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Publié le 16 Janvier 2012

Alexis Govciyan : «Au nom des Arméniens de France»

 

Alexis Govciyan est le président du CCAF, Conseil de Coordination des organisations Arméniennes de France et également le président de l’UGAB-Europe (Union Générale Arménienne de Bienfaisance). Il répond aux questions de la Newsletter du CRIF, notamment à propos du récent vote, le 22 décembre 2011 par l’Assemblée nationale, d’une loi pénalisant la négation des génocides reconnus par la France dont, bien entendu, celui des Arméniens. Il va sans dire que les propos tenus par Monsieur Govciyan n’engagent aucunement le CRIF.

La France a toujours été à la pointe du combat pour la dignité, les droits de l'homme et la lutte contre le négationnisme

 

La France a reconnu le génocide des Arméniens en 2001. Pourquoi, depuis de nombreuses années, luttez-vous pour une loi de pénalisation ? La reconnaissance ne suffisait-elle pas ?

 

La France a toujours été à la pointe du combat pour la dignité, les droits de l'homme et la lutte contre le négationnisme. Elle le prouve encore une fois avec cette proposition de loi qui n'est que la transposition d'une directive-cadre adoptée en 2008 par Bruxelles alors sous présidence française de l'Union européenne. Effectivement, en 2001, la France a voté une loi reconnaissant le génocide arménien de 1915. Une loi forte mais seulement déclarative de portée symbolique forte. Une loi connaissant la réalité historique, mais non-contraignante envers ceux qui font de la falsification de l'Histoire leur fond de commerce abject. Or, nous devons faire face à une véritable politique de négationnisme collectif, et croyez-moi, nous n’en pouvons plus de subir de telles insultes à la mémoire des victimes et aussi à la dignité de leurs descendants. De nos jours, de telles situations, des attaques révisionnistes et négationnistes ne sont plus tolérables et ,dans l’espace public, la loi est nécessaire pour protéger les citoyens dans leur dignité, premier droit fondamental. Aussi, avec ce  texte voté en décembre 2011 et bientôt, le 23 janvier prochain, j’espère, par le Sénat, nous passerons de la reconnaissance au respect de la dignité humaine. C’est pourquoi, nous sommes extrêmement attentifs à l’évolution de la situation. Cela n'a rien à voir avec l'Histoire,  car elle a été écrite depuis longtemps par les historiens et la loi de 2001 a déjà reconnu le génocide. Bref, l'Histoire a déjà jugé depuis 1915. Cela n'a rien à voir non plus avec la liberté d'expression. Dans notre République, on n'a pas le droit de diffuser du racisme, de l'antisémitisme, de la xénophobie dans l'espace public. Fort heureusement car nous devons assurer les conditions du vivre-ensemble, principe de base de notre République. Désormais, on n'aura pas le droit dans l'espace public de diffuser son négationnisme.

 

Le Sénat examinera à son tour la loi proposée par la députée des Bouches-du-Rhône, Valérie Boyer et adoptée par l’Assemblée nationale. Croyez-vous à son adoption par la « chambre haute » ?

 

Toutes les conditions sont a priori remplies pour que le texte soit adopté par le Sénat. Le consensus droite-gauche, l'implication du chef de l'État, Nicolas Sarkozy et du candidat socialiste, François Hollande, y compris l'investissement du gouvernement. La question arménienne a la noblesse de rassembler droite, centre et gauche sur le terrain de la défense des droits de l'homme et du respect de la dignité humaine.

 

Certains prétendent que le dépôt de cette loi répond à des considérations électoralistes. Qu’en pensez-vous ?

 

Il faut arrêter avec cette considération... Il s’agit, au contraire de dépolitiser, de ne pas être l’enjeu d’approches politiciennes. Comme je vous l’ai dit, cette question est universelle et n’appartient pas à un camp ou à un autre. Nous sommes donc dans un cadre politique au sens étymologique du terme où il est question de la protection de citoyens qui sont sans arrêt insultés. Par ailleurs, qu'est-ce qui n'est pas électoral aujourd'hui ? Tout peut être considéré comme électoraliste car la demande de politique est très forte et que l'on attend beaucoup du Parlement et de ceux qui nous gouvernent. C’est après tout là où la République et la démocratie prennent tout leur sens. Il faut donc se réjouir de cette forte activité parlementaire, de ce respect des travaux du Parlement qui sait ce qu'il fait. Là, dans cette loi, il faut bien rappeler que le législateur est dans sa fonction : cadrer le débat, sans atteindre la liberté d'expression.

 

De nombreux historiens et commentateurs considèrent que ce n’est pas au législateur de dire l’Histoire mais aux chercheurs. Que leur répondez-vous ?

 

Excusez-moi, mais c'est une ineptie. On n'est pas sur le terrain de l'Histoire dans cette affaire, on est sur le terrain du Droit. Par ailleurs, les parlementaires votent à juste titre des textes pour interdire le clonage en France, par exemple. Et pourtant ils ne sont pas scientifiques. Et pourtant ils ne sont pas compétents si l'on reprend l'argumentaire approximatif des partisans hostiles à la loi sur la pénalisation des génocides. Au nom d'un principe de précaution morale, les législateurs, de droite comme de gauche, décident ce qui est intolérable dans l'espace public. C'est aussi simple que cela. En outre, c'est au Parlement de veiller au respect de la dignité humaine. Et comme le génocide constitue le crime des crimes contre l'humanité,  il revient aux États, garants de la sécurité de l'humanité de dénoncer là où ils le peuvent les menaces à son encontre. D'hier comme de demain.

 

Israël ne reconnaît pas jusqu’ici le génocide des Arméniens. Avez-vous bon espoir d’un changement d’attitude des autorités israéliennes en la matière ?

 

Le débat évolue en Israël. La Knesset a en discuté récemment, le 27 décembre 2011. Et d'importants députés israéliens, notamment le président de la Knesset, s'impliquent fortement pour la reconnaissance du génocide. D'ailleurs, la société israélienne a intégré l'existence du génocide des Arméniens et cela ne fait aucun doute. C’est aussi le cas pour les communautés juives partout dans le monde et particulièrement en France. Donc au niveau de l'appareil d'État, le débat est encore en cours. Mais nous ne perdons pas espoir de voir Israël en tant qu'État reconnaître le génocide des Arméniens, car un génocide va au-delà de la raison d'État et de la real-politik. Un génocide est l’horreur absolue et renvoie à la conscience universelle et à la conscience de chacun. La solidarité entre peuples qui ont été victimes d’un génocide finira donc par l'emporter sur la raison d'État, notamment dans ce monde globalisé où le négationnisme de l'État turc fait des émules : l'Iran d'Ahmadinejad et le Soudan d'El-Bechir. La vigilance s’impose !

 

Propos recueillis par Jean-Pierre Allali