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Publié le 30 Mai 2017

#Crif - Dror Even-Sapir : "Observons donc avec confiance ce qui pourra provenir de Jérusalem." Entretien par Marc Knobel

Marc Knobel interroge Dror Even-Sapir, analyste diplomatique et politique de la chaîne d'information i24 News.

Qu'évoque pour vous la réunification de Jérusalem et la guerre des 6 jours ?

Ce qui est plus important encore à mes yeux que la victoire militaire elle-même, en dépit de son aspect spectaculaire, est tout à la fois ce qui a précédé et ce qui a suivi la guerre des 6 jours.

On a en effet trop tendance à l'oublier, mais le jeune Etat d'Israël vivait, à la veille du conflit, dans une crainte tout à fait réelle de destruction. Les messages émanant des pays arabes voisins étaient en effet sans équivoque sur le sort qui sera réservé de la population juive en cas de victoire des armées coalisées. Dans une société où vivaient de très nombreux rescapés de la Shoah, l'impact était loin d'être négligeable.

L'ivresse de la victoire n'en était que plus grande. Mais le succès de Tsahal n'a pas eu pour seul effet la survie physique du peuple israélien. La conquête de territoires correspondant au cœur de l'Israël biblique a profondément transformé l'Israël contemporain. Et 50 ans après, le débat sur l'avenir de ces territoires et des populations qui y vivent est loin d'être clos.

Outre le plateau du Golan, la vieille ville et les quartiers est de Jérusalem sont les seuls zones conquises en juin 67 à avoir été annexées à l'Etat d'Israël. La réunification de la capitale israélienne est un motif récurrent dans le discours des dirigeants de l'Etat juif : Jérusalem, répète-t-on à l'envie, est la capitale "éternelle et indivisible'' d'Israël et du peuple juif.

J'ai moi-même, tout comme probablement la très grande majorité de mes compatriotes, beaucoup de mal à imaginer la capitale de mon pays amputée de la vieille ville et des lieux saints. Le mur occidental, dernier vestige du Temple, n'est pas sans importance aux yeux du Juif "laïque'' que je suis.  Cela dit, un lieu, un site, aussi chargé de signification nationale et religieuse soit-il, reste un élément physique, et le judaïsme nous a justement appris à nous méfier de toute tentation idolâtre.

Concernant la réunification de la ville, on ne peut que se réjouir que Jérusalem ne soit plus traversée par une ligne de démarcation, qu'une armée hostile ne soit plus positionnée aux abords des quartiers d'habitation de la capitale. Tout cela ne doit cependant pas nous aveugler sur le fait que deux populations fort différentes sur les plans linguistiques, religieux, culturels, économiques et nationaux cohabitent dans cette Jérusalem "réunifiée". Très peu d'Israéliens fréquentent les quartiers orientaux de la ville,  et les deux populations coexistent  sans véritablement se fréquenter, sans se connaître.  Une grande partie des terroristes de la seconde Intifada, et plus encore de l' "Intifada des couteaux'' habitaient Jérusalem-Est, illustration tragique de cette "séparation de fait" derrière la réunification administrative.
 

Comment percevez-vous la Jérusalem des années 2000 ? Comment ressentez-vous la capitale d'Israël ? Comment vivez-vous Jérusalem ?

C'est à Jérusalem que j'ai fait, il y a bientôt 21 ans, mes premiers pas de nouveau citoyen israélien. J'y ai vécu pendant 17 ans, et j'ai toujours beaucoup de plaisir à y revenir. Je souhaite donc sincèrement que la capitale de mon pays soit digne de ce titre. Du fait de leur  dynamisme démographique, les communautés ultra-orthodoxes y ont de plus en plus de poids. Or elles ont choisi, pour la plupart, un mode de vie qui ne contribue pas au dynamisme économique de la ville, et qui explique en partie que Jérusalem compte parmi les localités les plus pauvres du pays. S'ajoute à cela la tentation de la coercition religieuse. Une réalité, qui, associée aux tensions sécuritaires que j'ai déjà évoquées, a incité au départ un nombre sans cesse croissant d'Israéliens séculiers, attirés également par les opportunités en termes d'emploi qu'offrent les villes de la zone côtière et du centre du pays.

Mais, en dépit de ces tendances, le volontarisme politique des autorités locales et nationales a permis à Jérusalem de se développer d'une manière impressionnante. Les infrastructures, les transports, les centres culturels sont aujourd'hui plus développés que jamais.
 

Comment entrevoyez-vous l'avenir de Jérusalem ?

Répondons à cette question sur une note optimiste, en évoquant un aspect que peu de gens, en dehors de Jérusalem, connaissent. Jérusalem est une autre capitale, celle d'un judaïsme pluriel et innovant. Au-delà des définitions identitaires souvent trop figées de la judaïté "religieuse'' ou "séculière'',  on trouve à Jérusalem un éventail impressionnant de manières de vivre le judaïsme. Aux courants religieux établis de longue date se sont ajoutés des groupes aux contours souples, composés souvent de jeunes ayant rompu avec leurs communautés d'origines. Sionistes religieux en rupture de ban, anciens "haredim'' ne cherchant pas à rompre totalement avec leur héritage inventent et réinventent, à Jérusalem, une manière d'être juif et d'être israélien qui concilie proximité avec la tradition et volonté d'ouverture à la modernité. Dans le passé, ce genre de rencontre s'est avéré particulièrement fécondes. Observons donc avec confiance ce qui pourra provenir de Jérusalem.

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