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Publié le 28 Novembre 2016

#Crif - Discrimination positive et/ou égalité des chances ? Trois questions à Eric Keslassy

Le sociologue qui a collaboré au dernier numéro des Etudes du Crif publie un ouvrage sur la discrimination positive.

Les recruteurs s’appuient presque toujours sur le fait que la France ne parvient pas à donner du contenu à sa devise républicaine

Propos recueillis par Marc Knobel
 
Après avoir collaboré à la collection des Etudes du CRIF (numéro 24 - mai 2013) avec Yonathan Arfi, en proposant un numéro intitulé "Un regard Juif sur la discrimination positive", vous publiez cette fois douze ans après sa parution initiale un ouvrage (1) qui porte sur ce thème. Est-ce là pour vous un thème central ? Un objet d'étude particulier ? Une préoccupation intellectuelle ? Vous êtes sociologue et enseignant, comment en arrive-t-on à travailler sur ces questions ? Et en quoi ce thème récurrent mérite-t-il toute votre/notre attention ?
 
Avant toute autre fonction, je suis en effet enseignant. A ce titre, j’accorde une importance toute particulière à l’égalité des chances, ce principe qui se trouve au fondement de notre « société démocratique ». Sans possibilité de connaitre l’ascension sociale pour ceux qui se trouvent en bas de l’échelle sociale, la société ne peut qu’étouffer. La discrimination positive est un moyen qu’il convient d’utiliser pour essayer de casser les dynamiques de « reproduction sociale », pour éviter qu’il subsiste des « castes » inaccessibles. Ce n’est évidemment pas l’alpha et l’oméga de toute politique d’éducation – une bonne idée serait de réformer notre école primaire dans le bon sens –, mais un ensemble de mesures devant permettre de « donner plus à ceux qui ont moins ». Je précise d’emblée que, dans mon esprit, il n’est pas question d’établir des quotas – qui sont juridiquement critiquables et moralement condamnables – mais de mettre en place des moyens de compenser les inégalités de départ sans remettre en cause la méritocratie. Autre précision d’importance : la discrimination positive que j’appelle de mes vœux doit s’appuyer sur des critères socio-économiques – et non pas ethniques – pour désigner ses bénéficiaires. Je me reconnais d’ailleurs désormais davantage dans le concept d’égalité des opportunités que dans celui de discrimination positive. L’expérience menée par Sciences Po depuis plus de dix ans au travers de ses conventions d’éducation prioritaire est à la fois riche d’enseignements et d’encouragements. Des jeunes issus d’établissements qui se situent en ZEP entrent, par une voie spécifique, au sein de la prestigieuse école et obtiennent des résultats en tout point comparables à ceux qui passent par le concours classique.
 
Selon Gwénaële Calvès, professeur de droit à l'Université de Cergy-Pontoise, la discrimination positive est une politique de rattrapage entre groupes inégaux, une politique contre-discriminatoire et de diversité ou éventuellement ce qui reste quand on a tout essayé. Partagez-vous cette opinion ?
 
En partie seulement. Il me semble en effet que la discrimination positive ne peut être qu’une politique devant impulser un mouvement plus réformateur. Cela ne peut pas être une politique structurelle – soit de long terme. La discrimination positive consiste à redonner de l’espérance, pas à changer en profondeur les mécanismes reproducteurs de la société. Il faut donc qu’elle soit relayée par des mesures qui combattent les inégalités à la racine (le plus tôt possible). Politique contre-discriminatoire, oui. Politique de diversité, non. Il n’est absolument pas question, dans mon esprit, de valider un modèle multiculturaliste : l’égalité des opportunités doit favoriser le rattrapage des plus défavorisés, pas des minorités visibles ; en ce sens, il s’agit d’une politique qui renforce la République, qui donne un contenu à la valeur égalité, et qui permet de lutter contre le communautarisme en s’adressant aux individus parce qu’ils appartiennent à la seule communauté reconnue par la République : celle des citoyens.
 
Dans votre préface, vous affirmez que combattre efficacement le terrorisme islamiste suppose nécessairement de se pencher sur toutes les causes qui peuvent expliquer son essor. Soit. Mais, est-ce à dire que, selon vous, que pour lutter contre l'islamisme, il faudrait aussi inventer des politiques équitables ?
 
Cette question est absolument fondamentale. Les facteurs qui permettent d’expliquer – et non pas de justifier ! – les attentats islamistes sont très nombreux. Je ne méconnais pas, par exemple, la « maladie de l’Islam », comme je l’ai indiqué dans ma note : De l’antisémitisme en France (Institut Diderot, 2015 : http://www.institutdiderot.fr/de-lantisemitisme-2/). Pour autant, à force de vouloir analyser légitimement les « autres causes », on a tendance désormais à occulter que l’exclusion économique et sociale joue un rôle non-négligeable dans la progression de l’islamisme radical dans nos quartiers. En fait, pour s’opposer au sociologisme, un certain nombre d’intellectuels oublient que les prédicateurs salafistes parviennent davantage à convaincre leurs « cibles » lorsque celles-ci sont fragilisées par le chômage, la précarité et/ou qu’elles se heurtent à des discriminations. En aucun cas, cela signifie que ces individus ne sont pas responsables de leurs mauvais choix. Mais il s’agit de prendre acte que, dans certains quartiers, l’islamisme offre une espérance ou un horizon que la République n’est pas/plus en mesure d’offrir. De fait, les « recruteurs » s’appuient presque toujours sur une situation difficilement contestable : la France ne parvient pas à donner du contenu à sa devise républicaine. Je crois qu’une politique fondée sur l’égalité des opportunités peut réduire les inégalités de fait et ainsi retirer un argument aux islamistes. Sans doute en ont-ils d’autres, sans doute en trouveront-ils d’autres, mais au moins la République française ferait-elle un effort pour se conformer à ses principes.
 
(1) Eric Keslassy, De la discrimination positive, 2ème édition, Editions Bréal, Paris, octobre 2016, 2ème édition, 234 pages.
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