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Publié le 6 Septembre 2015

Aylan, le doute à cœur ouvert

Il est un aspect sur lequel la crise actuelle des réfugiés invite à réfléchir impérativement : ses conséquences au plan éducatif.

Par Emmanuel Debono, Enseignant, publié dans le Monde (blog) le 3 septembre 2015
Certaines photographies ont marqué l’histoire et nos représentations en ce qu’elles véhiculent par un dosage idéal l’intelligence immédiate des faits et une puissance émotionnelle. Si l’émotion, seule, ne peut prendre le pas sur l’analyse, sur le mode d’un « Émouvez-vous ! » stérile et désarmant, il est un aspect sur lequel la crise actuelle des réfugiés invite à réfléchir impérativement : ses conséquences au plan éducatif.
La honte et le doute
Ce drame n’est pas le premier. Cette crise n’est pas la première et les questions liées aux réfugiés et au droit d’asile ont eu une acuité particulière tout au long du XXe siècle, mettant à plus d’une reprise les sociétés démocratiques à l’épreuve. La photographie d’Aylan est à cet égard un cliché historique et un défi à la conscience. Elle n’est pas seulement « la photo de la honte », comme l’a titré Paris Match dans un article en ligne. Elle est aussi la « photo du doute », dont le potentiel déstabilisateur est aussi réel que durable.
Comprendre pour penser et agir
Elle interpelle nos valeurs morales, notre héritage humaniste, et vient directement, entre autres circuits, stimuler celui qu’occupe de manière si prégnante dans notre paysage éducatif et culturel, l’étude des guerres, des massacres et des génocides. La place de ces thématiques dans la scolarité est jugée excessive par certains et, au contraire, salutaire par d’autres au regard des possibilités qu’elle ouvre en termes de réflexion sur les sociétés et les individus, l’homme et sa responsabilité, le rapport à autrui, l’engagement, la résistance, le renoncement, l’empathie ou l’indifférence. Les épisodes sombres de notre histoire sont un vivier de problématiques propres à susciter le questionnement individuel ou les débats argumentés, étayés par des faits précis, datés, contextualisés, invitant à se méfier des analogies historiques douteuses ou, au contraire, de l’oubli coupable.
Connaissance et morale
Si l’enseignant n’a pas pour mission d’être un directeur de conscience et encore moins un maître à penser en la matière, il semble toutefois illusoire d’envisager que l’étude des événements brutaux de notre histoire commune puisse tenir les élèves à distance de ses effets moraux. Cette dimension morale constitue à la fois un écueil, par les difficultés qu’elle soulève, tant du point de vue scientifique que didactique, et une justification : la confrontation répétée de ces violences, la part horaire consacrée à les étudier se justifieraient-elles véritablement si elles n’avaient pour finalité plus ou moins affichée d’armer les consciences en décrivant les mécanismes criminels ?... Lire l'intégralité.