pentes du vallon, 60.000 Palestiniens se heurtent régulièrement à quelques centaines de colons israéliens, retranchés dans les bâtiments qu'ils occupent au beau milieu du quartier. L'organisation de colons Elad, que dirige David Beeri, mène parallèlement des fouilles hautement politiques visant à exhumer les vestiges de la Jérusalem davidique, et une politique active de colonisation, en rachetant des maisons palestiniennes et en y installant des familles juives. Les heurts entre les habitants palestiniens et les gardes de sécurité qui protègent ces colons font régulièrement des blessés, parfois même des morts comme au début de ce mois. Le projet d'Elad, soutenu par la municipalité de Jérusalem, vise à étendre le site touristique de la Cité de David en transformant le fond du vallon en parc archéologique, détruisant des maisons palestiniennes.



«Nous sommes des habitants de Jérusalem, nous payons nos impôts locaux, mais la municipalité ne s'occupe pas de nous », explique le père d'Iyad. «Notre argent sert à financer les colons, qui bénéficient de tous les services publics, le ramassage des ordures, le tout-à-l'égout. Nous, nous n'avons rien», poursuit-il. «Nos enfants n'ont aucun endroit où aller, ils vont jouer au foot dans le fond du vallon, et là, les incidents commencent. Je ne peux pas garder mon fils à la maison.»



Les enfants ont pris le relais des pères et des grands frères. Sans chefs ni programme politique, l'intifada est pour eux un jeu, plus dangereux que les autres.



«La semaine dernière, il y a eu un débat à la Knesset, l'assemblée israélienne », dit le père d'Iyad. « Un député a déclaré qu'il ne devait y avoir d'impunité pour personne. Même pas pour les enfants. Un autre a suggéré que les parents des gamins qui lancent les pierres soient tenus pour responsables. Alors que colon qui a renversé mon fils n'a même pas été arrêté par la police.»



Selon les habitants palestiniens de Silwan, la police vient presque chaque nuit visiter des maisons. Ils enfoncent la porte, et arrêtent des enfants. «Je reste tout habillé chaque nuit, pour être prêt au cas où ils viendraient», continue le père d'Iyad. «J'ai déjà été arrêté, quand j'avais 17 ans. J'étais terrifié. Mais ces petits ne sont pas comme nous, ils n'ont pas peur.»



Alah Geiht se défend de toute incitation à la violence. «Ils agissent tout seuls. Aucun père n'irait envoyer un petit jeter des pierres. Ils rentrent de l'école, se heurtent à la police, et voilà.»
Le cousin d'Iyad, Baha Rajbi, 12 ans, a l'air à peine plus âgé que lui dans ses culottes courtes. D'une petite voix, il admet jeter des pierres. «On se divise en groupes, il y a des guetteurs qui avertissent les autres quand la police arrive», raconte-t-il. «Quand j'ai été arrêté il y a une semaine, ils m'ont remonté mon tee-shirt sur le visage et lié les mains. J'avais peur. Je pensais qu'ils allaient me battre. Mais ils m'ont juste interrogé, et ont pris ma photo et mes empreintes digitales. Le soir, ils ont appelé mon père et m'ont laissé repartir.»



Article publié dans le Figaro du 21 octobre 2010



Photo : D.R.
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