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Publié le 14 Décembre 2011

«Riyad n'exclut pas d'acquérir l'arme nucléaire»

Membre influent de la famille régnante d'Arabie saoudite, le prince Turki al-Faysal, ex-ambassadeur à Londres et à Washington, est aussi un ancien chef des services de renseignements du royaume. Il participait samedi à la 4e World Policy Conference organisée à Vienne par l'Institut français des relations internationales (Ifri).
Vous avez déclaré la semaine dernière que l'Arabie saoudite pourrait envisager de se doter de l'arme nucléaire. Que voulez-vous dire?



Je ne parlais pas uniquement de l'Arabie saoudite mais des pays du Conseil de coopération du Golfe (le CCG, qui regroupe l'Arabie Saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis, Koweït, Oman et le Qatar, NDLR). Nous sommes déterminés à faire du Moyen-Orient une zone exempte d'armes nucléaires et de toute autre arme de destruction massive. C'est ce qu'a préconisé la conférence d'examen du traité de non-prolifération (TNP), en mai 2010, à New York. Cependant, si tous nos efforts et ceux du monde échouent pour convaincre Israël et l'Iran de renoncer à leurs armes de destruction massive, alors il faudra étudier attentivement toutes les options qui s'offrent à nous. L'une des options est d'acquérir ce type d'armes.



Pourquoi lancer ce signal maintenant?



Il est temps que le monde entier reconnaisse que rien n'a été fait pour établir au Moyen-Orient cette zone sans arme nucléaire. Si la communauté internationale souhaitait véritablement s'engager à réduire la menace des armes de destruction massive, ce projet serait une priorité. Une conférence internationale consacrée à la dénucléarisation du Moyen-Orient doit se tenir en Finlande en 2012. J'espère qu'un pas décisif sera franchi à cette occasion. Si tel n'est pas le cas, alors, je le répète, nous examinerons toutes les options.



Vous fixez donc une date butoir…



Non, je ne suis pas le gouvernement. Je parle en mon nom propre. Ce que je propose, c'est un système comportant à la fois des mesures incitatives et des sanctions, sous la garantie des membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU. Le premier aspect permettra aux pays de la région qui souhaitent développer l'énergie nucléaire civile de bénéficier d'une assistance technique et financière. Ces pays seraient couverts, en termes de sécurité, par le «parapluie» des grandes puissances. Deuxième aspect, ceux qui ne rejoindraient pas ce régime se verraient imposer des sanctions politiques, diplomatiques et même militaires, sous la supervision du P5 (les membres permanents du Conseil de sécurité, NDLR).



Ne craignez-vous pas, en évoquant la perspective, même hypothétique, de vous doter de l'arme nucléaire, qu'une course à la bombe s'engage dans la région?



Ce n'est pas nous qui avons commencé cette course. Il y a déjà deux pays qui la mènent (Israël et l'Iran, NDLR). Si nous ne pouvons pas arrêter cette course, l'une des possibilités pour nous est de la rejoindre. Cela dit, je suis opposé à toute attaque militaire unilatérale contre quiconque. Une catastrophe touchant l'un de nous s'abattra sur nous tous.



L'Arabie saoudite, signataire du TNP, a-t-elle entrepris un programme nucléaire militaire ou même des recherches?



Non. Officiellement, il n'y a rien. Mon pays veut développer l'énergie nucléaire à usage civil. Des protocoles d'accord ont été signés en ce sens avec plusieurs pays, dont la France.



Vos propos ne jettent-ils pas une ombre sur le caractère civil de vos ambitions nucléaires?



Quelle ombre? La France, la Russie, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Chine sont des pays officiellement dotés de l'arme nucléaire. La France a aussi fourni de la technologie nucléaire à l'Inde et la Chine a fait de même avec le Pakistan. Personne n'a dit que cela «jetait de l'ombre» sur les intentions de la France et de la Chine. Pourquoi serions-nous plus suspects que ceux qui commencé avec le nucléaire il y a déjà longtemps?



Photo (le prince Turki al-Faysal) : D.R.



Source : le Figaro du 14 décembre 2011