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Publié le 30 Septembre 2005

Yigal Palmor, Directeur du Département du Maghreb du Ministère israélien des Affaires étrangères et porte parole du ministère : « Israël – Pakistan : une ouverture en clair obscur »

Question : Considérez-vous que, la rencontre publique qui a eu lieu à Istanbul le 1er septembre 2005, entre le ministre israélien des Affaires étrangères Sylvain Shalom et son homologue pakistanais Mahmood Khurshid Kasuri est un événement ?



Réponse : Cette rencontre est la première du genre, c'est-à-dire une rencontre israélo pakistanaise annoncée publiquement et suivie d’une conférence de presse. Des contacts discrets ont eu lieu occasionnellement, depuis les années 80, sans suite d’ailleurs. C’est donc la première fois que les Pakistanais estiment judicieux de se montrer en compagnie d’une personnalité israélienne, et cette volonté de s’afficher est en soi un événement. Toutefois, il faut tenir compte des réactions à Islamabad, tout comme des précisions officielles du gouvernement pakistanais, qui s’évertuait a indiquer que cette rencontre ne signifiait aucunement la reconnaissance d’Israël, pour mesurer le chemin qui reste à faire. Rien, actuellement, ne promet une suite des contacts, et ce n’est qu’avec le recul que l’on pourra savoir s’il s’agit d’une véritable percée ou d’un simple fait divers diplomatique.

Question : Quelques commentateurs disent que cette rencontre est un succès pour Israël, qui voit récompensé son désengagement de Gaza. Qu’en pensez vous ?

Réponse :
Et si c’était le Pakistan qui, juste avant la visite du président Musharraf a Washington,était récompensé par cette rencontre avec Israël, ce petit pays dont la côte est en train de monter ?.... Plus sérieusement - Israël ne cherche pas de « récompenses » pour sa politique, celle-ci ayant évidemment une valeur intrinsèque qui la justifie, et des contacts diplomatiques ne constituent pas, eux non plus, de récompense à qui que ce soit : Israël ne demande pas de « prix de distinction », pas plus que le Pakistan n’a de bonnes notes à distribuer a personne. Les relations internationales sont ainsi faites qu’elles servent les intérêts communs des pays concernés, et dans ce cas également, loin de toute exception, les deux parties trouvent leur compte.

Question : Comment le peuple Israélien perçoit-il le Pakistan? Le perçoit-t-il comme une menace ou un Etat qui soutient le terrorisme?

Réponse :
Il n’y a pas d’image très précise du Pakistan, dans l’opinion israélienne, puisque c’est un pays qui s’est toujours refusé à avoir des relations quelconques avec nous. Rarissimes dans le domaine politique, les échanges dans les domaines économiques et culturels sont inexistants. Ensuite, le fait que le Pakistan se soit targué d’entrer en possession de « la première bombe islamique », -dont les plans ont d’ailleurs filtré par la suite en Libye- n’a pas contribué non plus à redorer son blason auprès des israéliens. Par ailleurs, le remarquable rapprochement entre Israël et l’Inde, qui s’est opéré ces 15 dernières années à tous les niveaux de la société, rend les Israéliens plus naturellement enclins à voir bien des choses sous l’angle indien.

Question : Le président Mousharaf a clairement déclaré que des relations diplomatiques formelles avec Israël étaient exclues avant toute création d’un état palestinien. Qu’en pensez-vous ?

Réponse :
Je pense que cette déclaration a le mérite d’être claire. Le président pakistanais signale ainsi qu’il souhaite limiter ce dégel timidement entamé avec Israël, et qu’il conditionne cette relation naissante aux aléas du conflit Israélo Palestinien. Ce que ne font pas nombre de pays arabes et musulmans, qui – de la Mauritanie au Kazakhstan – n’en soutiennent pas moins le droit des Palestiniens à avoir leur propre état. Droit qu’Israël, d’ailleurs, reconnaît volontiers, comme on l’a pu encore entendre récemment lors de l’intervention du Premier Ministre israélien, Ariel Sharon, à l’Assemblée Générale de l’ONU. Mais cette déclaration de Musharraf permet d’apprécier l’étroitesse de sa marge de manœuvre. Ceux qui pensaient qu’une ambassade d’Israël serait inaugurée prochainement à Islamabad devront patienter encore un moment.

Question : En acceptant de s’adresser au congrès juif américain en marge de l’assemblée générale des Nations unies, le président Pervez Musharraf a-t-il pris une décision courageuse ? «Je serai le premier dirigeant islamique à le faire, cela ne devrait mettre personne en colère» avait-il assuré début septembre. Quels sont, selon vous, les objectifs d’une telle rencontre ?

Réponse :
Précisons d’abord que le président Musharraf est très loin d’être « le premier dirigeant islamique à le faire », c'est-à-dire à s’adresser à une organisation juive américaine. Parmi ceux qui l’ont précédé, on pourrait citer des dirigeants d’Egypte, de Jordanie, de Mauritanie, du Maroc, de Tunisie, de Turquie, de certains pays du Golfe et des républiques d’Asie Centrale, un président d’Indonésie et jusqu'à… Yasser Arafat. En se présentant comme un pionnier dans ce domaine, ne cherche-t-il pas à marquer quelques bons points dans l’opinion américaine, surtout à un moment ou ses relations avec l’Administration du Président George W. Bush sont plutôt tendues ? Ajoutons qu’il avait déclaré également avoir fait, en acceptant l’invitation du Congres Juif Américain, une grande concession a l’égard d’Israël, et que c’était maintenant au tour d’Israël d’en faire de même… Pour maladroite qu’elle soit, cette expression montre bien qui était la « bête » que l’on voulait caresser dans le sens du poil…

Question : Cette décision risque-t-elle de provoquer des remous aussi bien au Pakistan que dans l’ensemble du monde musulman ?

Réponse :
Le monde musulman ne s’en est pas ému, selon toute évidence. Le geste a bien été remarqué dans certaines capitales arabes, mais comme il n’est pas allé plus loin que ça, la réaction s’est limitée à un silence bienveillant (ou indifférent) des dirigeants et quelques commentaires courroucés dans la presse. Quant a l’opinion pakistanaise, elle n’a apparemment pas été préparée, et elle s’est montrée assez intolérante, en tous cas suffisamment pour entraîner démentis, désaveux, rétractations et abjurations de toute part… Je crois que l’opinion publique de son pays demeure un véritable défi permanent pour le président Musharraf, l’ouverture symbolique vers Israël ne représentant qu’un détail dans ce vaste champ de combat politique.

Propos recueillis par Marc Knobel